A l'est d'Eden - John Steinbeck
- deslivresetmoi72
- 27 avr. 2020
- 7 min de lecture

Il est extrêmement rare que je relise un livre…et l’exception confirmant la règle, j’ai relu A l’est d’Eden, presque 20 ans après ma première lecture. Et je crois que j’ai encore plus aimé et apprécié les qualité et l’universalité de ce roman. D’ici à ce que cela m’incite à reprendre d’autre livres déjà lus ? Pourquoi pas …
Je ne vais pas trop détailler l’histoire de ce classique de la littérature américaine, mais juste la resituer : c’est l’histoire de la famille Trask sur trois générations, en Californie au début du 20ème siècle. Filiation, héritages et hérédité, secrets de famille sont omniprésents. Steinbeck insiste aussi sur le fait que l’enfance soit déterminante : ce sont des faits survenus et des émotions ressenties dans leur enfance qui influencent toutes les décisions et choix des principaux personnages de son roman, bien souvent à leur insu, inconsciemment.
Ce que j’ai aimé, c’est déjà le style de Steinbeck qui décrit la vie ordinaire, le quotidien en laissant le lecteur percevoir l’évolution des personnages. Il faut savoir que Steinbeck écrit un roman en partie autobiographique puisque le personnage de Sam Hamilton est son grand-père maternel. D’ailleurs, en parallèle des Trask, la famille Hamilton est très présente dans le roman et ses personnages ne sont pas si secondaires. A travers ces deux familles, et aussi à travers la grande sagesse de Lee (mon personnage préféré !), domestique chinois, philosophe et sage, Steinbeck oppose des visions de la société américaine de l’époque : courage, esprit d’aventure et de pionnier, liberté d’entreprendre face au repli identitaire des communautés et au rejet des cultures étrangères ; femmes piliers du foyer dévouées à leur famille, religieuse, dévote face aux femmes rebelles violentes et aux prostituées qui s’affranchissent de toutes les valeurs morales ; engagement des uns contre lâcheté des autres ; probité contre corruption et chantage ; cupidité contre générosité altruiste.. ; Le plus simple serait de dire que Steinbeck oppose en permanence le Bien et le Mal, mais c’est beaucoup plus subtil que ça, et c’est là qu’est toute la force de ce livre !
Extrait n°1
On peut être fier de n’importe quoi si c’est tout ce que l’on a. Moins on possède, plus il est nécessaire d’en tirer vanité.
Extrait n° 2
Sa femme l’accompagnait : une petite Irlandaise sèche et solide, aussi dénuée d’humour qu’un poulet, une presbytérienne austère, enfermée dans un système de valeurs morales qui vous coupait toute envie de jouir des charmes de la vie.
Extrait n° 3
Lorsqu’un enfant, pour la première fois, voit les adultes tels qu’ils sont, lorsque pour la première fois l’idée pénètre dans sa tête que les adultes n’ont pas une intelligence divine, que leurs jugements ne sont pas toujours justes, leurs idées bonnes, leurs phrases correctes, son monde s’écroule et laisse place à un chaos terrifiant. Les idoles tombent et la sécurité n’est plus. Et, lorsqu’une idole tombe, ce n’est pas à moitié, elle s’écrase et se brise ou s’enfouit dans un lit de fumier. Il est difficile alors de la redresser et, même réinstallée sur son socle, des tâches ineffaçables dénoncent la chute passée. Et le monde de l’enfant n’est plus intact. Il se meut alors péniblement jusqu’à l’état d’homme.
Extrait n°4
Or Adam savait que son père n’était pas un grand homme. C’était, doué d’une grande volonté, un petit bonhomme avec un chapeau trop grand pour lui. Qu’est-ce qui déclenche le mécanisme dans le cerveau de l’enfant : un regard, un mensonge découvert, une hésitation ? Toujours est-il que l’idole s’écroule avec fracas.
Extrait n° 5
Depuis le jour où il naît, l’homme, à travers chaque événement, par chaque loi, chaque devoir ou droit, apprend à protéger sa vie. Il prend le départ avec cet instinct et tout vient le confirmer. Mais, lorsqu’il devient soldat, il doit apprendre à oublier – il doit apprendre à vivre en acceptant la mort. Et sa raison ne doit pas chanceler.
Extrait n° 6
Tu n’es pas intelligent. Tu ne sais pas ce que tu veux. Tu ignores la violence. Tu te laisses monter dessus. Parfois, je me dis que tu es un pauvre type qui n’arrivera à rien. Cela répond-il à ta question ? Je t’aime mieux. Je t’ai toujours préféré à lui. C’est peut-être mauvais de te le dire mais c’est vrai : je t’aime mieux. Sans cela, pourquoi me serais-je donné la peine de te faire mal ? Maintenant, boucle-la et va dîner.
Extrait n° 7
Au cours des cinq années qu’il passa dans l’armée, Adam fit plus de corvées qu’aucun homme de l’escadron, mais s’il tua un ennemi, ce fut le résultat d’un ricochet malencontreux. Etant excellent tireur, il était particulièrement apte à rater la cible à coup sûr.
Extrait n° 8
Pour l’homme né sans conscience, l’homme torturé par sa conscience doit sembler ridicule. Pour le voleur, l’honnêteté n’est que faiblesse. N’oubliez pas que le monstre n’est qu’une variante et que, aux yeux du monstre, le normal est monstrueux.
Extrait n° 9
Aux derniers jours du siècle et aux premiers jours de celui-ci, la maison close était acceptée, sinon discutée publiquement. On disait alors que c’était une protection pour les femmes décentes. Un homme allait dans une de ces maisons évacuer une énergie sexuelle intempestive et n’en continuait pas moins de partager l’opinion traditionnelle sur le charme et la chasteté des femmes. C’était un mystère, mais il y a beaucoup de mystères dans notre vie sociale.
Extrait n° 10
De temps à autre, une fille intelligente entrait dans le métier, mais, en général, elle accédait vite à des tâches supérieures : elle ouvrait sa propre maison ; ou faisait du chantage ; ou bien elle épousait un homme riche. Il y a un nom raffiné pour les putains intelligentes : on les appelle des courtisanes.
Extrait n°11
Et il fut immédiatement la proie du plus vieux sentiment du monde : la femme que l’on aime ne peut pas être autre chose que sincère et honnête.
Extrait n° 12
Une équipe peut fabriquer des automobiles plus rapidement et mieux qu’un homme seul. Et le pain qui sort d’une fabrique est moins cher et de qualité plus uniforme que celui de l’artisan. Lorsque notre nourriture, nos vêtements, nos toits ne seront plus que le fruit exclusif de la production standardisée, ce sera le tour de notre pensée. Toute idée non conforme au gabarit devra être éliminée. La production collective ou de masse est entrée dans notre vie économique, politique et même religieuse, à tel point que certaines nations ont substitué l’idée de collectivité à celle de Dieu. Il est trop tôt. Là est le danger. La tension est grande. Le monde va vers son point de rupture. Les hommes sont inquiets.
Extrait n° 13
Notre espèce est la seule créatrice et elle ne dispose que d’une seule faculté créatrice : l’esprit individuel de l’homme. Deux hommes n’ont jamais rien créé. Il n’existe pas de collaboration efficace en musique, en poésie, en mathématiques, en philosophie. C’est seulement après qu’ait eu lieu le miracle de la création que le groupe peut l’exploiter. Le groupe n’invente jamais rien. Le bien le plus précieux est le cerveau isolé de l’homme.
Extrait n° 14
Voici ce que je crois : l’esprit libre et curieux de l’homme est ce qui a le plus de prix au monde. Et voici pour quoi je me battrai : la liberté pour l’esprit de prendre quelque direction qui lui plaise. Et voici contre quoi je me battrai : toute idée, religion ou gouvernement qui limite ou détruit la notion d’individualité. Tel je suis, telle est ma position. Je comprends pourquoi un système conçu dans un gabarit et pour le respect du gabarit se doit d’éliminer la liberté de l’esprit, car c’est elle seule qui, par l’analyse, peut détruire le système. Oui, je comprends cela et je le hais, et je me battrai pour préserver la seule chose qui nous mette au-dessus des bêtes qui ne créent pas. Si la grâce ne peut plus embraser l’homme, nous sommes perdus.
Extrait n°15
La nuit était si claire que les collines semblaient taillées dans la même matière que les rayons de la lune. Samuel Hamilton chevauchait dans un paysage silencieux, dépourvu d’air, mort. Les ombres étaient noires sans demi-teintes et les clartés, blanches, sans couleur.
Extrait n° 16
L’église et la maison close arrivèrent dans l’Ouest simultanément. Et chacune aurait été horrifiée de savoir qu’elle n’était qu’une facette d’un même besoin. Car, en réalité, elles poursuivaient le même but : les chants, les rites, la poésie de l’église offraient à l’homme l’oubli de sa tristesse ; le bordel, lui, offrait d’autres oublis.
Extrait n° 17
Lorsqu’une affaire est délicate et qu’elle présente quelque danger, il arrive que le résultat soit gâché par la hâte. Il y a tant d’hommes pressés qui trébuchent. Si une tâche difficile et subtile doit être accomplie, il faut d’abord en déterminer la fin. Puis, une fois acceptée comme le but désiré, il faut l’oublier complètement et se concentrer uniquement sur les moyens. Grâce à cette méthode, le faux pas dicté par la hâte ou la peur est évité.
Extrait n°18
La plus grande terreur de l’enfant est de ne pas être aimé ; il craint plus que tout au monde d’être repoussé. Chacun l’a été, à un degré plus ou moins grand. De là nait la colère, et la colère pousse à un crime quelconque pour se venger, et avec le crime vient la faute : c’est l’histoire de l’humanité. Si l’homme n’était pas repoussé par ceux qu’il aime, il ne serait pas ce qu’il est. Peut-être y aurait-il moins de déséquilibrés. Et je suis sûr que les prisons ne seraient plus nécessaires. C’est là qu’est le commencement. Un enfant, se voyant refuser l’amour qu’il demande, donne un coup de pied au chat et cache sa faute secrète ; un autre vole de l’argent pour acheter l’amour ; un autre conquiert le monde – c’est toujours la même chose : faute, vengeance et faute plus grande encore. L’humain est le seul animal qui ait des remords.
Extrait n° 19
Il arrive qu’un homme prenne plaisir à être stupide, si cela lui permet de faire une chose que son intelligence lui interdirait.
Extrait n°20
La meilleure façon de décrire les deux garçons tient peut-être dans cette image : si Aron découvrait une fourmilière dans une clairière, il s’allongeait sur le ventre et observait la vie des fourmis, le transport des denrées alimentaires et des œufs blanchâtres, les conversations entre membres de la communauté, par le truchement des antennes. Il pouvait rester des heures à observer le monde des tout petits. Mais si Cal découvrait la même fourmilière, il la frappait à coups de talon et il observait la fuite des fourmis affolées par le cataclysme. Aron était heureux de faire partie du monde, mais Cal voulait le transformer.
Extrait n° 21
Mis en face de deux morales, vous suivrez celle que votre éducation vous a apprise et ce que vous appelez penser n’y changera rien.
Extrait n°22
Lorsqu’un homme arrive au moment suprême, peu importe son talent, son pouvoir ou son génie, s’il meurt haï, sa vie est une faillite et sa mort une froide horreur. Il me semble que vous ou moi, au moment de choisir entre deux voies, devons toujours penser à notre fin et vivre pour que notre mort ne fasse plaisir à personne.
Extrait n° 23
Je sais qu’on utilise parfois le mensonge pour ne pas blesser, mais je ne crois pas que son effet soit bienfaisant. La douleur fulgurante de la vérité se dissipe, alors que la douleur lancinante du mensonge demeure.
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