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L'étranger - Albert Camus

  • Photo du rédacteur: deslivresetmoi72
    deslivresetmoi72
  • 16 nov.
  • 6 min de lecture
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J’ai relu ce célèbre roman à l’occasion de son adaptation pour le cinéma par François Ozon. Je l’avais découvert au lycée, mais je ne me souvenais que très peu de ce que j’avais lu et ressenti à l’époque. Le roman est assez court…et sa relecture m’a laissée assez perplexe…C’est un roman dont la force est de nous faire réfléchir à de nombreux thèmes forts en très peu de pages, dans une histoire somme toute assez courte : le sens de la vie, le rôle de la justice, ce qui nous rend « humains » dans nos relations aux autres…

Meursault est un « héros » dont le lecteur reste éloigné. Camus met une distance importante entre son personnage et le lecteur : à aucun moment, on ne sent en empathie avec Meursault. Ce qui m’a aussi surprise, c’est le style très simple, épuré à l’extrême…pour coller à la « simplicité d’esprit » qui semble caractériser le personnage principal. Son indifférence aux évènements qui l’entourent, son manque de recul sur ses actions et sen entêtement à saborder lui-même sa vie le rendent étranger au lecteur ! Dans ce récit, tout le monde reste un étranger pour les autres, chacun dans « sa bulle d’égocentrisme », sauf le personnage de Marie qui insuffle de la vie et de la fraîcheur.

 

Le livre s’ouvre avec l’incipit le plus célèbre : « Aujourd'hui, maman est morte. Ou peut-être hier, je ne sais pas. ». C’est d’abord le récit d’un fils sans émotion au décès et à l’enterrement de sa mère, ne respectant pas la dignité exigée par les circonstances, quitte à choquer ceux qui en sont témoins. Ensuite, Meursault accepte d’aider un voisin violent à « punir » une femme dont il estime qu’elle l’a trahie, allant jusqu’à défendre les actes ce voisin devant les policiers…Ensuite, Meursault tue de sang-froid, à la plage, un arabe algérien pour une altercation avec cet ami… Il n’exprimera aucun regret, comme si ce geste était « naturel » et relevait d’une forme de fatalité. Le procès montre une société et une justice qui cherchent à comprendre un geste que lui-même est incapable d’expliquer, une société et une justice qui condamnent le geste incriminé…mais aussi, surtout, un homme qui est incapable de pleurer la mort de sa mère.

 

Ce roman se situe dans un cycle sur l’absurde dans l’œuvre de Camus et il me semble que ce qui pourrait caractériser Meursault, c’est l’incompréhension : il ne comprend pas les réactions et émotions des autres, et les autres ne comprennent pas non plus ses comportements ou ses « non-réactions ». Il semble « ne pas avoir les codes » qui régissent la société et les relations amicales, familiales, professionnelles et amoureuses ! Symboliquement, dans tout le roman, la lumière et le soleil sont liées au malaise, à l’inconfort alors que l’ombre, la nuit, le sommeil sont des moments de soulagement ou de réconfort.


Extrait Page 7

C’est à ce moment que les amis de maman sont entrés. Ils étaient en tout une dizaine, et ils glissaient en silence dans cette lumière aveuglante. Ils se sont assis sans qu’aucune chaise grinçât. Je les voyais comme je n’ai jamais vu personne et pas un détail de leurs visages ou de leurs habits ne m’échappait. Pourtant je ne les entendais pas et j’avais peine à croire à leur réalité.

 

C’est à ce moment que je me suis aperçu qu’ils étaient tous assis en face de moi à dodeliner de la tête, autour du concierge. J’ai eu un moment l’impression ridicule qu’ils étaient là pour me juger.

 

Extrait page 8

Quand je suis sorti, le jour était complètement levé. Au-dessus des collines qui séparent Marengo de la mer, le ciel était plein de rougeurs. Et le vent qui passait au-dessus d’elles apportait ici une odeur de sel. C’était une belle journée qui se préparait. Il y avait longtemps que j’étais allé à la campagne et je sentais quel plaisir j’aurais pris à me promener s’il n’y avait pas eu maman.

 

Extrait page 17

J’ai pensé que c’était toujours un dimanche de tiré, que maman était maintenant enterrée, que j’allais reprendre mon travail et que, somme toute, il n’y avait rien de changé.

 

Extrait page 22

J’ai bien vu qu’il y avait de la tromperie. Alors, je l’ai quittée. Mais d’abord, je l’ai tapée. Et puis, je lui ai dit ses vérités. Je lui ai dit que tout ce qu’elle voulait, c’était s’amuser avec sa chose. Comme je lui ai dit, vous comprenez, monsieur Meursault : « Tu ne vois pas que le monde il est jaloux du bonheur que je te donne. Tu connaîtras plus tard le bonheur que tu avais. »

Il l’avait battue jusqu’au sang. Auparavant, il ne la battait pas. « Je la tapais, mais tendrement pour ainsi dire. Elle criait un peu. Je fermais les volets et ça finissait comme toujours. Mais maintenant, c’est sérieux. Et pour moi, je l’ai pas assez punie.

 

Extrait page 26

Elle avait un de mes pyjamas dont elle avait retroussé les manches. Quand elle a ri, j’ai eu encore envie d’elle. Un moment après, elle m’a demandé si je l’aimais. Je lui ai répondu que cela ne voulait rien dire, mais qu’il me semblait que non. Elle a eu l’air triste.

 

Extrait page 41

Nous nous regardions sans baisser les yeux et tout s’arrêtait ici entre la mer, le sable et le soleil, le double silence de la flûte et de l’eau. J’ai pensé à ce moment qu’on pouvait tirer ou ne pas tirer. Mais brusquement, les Arabes, à reculons, se sont coulés derrière le rocher. Raymond et moi sommes alors revenus sur nos pas.

 

Extrait page 43

J’ai attendu. La brûlure du soleil gagnait mes joues et j’ai senti des gouttes de sueur s’amasser dans mes sourcils. C’était le même soleil que le jour où j’avais enterré maman et, comme alors, le front surtout me faisait mal et toutes ses veines battaient ensemble sous la peau. À cause de cette brûlure que je ne pouvais plus supporter, j’ai fait un mouvement en avant. Je savais que c’était stupide, que je ne me débarrasserais pas du soleil en me déplaçant d’un pas. Mais j’ai fait un pas, un seul pas en avant.

 

J’ai secoué la sueur et le soleil. J’ai compris que j’avais détruit l’équilibre du jour, le silence exceptionnel d’une plage où j’avais été heureux.

 

Extrait page 50

Le juge s’est alors levé, comme s’il me signifiait que l’interrogatoire était terminé. Il m’a seulement demandé du même air un peu las si je regrettais mon acte. J’ai réfléchi et j’ai dit que, plutôt que du regret véritable, j’éprouvais un certain ennui. J’ai eu l’impression qu’il ne me comprenait pas.

 

Extrait page 55

Toute la question, encore une fois, était de tuer le temps. J’ai fini par ne plus m’ennuyer du tout à partir de l’instant où j’ai appris à me souvenir.

 

Extrait page 57

J’avais bien lu qu’on finissait par perdre la notion du temps en prison. Mais cela n’avait pas beaucoup de sens pour moi. Je n’avais pas compris à quel point les jours pouvaient être à la fois longs et courts. Longs à vivre sans doute, mais tellement distendus qu’ils finissaient par déborder les uns sur les autres. Ils y perdaient leur nom. Les mots hier ou demain étaient les seuls qui gardaient un sens pour moi.

 

Extrait page 67

Mais le procureur s’est redressé encore, s’est drapé dans sa robe et a déclaré qu’il fallait avoir l’ingénuité de l’honorable défenseur pour ne pas sentir qu’il y avait entre ces deux ordres de faits une relation profonde, pathétique, essentielle. « Oui, s’est-il écrié avec force, j’accuse cet homme d’avoir enterré une mère avec un cœur de criminel. » Cette déclaration a paru faire un effet considérable sur le public. Mon avocat a haussé les épaules et essuyé la sueur qui couvrait son front. Mais lui-même paraissait ébranlé et j’ai compris que les choses n’allaient pas bien pour moi.

 

Extrait page 67

Oui, c’était l’heure où, il y avait bien longtemps, je me sentais content. Ce qui m’attendait alors, c’était toujours un sommeil léger et sans rêves. Et pourtant quelque chose était changé puisque, avec l’attente du lendemain, c’est ma cellule que j’ai retrouvée. Comme si les chemins familiers tracés dans les ciels d’été pouvaient mener aussi bien aux prisons qu’aux sommeils innocents.

 

Extrait page 68

Malgré mes préoccupations, j’étais parfois tenté d’intervenir et mon avocat me disait alors : « Taisez-vous, cela vaut mieux pour votre affaire. » En quelque sorte, on avait l’air de traiter cette affaire en dehors de moi. Tout se déroulait sans mon intervention. Mon sort se réglait sans qu’on prenne mon avis. De temps en temps, j’avais envie d’interrompre tout le monde et de dire : « Mais tout de même, qui est l’accusé.


Extrait page 69

Moi j’écoutais et j’entendais qu’on me jugeait intelligent. Mais je ne comprenais pas bien comment les qualités d’un homme ordinaire pouvaient devenir des charges écrasantes contre un coupable.


Extrait page 71

Je me suis levé et comme j’avais envie de parler, j’ai dit, un peu au hasard d’ailleurs, que je n’avais pas eu l’intention de tuer l’Arabe. Le président a répondu que c’était une affirmation, que jusqu’ici il saisissait mal mon système de défense et qu’il serait heureux, avant d’entendre mon avocat, de me faire préciser les motifs qui avaient inspiré mon acte. J’ai dit rapidement, en mêlant un peu les mots et en me rendant compte de mon ridicule, que c’était à cause du soleil. Il y a eu des rires dans la salle.

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