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L'oeuvre de dieu la part du diable - John Irving

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    deslivresetmoi72
  • 25 juil.
  • 14 min de lecture
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Irving est l’auteur préféré d’un collègue passionné de littérature, et c’est lui qui m’a fait découvrir cet écrivain et son œuvre majeure. Après Hotel New Hampshire et Une prière pour Owen, ca faisait longtemps que je voulais lire L’œuvre de Dieu, la part du diable et je m’y suis enfin attelée en ce début de vacances d’été. J’ai adoré, plus que les deux précédents, celui-ci m’a littéralement happée. Certaines « composantes » classiques pour Irving sont bien présentes : le personnage principal est un orphelin, particulier, à part, au destin singulier. On retrouve les difficultés de l’enfance, un certain dénuement, l’importance de l’éducation, du lien familial réel ou symbolique, les convictions morales, la sexualité et certaines violences, les épreuves initiatiques pour aborder l’âge adulte, l’accomplissement d’un destin.

Homer Wells naît et grandit dans l’orphelinat de Saint Clouds, sous l’autorité bienveillante du docteur Larch, et de Nurse Edna et Nurse Angela. Après quelques tentatives d’adoption toutes avortées, Homer passe toute son enfance et adolescence à Saint-Clouds : une vie simple, routinière, souvent rude.  Dans cet orphelinat, les activités du Dr Larch se partagent entre l’œuvre de Dieu, les naissances d’enfants non désirés confiés à l’institution, et la part du diable, les avortements. Assez naturellement, par sa présence continue, Homer devient l’élève du Docteur Larch et excelle, au point de pratiquer lui-même ces actes médicaux sans jamais être passé par la faculté de médecine.

C’est pour suivre des études que le Docteur Larch l’incite à parti en ville, avec Wally et Candy, deux jeunes gens passés à Saint-Clouds pour la part du diable. Les trois jeunes gens s’entendent à merveille, et Homer découvre chez Wally la culture des pommes, la vie en ville, les émois amoureux. Il finit par être symboliquement adopté par Olive, la mère de Wally.

Ce roman est dense, foisonnant avec des personnages forts et attachants, Homer et le Wilbur Larch d’abord, mais aussi Melony, adolescente de l’orphelinat, les deux Nurses qui seront les figures maternelles pendant l’enfance d’Homer, Wally et Candy. C’est aussi un roman engagé pour la liberté de choix des femmes concernant leur désir d’enfant et le portrait de la société américaine dans le Maine pendant les années 30 à 50.  Pour l’instant, des trois romans d’Irving que j’ai lus, c’est mon préféré et de loin ! Celui qui me donne envie d’en lire rapidement un autre !


Extrait Page 16

La vie en montagne (comme la vie près de l’océan, en grande plaine ou en campagne cultivée) offre aux habitants le luxe d’un paysage. Vivre à un endroit où l’on peut de temps en temps voir loin confère à l’âme une certaine perspective, plus vaste et donc salutaire.


Extrait Page 22

C’était la première fois qu’il observait des mères ayant mis au monde leur bébé non désiré à Saint Cloud’s avec l’intention de l’y laisser ; et cette fois-là, il ne les vit même pas de façon distincte. Le fait qu’il les ait remarquées d’abord quand elles prenaient congé et non à leur arrivée, le ventre énorme avant la délivrance de leurs problèmes, fut indiscutablement plus significatif. Surtout, Homer s’aperçut qu’à leur départ elles n’avaient pas l’air délivrées de tous leurs problèmes. Personne ne lui avait paru aussi malheureux que ces femmes ; il se dit que ce n’était pas par hasard qu’elles repartaient dans le noir.


Extrait Page 28

Nous sommes parvenus à faire de l’orphelinat son foyer, et c’est cela le problème. Si l’on essaie de donner à une institution de l’État, ou de n’importe quel gouvernement, l’équivalent de l’amour que l’on est censé investir dans une famille – et si cette institution est un orphelinat et que l’on réussisse à lui donner de l’amour –, on créera un monstre : un orphelinat qui n’est pas un simple arrêt sur le chemin d’une vie meilleure, mais le début et la fin de la ligne, la seule gare qu’acceptera l’orphelin.« Rien n’excuse la cruauté, mais – dans un orphelinat – peut-être sommes-nous obligés d’exclure l’amour ; si l’on ne réussit pas à exclure l’amour d’un orphelinat, on créera un orphelinat qu’aucun orphelin ne quittera de bon cœur. On créera un Homer Wells – un orphelin vrai, parce que son seul foyer sera toujours Saint Cloud’s. Que Dieu (ou tout autre) me pardonne. J’ai fait un orphelin ; il s’appelle Homer Wells et il appartiendra à Saint Cloud’s à jamais. »


Extrait Page 47

[…] pour lui il diminuait beaucoup la dose ; dès que la main tenant la cartouche d’éther cessait d’être bien ferme, il posait la cartouche ; quand la main tenant le cône de gaze sur sa bouche et son nez tombait sur son flanc, le cône glissait de son visage – il ne pouvait rester en place tout seul. Larch n’éprouvait nullement l’impression de panique que connaît souvent un malade anesthésié à l’éther – jamais il n’allait jusqu’au moment où l’on n’a plus assez d’air pour respirer. Il lâchait toujours le masque avant d’atteindre ce stade.

Quand le jeune Dr Larch quittait la Maternité de Boston (quartier Sud) pour accoucher des mères dans les quartiers pauvres de la ville, il avait dans sa tête une case réservée à la paix de l’éther. Il emportait chaque fois la cartouche d’éther et le cône de gaze, mais n’avait pas toujours le temps d’anesthésier la patiente. Le travail de la femme était souvent trop avancé pour que l’éther la soulage. Bien entendu, il l’utilisait quand il avait le temps ; jamais il ne partagerait l’opinion de ses collègues plus âgés, pour qui l’éther constituait une déviation par rapport à la nature : les enfants devaient venir au monde dans la souffrance.


Extrait Page 57

Il s’était produit une inflammation générale des membranes et des viscères de la cavité abdominale, l’utérus avait été perforé deux fois, et le fœtus, qui était mort, confirmait la déclaration de la fille de Mme Eames : il n’était pas parvenu au stade de l’éveil.

Le matin venu, le Dr Larch se rendit « derrière Harrison ». Il fallait qu’il voie de ses yeux comment se passaient les choses ; il voulait savoir où allaient les femmes quand les médecins les mettaient à la porte. Il avait encore dans son esprit la dernière bouffée d’haleine au cigare de la fille de Mme Eames contre son visage, lorsqu’il s’était penché vers elle juste avant sa mort – ce qui lui avait inévitablement rappelé la nuit où les bouffées de cigare de l’adolescente l’avaient aidé à retrouver ses vêtements. Si l’orgueil est un péché, se dit le Dr Larch, le plus grand péché est l’orgueil moral. Il avait couché avec la mère et s’était rhabillé à la lueur du cigare de la fille. Il pouvait sans désagrément s’abstenir de rapports sexuels pendant le restant de sa vie, mais pouvait-il condamner une autre personne parce qu’elle faisait l’amour.


Extrait Page 101

La lettre était amicale et familière ; le correspondant de Larch semblait un collègue de longue date sinon un vieil ami. Il y avait également, dans le ton de Larch, l’étincelle d’un débat fréquent – comme si Larch avait souvent utilisé ce correspondant en guise d’adversaire philosophique.

« Les raisons pour lesquelles les orphelins doivent être adoptés avant l’adolescence ? C’est qu’ils ont besoin d’être aimés et d’avoir quelqu’un à aimer, avant de s’embarquer dans cette phase nécessaire de l’adolescence, à savoir : le besoin de tromper, soutenait Larch dans sa lettre. L’adolescent découvre que le mensonge est presque aussi séduisant que le sexe et beaucoup plus facile à pratiquer. Il peut être particulièrement difficile de tromper ceux que l’on aime – les gens qui vous aiment sont moins susceptibles que les autres de reconnaître que vous les avez trompés. Mais si vous n’aimez personne et avez l’impression que personne ne vous aime, il n’existe personne ayant le pouvoir de vous piquer au vif en vous faisant remarquer que vous mentez. Si un orphelin n’est pas adopté lorsqu’il atteint cette période alarmante de l’adolescence, il risque de continuer de tromper – lui-même et les autres – toute sa vie.


Extrait Page 101

Pendant une période affreuse de sa vie, l’adolescent se dupe lui-même ; il croit qu’il peut duper le monde entier. Il se croit invulnérable. Un adolescent qui est encore orphelin pendant cette phase est en danger de ne jamais devenir adulte. »

 

Extrait Page 116

Wilbur Larch regarda Homer dans les yeux. Dans sa Brève Histoire de Saint Cloud’s, il devait écrire : « Comme la paternité m’offense ! Les sentiments qu’elle vous donne : ils détruisent complètement votre objectivité, ils déchirent votre sens de la justice. J’ai peur que par ma faute Homer Wells n’ait pas eu d’enfance – je crains qu’il n’ait jamais été enfant ! Mais de nombreux orphelins trouvent plus facile de se passer d’enfance que de s’apitoyer sur leur sort d’enfants orphelins. Si j’ai aidé Homer Wells à sauter son enfance, l’ai-je aidé à sauter une mauvaise chose ? Maudite soit la confusion des sentiments de père ! Aimer quelqu’un comme un parent peut produire un nuage qui vous dissimule la voie droite à suivre. »


Extrait Page 235

Parmi les orphelins, pensait Homer Wells, les mouettes sont supérieures aux corbeaux – non pas par l’intelligence ou la personnalité, remarqua-t-il, mais par la liberté qu’elles possèdent et chérissent. Ce fut en regardant les mouettes qu’Homer Wells perçut pour la première fois qu’il était libre.

Wilbur Larch savait que la liberté est pour un orphelin l’illusion la plus dangereuse, et, quand il reçut enfin des nouvelles d’Homer, il parcourut rapidement la lettre, curieusement guindée et décevante par son manque de détails. Pour ce qui est des illusions, et de tout le reste, elle ne contenait aucune preuve.


Extrait Page 242

Il n’avait pas honte d’aimer la moquette des Worthington, lui qui n’avait connu que des murs de planches et des sols recouverts de maintes couches de linoléum, entre lesquelles on pouvait sentir la sciure glisser sous les pas. On ne pouvait prétendre que les murs des Worthington fussent tapissés d’œuvres d’art, mais c’était la première fois qu’Homer voyait des tableaux sur des murs (en dehors du portrait de la femme au poney) ; même la mièvrerie suprême de la peinture à l’huile représentant un chat dans un parterre de fleurs (dans la salle de bains de Wally) plaisait à Homer – et le papier à fleurs derrière le tableau lui plaisait aussi. Que savait-il sur le papier peint ou l’art ? Il trouvait tous les papiers peints merveilleux.


Extrait Page 242

Il sentait que jamais il ne cesserait d’adorer la chambre de Wally. Que connaissait-il du sport universitaire et des ballons de football trempés dans la dorure et portant le score d’une partie importante ? Et des trophées de tennis, des annuaires des anciens élèves de collège et des bouts de billets que l’on glisse entre le cadre et la glace d’un miroir (ceux du premier film auquel Wally avait emmené Candy) ? Que savait-il du cinéma ? Wally et Candy l’avaient emmené dans un des premiers drive-in du Maine. Comment aurait-il pu imaginer cela ?


Extrait Page 254

L’hypocrisie de ce qu’il avait entrevu de la société frappait beaucoup Homer Wells ; des gens, même très gentils – car Wally était incontestablement très gentil – disaient souvent des quantités de choses critiques sur une personne avec qui ils se montreraient aussitôt après parfaitement agréables. À Saint Cloud’s, la critique était plus directe – et plus difficile (sinon impossible) à dissimuler.


Extrait Page 300

D’accord, dit Homer Wells.

— Mais tu n’as jamais dit que tu étais amoureux – de moi, ajouta Debra. Et je n’ai jamais dit que je l’étais – de toi.— D’accord, convint encore Homer Wells. Donc, c’est contre les règles de faire ça si l’on n’est pas amoureux ?Debra Pettigrew se mordit la lèvre inférieure. C’était aussi dur qu’elle l’avait imaginé.— Il faut voir les choses sous cet angle : si l’on s’aime et qu’il se produit un accident, reprit-elle. Si quelqu’un tombe enceinte, je veux dire ; alors si l’on s’aime, on se marie. Wally et Candy s’aiment, et s’ils ont un accident, ils se marieront.Peut-être, pensa Homer Wells, peut-être la prochaine fois. Mais il répondit :— Je vois…

Et il songea : telles sont donc les règles ! C’est à cause des accidents, à cause du risque de grossesse quand on ne veut pas avoir d’enfant.


Extrait Page 308

Accorde-nous une retraite sûre, un saint repos, disait Mme Grogan, et enfin la paix.Amen, se dit Wilbur Larch, le saint de Saint Cloud’s, qui avait soixante-dix ans et quelques, la manie de l’éther, et l’impression d’avoir déjà parcouru un long chemin tout en ayant encore un long chemin à franchir.


Extrait Page 336

Quand un orphelin est déprimé, a écrit Wilbur Larch, il a tendance à dire des mensonges. Un mensonge est (au moins) une entreprise exigeant de la vigueur, il vous maintient sur la pointe des pieds en vous rendant soudain responsable de ce qui se produit à cause de lui. Il faut être aux aguets pour mentir, et rester aux aguets pour protéger et perpétuer votre mensonge. Les orphelins ne sont pas maîtres de leur destin ; ils sont les derniers à vous croire si vous leur dites que d’autres personnes ne sont pas responsables de leur destin non plus.

« Quand on ment, on se sent responsable de sa vie. Mentir exerce beaucoup d’attrait sur les orphelins. Je le sais, a écrit le Dr Larch, je le sais parce que je leur mens aussi. J’aime mentir. Quand on ment, on a l’impression de tromper le destin – son propre destin et celui de tout le monde. »


Extrait Page 359

Puis le jeune Wally Worthington, si impatient de devenir un héros, sortit en dansant dans les rues d’Orono, où il apprit la nouvelle. Le président Roosevelt qualifierait ce dimanche-là de « jour d’infamie ». mais pour Wally dont le cœur noble et aventureux rêvait de piloter un B-24 Liberator – un bombardier lourd quadrimoteur utilisé pour bombarder les ponts, les raffineries de pétrole, les dépôts de carburant, les voies ferrées, etc. – ce dimanche-là ne signifia pas seulement « infamie » : quelque part, un bombardier B-24 libérateur attendait que le jeune Wally Worthington apprenne à piloter…Les gens d’Heart’s Haven et d’Heart’s Rock disaient toujours que Wally possédait tout : l’argent, la beauté, la bonté, le charme, la fille de ses rêves – mais il avait aussi du courage, ainsi qu’une dose généreuse des qualités les plus dangereuses de la jeunesse : l’optimisme et la soif d’agir. Il était capable de risquer tout ce qu’il possédait pour piloter l’avion qui porterait la bombe décisive dans ses flancs.


Extrait Page 401

— D’accord, dit Homer Wells, orphelin et père en puissance.

Dans le Maine, on considère que savoir une chose est plus sage que d’en parler ; le fait que personne ne dit que Candy Kendall était enceinte ne signifiait pas forcément que nul ne sut qu’elle l’était. Dans le Maine, il est acquis que n’importe quel garçon peut « mettre dans l’embarras » n’importe quelle fille. Ce qu’ils font à ce sujet est leur affaire ; s’ils veulent un conseil, ils n’ont qu’à le demander.

« Si vous étiez orphelin, que choisiriez-vous ? a écrit Wilbur Larch dans sa Brève Histoire de Saint Cloud’s. Un orphelin ou un avortement ? »

— Un avortement, sans hésiter, avait répondu Melony à Homer Wells, un jour où il lui avait posé la question. Et toi ?

— Je choisirais l’orphelin, avait répliqué Homer.

— Tu n’es qu’un rêveur, Rayon-de-soleil, lui avait lancé Melony.

Melony ne s’était pas trompée, se disait-il maintenant : il n’était qu’un rêveur.


 

Extrait Page 402

Ce qu’Homer pouvait découvrir de ses propres sentiments était plus choquant (au moins pour lui). Il savait déjà qu’il aimait Candy, et qu’il la désirait ; maintenant, il se rendait compte qu’il désirait son enfant – encore plus qu’elle-même.Ils n’étaient qu’un couple pris au piège – comme tant d’autres –, plus à l’aise dans leurs illusions qu’en face de la réalité de leur situation.

Pourquoi tous ces embarras pour un mensonge ? se demanda-t-il en serrant fort Candy qui pleurait en silence. Était-il exact que Wilbur Larch n’avait aucun souvenir de la mère d’Homer ? Était-il exact que Nurse Angela et Nurse Edna n’avaient aucun souvenir de sa mère, elles non plus ? Peut-être, mais jamais Homer Wells ne leur aurait reproché de mentir, car ils ne lui mentaient que pour le protéger. Et s’ils se souvenaient de sa mère et que sa mère était un monstre, ne valait-il pas mieux qu’ils aient menti ? Pour un orphelin, toute vérité n’est pas bonne à savoir.Et si Homer avait découvert.


Extrait Page 406

C’était un matin du début de novembre, dans la cuisine d’Ocean View ; Olive n’était encore ni coiffée ni maquillée. Le gris de la lumière, de son visage et de ses cheveux la fit paraître soudain plus âgée aux yeux d’Homer. Avec le fil de son sachet elle essayait d’extraire la dernière goutte de thé, et Homer fut incapable de lever les yeux des veines gonflées, nouées, qui formaient comme des cordes sur le dos de ses mains. Elle avait toujours trop fumé, et tous les matins elle toussait.


Extrait Page 414

[…] il devait imaginer que le caractère sacré avec lequel il considérait son union avec Candy planerait au-dessus d’eux ainsi qu’un halo et répandrait la lumière du pardon, sur eux-mêmes et leur enfant, quand ils retourneraient à Heart’s Haven et à Heart’s Rock. Il devait penser que la pureté de ses intentions et de celles de Candy brillerait d’un éclat si puissant qu’Olive, Ray et le reste de cette communauté où-l’on-savait-tout-mais-ne-disait-rien en seraient aveuglés. Homer et Candy devaient croire que leur enfant – conçu en un instant d’amour qui éclipsait la perte, la mort ou la « simple disparition » de Wally – serait accueilli comme un ange descendant du ciel.


Extrait Page 415

Il se consacra à enseigner à Homer un peu plus de pédiatrie – il n’avait trouvé aucun défaut dans les méthodes obstétriques du jeune homme, et Homer refusait avec énergie de participer aux avortements. La rigidité de cette position surprit même Candy, qui lui demanda :

— Explique-moi encore une fois… Tu ne désapprouves pas l’intervention mais tu refuses de prendre part à un acte que tu juges mauvais, d’accord ?

— D’accord, répondit Homer Wells, sans le moindre doute dans la voix. Tu as compris. Il n’y a rien d’autre à expliquer. Je crois que l’avortement devrait être à la portée de toute femme qui le désire, mais moi, je n’en pratiquerai jamais. Qu’y a-t-il de difficile à comprendre dans cette attitude ?

— Rien, lui dit Candy, mais elle continua de lui en parler. Tu crois que c’est mal, mais tu estimes que ce devrait être légal…D’accord ?— D’accord, répondit Homer Wells. Je crois que c’est mal, mais je crois aussi que chacun devrait avoir le droit de choisir, personnellement. Qu’y a-t-il de plus personnel que décider si l’on veut un enfant ou non ?

 

Extrait Page 444

Quand le temps passe, on a envie de revoir les gens qui vous connaissent bien ; c’est à eux que l’on peut parler. Quand assez de temps est passé, qu’importe le mal qu’ils vous ont fait.


Extrait Page 475

Il fit cadeau de l’objet au chef de gare, qu’il tenait pour le genre de connard parfaitement adapté à cette invention ; n’était-ce pas ce qu’il fallait pour occuper l’esprit d’un homme passant ses journées à attendre des trains ? Wilbur Larch fut le premier homme du Maine à donner à la télévision le nom qu’elle mérite : « une boîte idiote ». Le Maine, bien entendu – et Saint Cloud’s en particulier – semblait recevoir tout plus tard que le reste du pays, et le comprendre plus lentement.Mais Wally adorait la regarder, et Ange l’imitait chaque fois que Candy et Homer ne s’y opposaient pas. Wally prétendait par exemple que des événements télévisés, comme les audiences McCarthy, étaient éducatifs pour l’enfant.— Il doit apprendre, disait Wally, que les cinglés d’extrême droite mettent toujours le pays en danger.


Extrait Page 476

Le Dr Gingrich, de plus en plus fasciné par les bonds en avant que faisait le cerveau de sa collègue, demeurait encore sous le coup de l’image troublante d’un homosexuel non pratiquant. N’était-ce pas une accusation brillante à lancer contre quelqu’un légèrement (ou énormément) différent ? Et comment trouver un meilleur bruit à faire courir sur quiconque ? On ne pouvait jamais le confirmer ou l’infirmer. Le Dr Gingrich regretta de ne pas avoir envisagé cette accusation – seulement comme moyen de provocation – lorsqu’il pratiquait encore la psychiatrie.


Extrait Page 506

 « Voici le piège dans lequel tu es pris, écrivit-il encore à Homer. Et ce n’est pas mon piège – ce n’est pas moi qui t’y ai pris. Parce que l’avortement est illégal, des femmes qui ont le besoin et le désir de se faire avorter ne disposent d’aucun choix en la matière ; et toi – parce que tu sais comment les avorter –, tu ne disposes d’aucun choix non plus. Ce qui a été violé en l’occurrence, c’est ta liberté de choisir, et la liberté de choisir de chaque femme de ce pays. Si l’avortement était légal, les femmes auraient le choix – et toi aussi. Tu pourrais alors te sentir libre de refuser de les avorter, parce que quelqu’un d’autre accepterait. Mais les choses étant ce qu’elles sont, tu es pris au piège. Les femmes sont prises au piège. Les femmes sont des victimes, et toi aussi.

« Tu es mon œuvre d’art, écrivit Wilbur Larch à Homer Wells. Tout le reste n’a été que du travail. Je ne sais pas si tu possèdes une œuvre d’art en toi, conclut Larch dans sa lettre, mais je sais quel est ton travail, et tu le sais aussi. À présent, le médecin, c’est toi.


Extrait Page 529

Lors de la pressée de nuit qui suivit, Ange s’assit avec Rose Rose sur le toit du chai et lui raconta tout sur l’océan : l’étrange lassitude que l’on ressent au bord de la mer, le poids de l’air, le voile de brume au milieu d’un beau jour d’été, la façon dont le ressac adoucit toutes les arêtes. Il lui raconta tout ce qu’il savait. Comme nous aimons aimer les choses pour les autres ! Comme nous aimons que les autres aiment les choses par nos yeux

 

 

 
 
 

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