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A rude épreuve - Elizabeth Jane Howard

  • Photo du rédacteur: deslivresetmoi72
    deslivresetmoi72
  • 28 déc. 2020
  • 9 min de lecture

Après Etés anglais, c’est le deuxième tome de la saga des Cazalet. Si j’avais eu un peu de mal à entrer dans l’histoire au premier tome, cette fois j’étais très heureuse de retrouver les personnages de la famille Cazalet et le style sobre, épuré et délicat de l’autrice. Je me suis plongée dans ce tome avec ravissement. On continue à suivre tous les membres de la famille, installée dans le Sussex alors que la seconde guerre perturbe tout le pays et donc le quotidien de cette famille. La maison familiale se transforme en « pension de famille » ou refuge pour les proches touchés par la guerre. On se tasse, on s’organise pour nourrir toute la tribu, on cohabite… Dans ce tome, les ados volent un peu la vedette aux adultes, mais l’exploit d’Elizabeth Jane Howard est quand même de réussir à raconter le destin de TOUS les membres de la famille, sans que l’histoire ne soit centrée sur un personnage principal. S’il fallait désigner le personnage principale de la saga, ce serait la maison, la bien nommée « Home Place »! A travers les tracas de cette famille, elle aborde de nombreux thèmes : la vie quotidienne des civils en Angleterre pendant la seconde guerre mondiale, le rôle et la place grandissante des femmes dans la société pendant cette période où elles ont souvent dû faire face seule, la maternité désirée ou non, la vie de couple, la fidélité (ou l’infidélité ! ), l’homosexualité encore taboue, l’engagement, le passage à l’âge adulte pendant cette période troublée, les valeurs transmises par l’éducation. ;; tous ces sujets sont abordés, au fil des pages, en filigrane.


Ces romans sont très « cosy », on les lit en se croyant au coin du feu, dans la grande maison familiale, avec un bon thé anglais et des scones tièdes !

Extrait P 19

« Fin de l’alerte : cria quelqu’un depuis l’entrée.

- Ça devait être une fausse alerte », dit Teddy ; il semblait déçu.

- « De toute façon, on n’aurait rien vu, enterrés dans cet horrible vieil abri, dit Neville. En plus, vous avez entendu : la guerre leur sert de prétexte pour ne pas aller à la plage, et ça, c’est le truc le plus injuste que j’aie jamais entendu de ma vie.

- Ne sois pas idiot, Neville ! le rabroua Lydia. Personne ne va à la plage quand c’est la guerre. »

- Il y avait de l’électricité dans l’air, songea Polly, bien que tout semblât inchangé dehors en ce beau dimanche matin de septembre.


Extrait P 57

La Duche ne mentionna jamais le bébé – Zoë avait craint que leur intimité croissante ne l’y incite, et qu’elle-même, sous ce regard direct et franc, ne soit contrainte se dire des choses qu’elle ne ressentait ou ne pensait pas, mais ça n’arriva jamais -, pas plus que la Duche ne suggéra, par quelque lointain sous-entendu, qu’elle dût avoir un autre bébé. Parce que cette perspective, qui lui semblait parfois son seul avenir, planait au-dessus d’elle, inexprimée et pourtant implicite. Dans la famille Cazalet, les épouses avaient des enfants – plusieurs enfants ; c’était normal et attendu. Apparemment, ni Sybil ni Villy ne partageaient sa répulsion pour tout ça ; elles lui semblaient dotées de tout l’attirail qu’étaient l’instinct maternel, le mépris pour leur propre corps, pour les désagréments et la douleur et, pire, elles paraissaient invariablement ravies des résultats, tandis que Zoë trouvait les bébés un peu dégoûtants, et la plupart des enfants, du moins jusqu’à l’âge de Clary, pénibles. C’étaient là les sentiments qui dominaient chez elle ; elle n’était pas comme ses belles-sœurs, et alors qu’un an plus tôt, elle se trouvait supérieure, plus belle, et, en conséquence, plus intéressante, elle se sentait désormais inférieure – lâche, monstrueuse, quelqu’un qu’ils seraient horrifiés d’accueillir parmi eux s’ils savaient.


Extrait P 105

La première soirée de guerre se passa comme tant d’autres soirées, ponctuée par la succession des protestations mécaniques de chacun des enfants – fierté oblige – quand arrivait son heure d’aller se coucher.


Extrait P 126

« Peut-être que tu veux juste être célèbre. Moi, je m’en fiche. Je m’inscrirai par curiosité. On n’a pas besoin d’être doué pour s’intéresser aux choses. L’amusant, c’est de les essayer. »


Extrait P 128

De quoi dépendait la structure de classes, d’après Louise ? Du fait que les gens recevaient si peu d’éducation qu’ils ne pouvaient exercer que les emplois ennuyeux et ingrats, ou que certains avaient une vocation, comme els infirmières, qu’ils voulaient tellement exercer qu’ils étaient prêts à accepter d’être très mal payés. Il suffisait de s’assurer que le peuple était mal formé et mal rémunéré pour le maintenir dans une position où personne d’autre ne voulait être, conclut-elle.

Extrait P 143

C’était nouveau pour elle (Louise) de remarquer des choses et d’avoir des avis personnels : chez elle, elle n’avait jamais rien remis en question. Une preuve qu’elle grandissait – qu’elle vieillissait et, par conséquent, devenait plus intéressante ?


Extrait P 165

Elle se rappela Tante Rachel lui disant qu’à son âge, les jeunes commençaient à s’apercevoir que leurs parents n’étaient pas que des parents mais aussi des gens, et les gens étaient bien plus stressants que les parents. Avec les parents, on n’avait pas à agir, seulement à réagir – ils étaient là, c’est tout. Ca ne signifiait pas qu’ils ne pouvaient pas vous rendre la vie impossible, mais quoi qu’ils fassent, on n’était pas responsable d’eux.



Extrait P 172

Le problème, quand on écrivait quoi que ce soit, c’est que ça vous faisait penser à autre chose. Elle avait l’impression d’être un puits sans fond de souvenirs, et elle n’avait que quinze ans. Qu’est-ce que ça devait être quand on atteignait l’âge de la Duche ? On ne devait plus pouvoir penser ; comme dans une pièce si encombrée de meubles qu’on n’a plus la place de circuler.


Extrait P 208

J’avais envie qu’il appelle ou écrive depuis très longtemps, et maintenant qu’il l’a fait, ça me rend profondément triste – et aussi un peu effrayée. J’ai pensé à plein de choses que je ne lui avais pas dites ; elles paraissaient anodines prises séparément, mais je regrettais de ne pas les lui avoir racontées, parce que les semaines passant ces choses-là s’accumulent et que dans un an, il risque de ne plus me connaître du tout. C’est différent pour lui parce que, dans l’ensemble, j’ai l’impression que les adultes ne changent pas. Si c’est vrai, je me demande à quel moment les gens sont plus ou moins finis et restent tels qu’ils sont devenus. Et s’ils peuvent choisir ce moment.

J’ai pleuré après le coup de téléphone de papa.


Extrait P 220

Elle avait pressé le combiné si fort qu’elle avait mal à l’oreille en raccrochant. LE choc était tel qu’elle se sentit très calme – elle ne pouvait s’ôter de la tête l’idée dérisoire que si elle ne s’était pas fait passer pour Zoë, la conversation aurait pu ne jamais avoir lieu – qu’une espèce de justice puérile avait été rendue : elle avait dit un mensonge, bien fait pour elle. Ça, c’était ridicule, mais pas le reste. Son père était… des larmes commencèrent à ruisseler sur son visage. Son père était… était peut-être… non, impossible – elle, qui avait déjà subi une perte inconcevable, insupportable, avait pourtant du mal à ne pas croire que c’était en train de se reproduire. Que ce soit épouvantable n’y changeait rien.


Extrait P 225

( Christopher / Polly) Ils avaient eu plusieurs conversations sérieuses à propos de la guerre. Plus elle l’écoutait, plus elle se sentait tiraillée entre deux extrêmes : soit elle pensait que tout ça n’avait aucun sens et que l’objection de conscience était la seule attitude digne, soit elle se disait qu’Hitler était une espèce de démon malfaisant qu’il fallait détruire à n’importe quel prix. A cela s’ajoutait l’idée que, le risque d’invasion devenant plus tangible, il fallait y résister par tous les moyens. C’était ce que disait Me Churchill. On racontait aussi que le roi, qui, lui, était irréprochable, s’entraînait à tirer au fusil dans les jardins du palais de Buckingham afin de pouvoir mourir en combattant. Il ne s’était pas enfui au Canada comme la famille royale hollandaise. C’était horrible de ne pas avoir d’opinion ferme, mais elle n’était sûre de rien. Elle avait tenté d’interroger Miss Milliment qui, après l’avoir écoutée attentivement, lui avait dit que ce genre d’indécision était parfois une forme de sincérité.



Extrait P 333

Sid ferma les volets de devant et alla tirer les rideaux des portes-fenêtres. On ne distinguait plus le ballon de fumée, mais le ciel avait pris une couleur rouge orange surnaturelle. Le bruit des canons s’était tu.

Rachel sentit qu’il y avait quelque chose de bizarre, puisque Sid ne bougeait plus. Elle se leva pour aller la rejoindre. Ensemble, elles observèrent. « On dirait que le ciel saigne, dit Rachel. L’attaque a dû être terrible. »


Extrait P 357

Elle ( Louise) paraissait si malheureuse que Stella rit et lui passa un bras autour des épaules. « Haut les cœurs ! C’est beaucoup moins important que d’être une actrice mondialement connue, tu ne crois pas ?

- Tais-toi ! Je ne vais même pas avoir le droit de le devenir ! Ils vont m’obliger à faire un boulot de dactylo barbant jusqu’au moment où il sera trop tard ! J’ai l’impression de n’avoir fait qu’attendre pendant toute ma vie, et maintenant, juste au moment où elle pourrait commencer, cette satanée guerre va tout gâcher.

- La plupart des gens ne peuvent pas faire ce qu’ils veulent pendant la guerre.

- Tu parles. Mon père était enchanté d’organiser la défense d’un aérodrome. Il n’avait pas du tout envie d’aller réparer les dégâts subis par l’entreprise après le bombardement. Et je parie qu’il y a plein de gens qui aiment se battre. Tu me trouves égoïste, je le sais, et tu as raison. Tout ce que je dis, c’est que je ne suis pas la seule, mais que ça se voit moins chez les autres parce qu’ils veulent faire des choses qui sont valorisées.

Plus elle parlait ainsi, plus elle avait mauvaise conscience. Dans une minute, elle le savait, Stella lui ferait remarquer que les milliers de personnes chassées de chez elles par les bombardements n’avaient sûrement pas aimé ça, aussi s’empressa-t-elle d’ajouter : « Je sais que j’ai beaucoup de chance en comparaison avec la plupart des gens, mais je ne trouve pas ça très réconfortant ; au contraire, ça me fait culpabiliser de me sentir aussi mal.


Extrait P 410

Le pire, quand on est si vieux, est sûrement de faire les choses pour la dernière fois. Elle doit être triste de savoir qu’elle ne retournera jamais chez elle. Tante Villy dit qu’elle ne s’en rend plus compte, mais je ne vois pas comment elle peut l’affirmer ; d’après moi, Grania a des moments de lucidité extrêmement tristes, où elle comprend ce qui lui arrive, sauf que ça arrange les autres de s’imaginer qu’elle est zinzin tout le temps. C’est la même logique qui fait qu’ils évitent de parler des sujets difficiles ou pénibles. L’hypocrisie règne en maître, si vous voulez mon avis.


Extrait P 419

« Tu es trop jeune », a-t-elle dit. Dieu merci, le nombre de choses pour lesquelles je suis trop jeune doit aller en diminuant ; d’un autre côté, je suppose qu’on a à peine le temps de se retourner qu’il y a de plus en plus de choses pour lesquelles on est trop vieux. On perd à tous les coups. J’ai hâte d’avoir trente ans, un âge qui doit représenter un bref répit dans ce dilemme.


Extrait P 491

Chaque journée était une épreuve où elle devait se lever dans un froid glacial, prendre son petit déjeuner, assister aux leçons, passer un peu de temps avec Christopher et avec sa mère, faire ses devoirs, recoudre et repasser des vêtements ou s’occuper de Wills et de Roly à la place d’Ellen. Le présent semblait gris ; l’avenir noir. Elle vivait dans un brouillard de terreur.


Extrait P 493

Polly regarda les petits yeux gris qui l’observaient avec bonté et perspicacité, et se sentit comprise – un sentiment qui lui procura chaleur et légèreté. « Ce que vous dites, déclara-tg-elle, c’est que je ne dois pas juger les autres selon mes propres critères – selon ce que je suis, moi.

- C’est toujours un obstacle sur le chemin de l’amour, tu ne trouves pas ? dit Miss Milliment, comme si Polly y avait pensé la première. Les jugements ont tendance à tout gâter, d’après mon expérience. »


Extrait P565

Ce soir, cependant, Christopher prêtait moins d’attention au chien que d’habitude. La nouvelle ( = attaque de Pearl Harbour) l’avait horrifié. L’attitude des Japonais ne l’avait pas seulement choqué, elle lui posait aussi de nouveaux cas de conscience très inquiétants. Que ressentirait-il, s’il était américain, face à cette situation ? Des gens qui menaient ce genre d’attaque étaient capables de tout. Donc, s’il était américain, n’estimerait-il pas de son devoir d’aller aussitôt défendre son pays contre d’autres assauts de ce genre ? Et au-delà de ça : fallait-il être américain pour avoir ce sentiment ? Il était contre la guerre parce qu’il ne voulait pas que les gens s’entre-tuent, mais en réalité, c’était ce qui se passait. Pouvait-on vraiment se sentir supérieur à tous les autres quand au moins une partie d’entre-eux, qui désapprouvaient aussi la guerre, s’engageaient pour faire le sale boulot ? Au milieu de tous les conflits qu’il avait connus au cours de l’année écoulée, de tout le malheur éprouvé, il n’avait jamais envisagé qu’il pût avoir tort – non pas d’un point de vue intellectuel, mais tort de se couper de ses semblables.


Extrait P 570

« On cache des choses aux autres par amour. Mais en fait, plus on aime les gens, plus on devrait leur dire les choses – même les choses difficiles. Je pense que c’est la meilleure preuve d’amour que de leur parler. »


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