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Après la brume - Estelle Rocchitelli

  • Photo du rédacteur: deslivresetmoi72
    deslivresetmoi72
  • 30 nov.
  • 4 min de lecture
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Livre acheté lors de la fête du livre de la ville voisine, après avoir rencontré son autrice. C’est un premier roman et ma première impression au début de ma lecture a été la surprise … un style très personnel,  descriptif sans longueurs, assez envoûtant, imagé et poétique. J’ai vraiment eu l’impression d’être embarquée sur cette île avec les personnages du récit. La nature et les éléments sont omniprésents, personnage à part entière dans l’histoire. Ce sont des chapitres très courts, consacrés chacun au point de vue d’un des personnages concernés par la disparition de Raph, petite fille qui semble s’être volatilisée dans la brume lors d’une sortie à pied avec sa classe. Tina, sa mère, aidée par toutes ses connaissances sur l’île, part à sa recherche. Au travers de ces battues menées sur l’île pour retrouver Raph, le lecteur approche la vie singulière des îliens et leurs relations. Habiter sur une si petite île est atypique et chacun a ses raisons pour vivre à ce point retiré de l’agitation habituelle de notre société. Estelle Rocchitelli pose un regard empreint de tendresse pour ces habitants singuliers. Enfin, les îles sont aussi propices aux ambiances un peu occultes…et ce soupçon de mystère convient parfaitement à ce récit. Une belle découverte, je pense que je vais surveiller les prochains livres de cette jeune autrice très sympathique.

 

Extrait Page 11

Depuis le premier jour, je sens le grain venir. Ca prévient entre les genoux, aux arêtes des poignets. C’est infime et ça gratte, sable qui roule entre mes nerfs. Au soir du soixante-seizième automne, je marche dans la plaine. Les champs prennent vie plus fort que d’ordinaire. Il faut avancer, avancer avant que le vent ne devienne un mur.

 

Extrait Page 25

Sur le chemin qui descend vers la mer, je me demande pourquoi je ne sais pas aimer comme il aime. Sans réfléchir, le regarder avec cette évidence qu’il porte sur son visage quand il me voit entrer. Cueillir la chaleur qu’il dépose sur mes épaules, m’en faire une couverture, au lieu de mes reflexes de brute, reculer, cogner, se pencher pour mieux encaisser. Ressasser, ressasser, tout reconsidérer. Je veux tendre les bras sans me demander comment c’était hier, ce qu’il y aura demain, comment on fait pour que ça dure. Il construit le château de sable sans en avoir l’air, et je soulève chaque seau pour voir ce qu’il y a dessous.

 

Extrait page 25

Un grand pan de brume arrive de l’océan, s’étend jusqu’au sable, avance lentement. Un chien passe près de l’eau. Le mur blanc se mêle à l’écume, enveloppe les vagues, se propage jusqu’aux restes du bateau abandonné sur la plage. Le brouillard entoure l’épave, traverse les murs de bois et de béton gris, les contours se désagrègent, c’est une masse claire, un écran gris devant les yeux. Serrés contre moi, les enfants observent, étonnamment calmes. Les souffles légers se perdent dans le froissement des cirés. Les uns contre les autres, au bord de la falaise, on regarde la plage disparaître.

 

Extrait page 35

Je me demande si perdre la tête n’est pas la seule façon de tenir debout, sur ce rocher noir du bout du monde.

 

Extrait page 67

La voix m’attrape par la nuque. Elle est debout, plus haut, elle surplombe la baie. La peau grêle et sombre, des cernes aux yeux, la bouche cousue dans son visage serré. Le long tricot descend jusqu’aux genoux, les cheveux courts s’échappent, noirs. Dans les orbites, les yeux creusés par la mer, la question sans réponse. Elle appelle et je me rends compte que ce n’est pas ma mère.

C’est une autre. Ses yeux passent à travers, regardent sans me voir. Ils cherchent quelqu’un, ils scrutent le sable, qui s’écoule sous la roche. Les yeux retournent toutes les pierres. Je lui réponds, elle n’entend pas, celle qu’elle cherche n’est pas ici. Je connais cette femme, ce n’est pas ma mère mais je sais d’avant ce visage qui redoute, le visage qui craint que le corps chaud, celui qu’il connaît bien, fils, ami, amant, amante, sœur, fille, se soit éteint au fond de l’eau.

 

Extrait page 108

Embarquée sur le bateau du matin, enceinte sous le ciré, les clés dans ma poche, je regardais le vent décoiffer les mouettes, les fous de Bassan se poser sur les récifs, je savais que j’avais fait le bon choix. Je rentrais là où je n’avais jamais mis les pieds, l’inconnu dans le ventre. A dix-huit ans, ma mère avait quitté les lieux pour voyager, vivre sur le continent, connaître autre chose que les contours d’une île qu’elle arpentait de long en large. J’étais née de ce départ. Elle m’en parlait peu, mais certains refrains lui restaient dans la voix, quand elle fredonnait, pensive, et je savais que, quelque part, une maison attendait de l’autre côté de la mer.

 

Extrait page 118

Peut-être qu’elle est chez Greg, qu’il va la ramener, que c’est une blague qu’ils me font depuis hier. Elle va arriver, dire bouh, on rigolera et tout sera fini. Marielle, je suis retournée dans l’épave ce matin, j’ai encore envie d’y aller, je te jure je veux y retourner, je sais que ça ne sert à rien mais je vais y aller, jusqu’à ce que la marée monte, j’ai regardé partout, tous les endroits qu’elle connaît, je ne sais pas, je me dis qu’elle aurait pu laisser quelque chose, un indice pour moi, qu’elle se cache pour les autres et qu’elle m’attend. Mais il n’y a rien. J’ai l’impression qu’elle me trahit, mais c’est moi qui foire tout. C’est moi qui ne la retrouve pas.

 

 

Extrait page 173

Le vent moi je l’aime. Enfant de la tempête, je le connais bien. Je l’attends sur le pas de la porte, cheveux emmêlés, les rafales emportent pleurs, disputes, malentendus, dissipent la peine, ce qui s’est enchevêtré dans les jours gris. Celle ou celui qui cire sa rage choisit toujours un jour de tempête, pour ne pas être entendu. Penchée au dehors, quand les arbres ploient, je prends garde de ne pas recevoir les tracas, la colère des habitants. Quand vient le fracas, ma mère, je le sais, sourit en secret. Quelque chose échappe aux regards, quand elle confie des torts, les pensées fines à la tourmente, au ciel qui fond sur la maison basse. Puis elle se reprend, rassemble les siens autour de la table, dit ne bougez pas, cette nuit le toit vous protègera.

 

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