13 à table - 2024 - J'ai dix ans
- deslivresetmoi72
- 24 janv. 2024
- 4 min de lecture

Achat rituel pour allier plaisir de lire et soutien aux Restos du cœur : 15 nouvelles par des auteurs variés et généreux autour du thème de l’année : j’ai dix ans ! Lecture facile, variée et agréables. Certaines nouvelles m’ont plus parlé que d’autres : celles de Philippe Besson, Michel Bussi, Raphaëlle Giordano, Dominique Lapierre et de Leila Slimani…Mais toutes sont intéressantes et l’ensemble est très plaisant et divertissant, une bonne occasion de découvrir la plume d’auteurs qu’on ne lit pas forcément d’habitude.
Extrait de La fin de l’enfance – Philippe Besson
Rendez-vous compte : avant lui, la mort n’existait pas.
C’était presque un mot tabou, quasiment jamais prononcé par mes parents, comme si ne pas le prononcer était une façon d’éviter ce qu’il signifie.
Ce n’était même pas une image car nous n’avions pas le droit de regarder la télévision.
C’était un concept, autant dire une abstraction. Une chose informe, donc irréelle. Une chose lointaine, qui ne pouvait pas nous atteindre.
C’était réservé aux puissants – Georges Pompidou est mort-, aux célébrités – Mike Brant est mort -, aux vieillards à cheveux blancs -, Jean Gabin est mort-, aux étrangers – Elvis Presley est mort.
Ça n’était pas pour nous, en tout cas pas pour moi, ça ne pouvait pas nous concerner, nous rattraper.
Et puis, tout à coup, c’est là.
Extrait de J’ai dix ans… demain – Michel Bussi
Sur la plage d’Ouistreham, je croise souvent des Français. C’est rare qu’ils s’approchent de nous. En général, ils évitent la voie verte ou le chemin de halage, là où nos tentes sont plantées. Personne e s’aventure dans le camp, à part les associations et les policiers. Moi c’est tout l’inverse. Je me promène ! Je regarde, j’écoute, j’apprends. Parfois, quand je croise des jeunes Français, j’essaie de leur parler. Surtout aux plus grands. Je vois bien qu’ils se méfient. Qu’ils ont peur, même.
Waouh ! Des lycéens, des étudiants qui ont peur d’une gamine qui n’a pas encore dix ans ! Ils craignent quoi ? D’attraper une maladie en discutant ? Que je finisse par leur demander un peu d’argent ? Je n’ai jamais mendié. Jamais de ma vie !
Peur de quoi, alors ? Que je leur vole leur terre ? Leur sable ? Leur mer ? Parfois, quand je les vois sortir de classe, balancer leurs sacs sur la digue, partager des bières, des rires et s’embrasser, je me demande pourquoi le sable, la mer et la terre d’ici leur appartiendraient. Leur appartiendraient plus qu’à moi, je veux dire. Parfois, je me laisse envahir par des idées pires. Je me demande, quand je regarde les ados d’ici organiser un foot à marée basse, ou s’installer en rond autour d’un poste de musique en attendant que la nuit tombe, ce qu’ils ont fait de plus que moi pour mériter cette plage.
Ils sont nés ici, c’est tout. J’ai beau chercher, je ne vois pas quel autre effort on leur a demandé. Alors que moi, on pourra dire ce qu’on veut, mais j’ai quand même marché pendant plus de trois mille kilomètres pour arriver jusqu’ici. S’il fallait passer un concours pour devenir français, ou anglais, je crois que j’aurais quand même quelques points d’avance sur eux !
Dès que je m’approche d’eux, ils détournent les yeux. J’ai envie de leur crier que je comprends que la naissance soit une loterie, qu’il faut un peu de chance et que tout le monde n’a pas reçu les mêmes cadeaux dans son berceau. Que je ne vais pas leur demander de partager leur toit, l’amour de leurs parents ou l’argent placé sur leur compte en banque. Mais le reste ? Le ciel au-dessus de notre tête, le sol sous nos pieds, pourquoi ce serait aussi dans la corbeille du nouveau-né ? Pourquoi on ne pourrait pas le partager ? Pourquoi il n’appartiendrait pas tout autant aux étrangers ?
Extrait de On n’est pas des machines - Raphaëlle Giordano
Retourner poussière, ce n’est pas que je ne veuille pas, mais ce ne sera pas demain la veille. Car mon squelette, même désossé, pourrait mettre mille ans à se dégrader dans la nature. Non que je sois franchement militant écolo, mais je suis comme tout un chacun, je pense aux générations futures, aux jeunes modèles qui méritent d’arriver dans un monde plus respectueux et plus propre. Qui a envie d’une planète qui ressemblerait à une décharge à ciel ouvert ? Bref, mille ans, c’est trop long, alors c’est décidé. Ma dernière volonté sera de léguer mon corps à la science du recyclage. Voilà qui me paraît plus responsable.
Extrait de Les escarpins, un conte de Noël – Dominique Lapierre
Je me sens accusée de façon injuste et pourtant je me sens coupable. Je n’y comprends plus rien. D’un côté, les adultes me demandent d’être honnête et de toujours dire la vérité. De l’autre, ils exigent que je dise le contraire de la vérité et reconnaisse sur moi quelque chose de faux, pour qu’ils aient la paix.
Je suis complètement perdue.
L’idée de leur gâcher Noël me désespère. Pauvre maman. Pauvre mamie.
Je ne sais plus ce qu’il faut dire, ce qu’il faut faire.
Je ne sais plus ce qui est vrai ni ce qui ne l’est pas.
La seule chose que je sais, c’est que, quand j’ai dit à maman que je n’avais pas cassé son nœud, je ne mentais pas !
Extrait de Le portail – Leila Slimani
Je déteste l’école. Maman n’aime pas que je dise ça, mais c’est la vérité. De toute façon, elle ne peut pas comprendre. Les adultes sont comme ça. Ils sont comme ces gens qui marchent sous une tempête de neige et qui, en se retournant, ne voient plus la trace de leurs pas sur le sol. Les adultes ont oublié ce que c’est que d’être un enfant. Un jour, ma mère m’a juré qu’elle ne se rappelait pas du tout des douleurs de l’accouchement. Que c’était fait exprès parce que, sinon, les femmes ne voudraient plus jamais tomber enceinte. Peut-être que c’est pour ça qu’ils oublient ce que c’est d’être un enfant : parce que ça fait trop mal.
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