Le grand feu - Léonor de Récondo
- deslivresetmoi72
- 1 juin
- 5 min de lecture

Ce petit roman m’a été prêté et recommandé par une amie dont je partage très souvent les coups de cœur. Ayant déjà lu et apprécié le roman Amours de cette autrice, j’ai abordé ce livre avec enthousiasme. Mais, cette fois, la magie n’a pas opéré…ce récit m’a laissée un peu indifférente, et je ne sais pas exactement pourquoi car il réunissait beaucoup de critères pour me toucher : histoire d’amour, passage à l’âge adulte, musique, Italie, contexte historique et social bien transcrit. C’est d’ailleurs ce que j’ai préféré dans ce récit, la plongée dans l’univers géographique et historique de Venise à la fin du XVII ème siècle. Mais je n’ai pas réussi à m’intéresser à l’histoire d’amour d’Ilaria.
Ilaria a été confiée par sa mère à une institution, La Pieta, dès son plus jeune âge. Elle y a grandi sous la protection de Bianca, ne rencontrant sa famille qu’une fois par an. Là, elle reçoit une éducation solide et, surtout, elle y apprend le violon auprès du Maestro Vivaldi ! Rien de moins ! Elle se lie d’amitié avec Prudenza, jeune fille du même âge qu’elle, qui ne grandit pas au sein de l’institution, mais y reçoit des cours de chant. Grâce à Prudenza, elle découvre ce qui se passe dans la cité au-delà des murs de La Pieta.
Ilaria rêve d’ailleurs et de liberté, féministe et indépendante avant l’heure. Lors de la soirée de fiançailles de Prudenza, elle reçoit la déclaration d’amour de Paolo, frère aîné de Prudenza. Alors qu’elle disait ne pas rêver de mariage, cette déclaration enflammée, ces promesses d’absolu la bouleversent et elle-aussi tombe amoureuse. Mais Paolo rêve de gloire militaire et part loin de Venise…Je laisse aux lecteurs la joie de découvrir comment finit cette romance…
Pourquoi, malgré tout, ce roman ne m’a -t-il pas emportée ? J’ai trouvé l’écriture très emphatique, mettant le lecteur à distance des personnages. Certains thèmes sont abordés sans être ensuite complètement exploités dans le récit : la relation entre Ilaria et Bianca, ses ressentiments pour sa famille d’origine, les liens amicaux entre les deux jeunes-filles. De plus, le décalage entre les côtés avant-gardistes d’Ilaria et son revirement dès les premiers mots d’amour de Paolo me paraît trop irréaliste, superficiel. Le personnage de Paolo manque aussi cruellement de relief… idéaliste et enfantin.
A vous de vous faire votre propre opinion sur ce roman qui saura séduire, sans aucun doute, les lecteurs férus d’amour tragique et absolu.
Extrait n°1
Bianca accueille les enfants déposées comme la possibilité d’une vie sauvée. Et le chœur qu’elles forment, puis les jeunes filles qu’elles deviennent, sont toutes à la gloire de la vie. Rien d’autre que la vie.
Bianca aime croire qu’elle fait partie d’une chaîne, infime maillon, vain parfois, mais humain et chaleureux. Des mains de la mère, en passant par les siennes, jusqu’à l’institution. Jamais elle ne pense à l’identité de celle qui abandonne son enfant dans le tour. Jamais elle ne juge. Elle connaît trop bien les difficultés qui pèsent sur les femmes. A chaque coup de cloche, son cœur se serre, mais c’est son sourire qui accueille le nourrisson.
Extrait n°2
Une nuit, comme ça, sans crier gare, Bianca dit à Ilaria, non, il ne faut plus que tu viennes, tu es trop grande maintenant. L’enfant reste figée sur le seuil, elle n’a pas mis un bout d’orteil sur le carrelage de la chambre, que déjà l’interdiction la pétrifie.
Non.
Elle attend, referme la porte, s’adosse au mur. Elle attend de comprendre comment elle a pu grandir si vite, en une nuit ; la différence entre hier et aujourd’hui. Oui, non. Une volte-face incompréhensible.
L’enfant, avec sa longue chemise de nuit blanche, sa natte défaite, a les yeux qui se perdent entre les dalles de la cour, frôlent un instant le puits sans ‘y attarder, ne se posent nulle part. elle est seulement tenue par cette pensée : d’un jour à l’autre.
Le désarroi de l’innocence face à la porte close du paradis. Elle croyait que la porte de cette tendresse-là ne se fermerait jamais.
Extrait n°3
Illaria écarquille les yeux, observe tout, les maisons, les quais, la vie de ces gens si libres, elle voudrait elle aussi courir sur les dalles de pierre, le visage au vent comme maintenant, et puis jeter son violon dans le canal. Elle se fiche de la musique. Soudain, elle sent que le violon la libère et l’enferme à la fois.
Tous les rêves sont possibles, ici, devant ses yeux.
De nouveau, elle est prise par un désir profond d’avenir, loin de cette terre. Au gré d’une migration mystérieuse, qui la mènerait dieu sait où. Elle verrait d’autres territoires, d’autres couleurs de peau, d’autres musiques. Et pourquoi ne pas aimer, se dit-elle, pourquoi ne pas aimer à l’autre bout du monde ?
Extrait n°4
Ilaria entre dans la pièce de Bianca d’un geste brusque. Elle la trouve qui coud à la fenêtre.
Elle éclate en sanglots. Elle va se marier !
Qui ca ?
Prudenza !
Formidable !
Ah, non ! Pas toi aussi !
Prudenza vient de frapper, elle fait un pas, s’assoit sur le lit de Bianca, abattue. Ilaria la regarde, furieuse, à travers ses larmes.
Moi aussi, j’ai envie de partir. Partir, loin, souvent. Derrière les ponts, les églises, les îles, le ciel, les terres lointaines. Voyager, s’exiler, oui pourquoi pas ! Mais aller m’emprisonner derrière d’autres murs ? Ce n’est pas ta mère qui dit toujours qu’être célibataire, c’est l’unique moyen d’âtre libre ?
Non, ma mère dit que le seul moyen pour une femme d’être libre, c’est d’être veuve !
Alors, marie-toi et tue-le !
Elles éclatent toutes les trios de rire. LA colère s’en va, et la jalousie se dissout pour un temps. Ilaria finit par lui demander de raconter.
C’est ma mère qui a tout arrangé, celle qui ne jure que par le veuvage. Il faut bien se marier pour être veuve !
Extrait P181
Sur le pont de la frégate, Paolo se remplit les yeux d’horizon. Ça s’ouvre en lui, ses pensées, son imagination, les limites fixées par l’étroitesse des ruelles et des canaux de la Sérénissime volent en éclats, le ciel et la mer y pénètrent. Du bleu partout, maritime et aérien, qui colonise chaque cellule de son corps. Il entre dans le monde, il le fend depuis la proue de la frégate, il le regarde avancer.
Et puis, à l’approche de Malte, la brise paraît. Une caresse, dit-il au capitaine, attendri un instant par l’innocence de ce jeune homme, ignorant encore les atrocités de la guerre et du monde.
Paolo, Télémaque, Ulysse, il est tout à la fois.
La nuit suivante, dans sa minuscule cabine, privilège de son rang, il commence de vomir. Pot de chambre qu’il remplit consciencieusement ; pied marin laissé à terre. Première nuit de cauchemars. Qui est-il ? Pourquoi ce voyage ? Il tâte son torse, les lettres sont là. Il préfère transpirer que d’enlever sa veste. Il a fini par retirer le ruban effiloché et noirci. Il l’a rangé et plié dans sa poche gauche, celle du cœur. Balloté sur son lit, Paolo s’endort par intermittence et pense à sa mère, il imagine la panique aux marches du palais.
Extrait P 191
Les deux premières nuits, mal de terre, Paolo ne ferme pas l’œil. La désillusion est absolue. Aucune gloire dans ce séjour, aucune bravoure en perspective. Sa propre vérité lui crève les yeux. Pourquoi est-il ici ? Lui, le Vénitien privilégié qui n’a jamais eu autre chose à faire que de rêver de son courage. Quel autre courage lui faudra-t-il, sinon celui d’exprimer sa honte ?
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