Anne d'Avonlea - Lucy Maud Montgomery
- deslivresetmoi72
- 19 juil. 2022
- 8 min de lecture

Délicieuse plongée dans mes souvenirs d’adolescente : ma grand-mère, abonnée à France loisirs ( Comme presque toutes les grand-mère de cette époque ! ) m’avait offert le livre Anne, La maison aux pignons verts et j’avais adoré ce livre, je l’avais, lu et relu de nombreuses fois. Des années plus trad, je l’ai fait découvrir à ma fille, craignant un peu qu’elle le trouve trop datée ! Elle a adoré et nous avons peu de temps après découvert la série Anne sur Netflix ! Bien sûr, nous avons beaucoup aimé cette série tendre et bien tournée. Ma fille a ensuite littéralement craqué pour la réédition des romans par les éditions Monsieur Toussaint Laverdure : les livres sont en effet magnifiques ! Elle les a reçus en cadeau par sa grand-mère ( La boucle est bouclée) et me les prête !
C’est une lecture très agréable : j’ai retrouvé le style plein de poésie et assez descriptif de l’autrice, un brin désuet, mais charmant et léger ! Parfaite lecture pour commencer l’été en douceur. J’ai retrouvé avec plaisir les personnages d’Avonlea, village de l’île du Prince Edouard. Anne a grandi, elle vit avec Marilla après le décès de Matthew. Elle est devenue l’institutrice du village et s’est assagie. Dans ce tome, à l’aube de l’âge adulte, elle confirme ses idéaux, son optimisme et son imagination : elle enseigne avec passion et bienveillance, œuvre bénévolement pour l’embellissement d’Avonlea avec ses complices de toujours, Diana et Gilbert, rend visite aux personnes isolées, relaie Marilla dans l’éducation des jumeaux orphelins récemment recueillis.
Il n’y a pas vraiment de nouvelle intrigue, mais la magie de l’écriture élégante et poétique opère. J’y retrouve le même charme que dans certaines œuvres des sœurs Brontë, ou encore, par certains côtés, Anne me fait penser à Jo des Quatre filles du Dr March. Ce livre m’a offert une bouffée de douce nostalgie et une parenthèse poétiques délicieuse.
Extrait P7 (début du tome)
Anne, le menton calé sur ses doigts croisés, les yeux fixés sur la splendide masse duveteuse des nuages qui s’amoncelaient au-dessus de la maison de Monsieur Harrison, était loin, dans un monde délicieux, où une certaine institutrice faisait un travail merveilleux, façonnant le destin de futurs hommes d’Etat et insufflant de hautes et nobles ambitions dans le scoeur et l’esprit des jeunes gens.
Il est vrai que, si on regardait la réalité en face – ce qu’Anne, il faut l’avouer, faisait rarement à moins d’y être obligée-, il semblait peu probable que l’école d’Avonlea recèle vraiment de futurs talents ; mais qui sait ce qui peut arriver lorsqu’une institutrice use de son influence pour faire le bien ? Anne avait certains grands idéaux sur ce qu’une enseignante pouvait accomplir, à condition de bien s’y prendre ; et elle était au beau milieu d’une scène délectable où, quarante ans plus tard, une personnalité – les raisons de sa célébrité restaient floues, mais Anne se serait bien plu à la voir présider à l’Université ou Premier Ministre du Canada – se courbait sur sa vielle main fripée, et lui affirmait que c’était elle qui avait en tout premier éveillé ses ambitions, et que tous les succès de son existence étaient dus aux leçons qu’Anne lui avait dispensées il y a si longtemps à l’école d’Avonlea. Mais cette plaisante vision vola en éclat de la plus déplaisante façon.
Extrait P35
« Finalement, le monde tourne plutôt bien, n’est-ce pas, Marilla ? conclut Anne d’un ton joyeux. Madame Lynde se plaignait l’autre jour que ce n’était pas vraiment le cas. Elle disait qu’il suffit de s’attendre à un événement heureux pour être déçu, d’une façon ou d’une autre. C’est peut-être vrai, mais il y a aussi un bon côté à ça : les difficultés ne sont pas toujours aussi terribles qu’on le craint ; et souvent les choses se passent bien mieux qu’on ne le pensait. Je m’attendais à vivre une expérience extrêmement désagréable quand je suis allée chez Monsieur Harrison ce soir, mais en fin de compte, il a été très aimable et je me suis presque amusée. Je crois qu’on sera vraiment de bons amis si chacun y met du sien ; et tout est bien qui finit bien. Mais ce qui est sûr, Marilla, c’est que je ne vendrai plus jamais de vache sans vérifier à qui elle appartient. Et je déteste les perroquets ! »
Extrait P87
Anne, installée sur la véranda, dans la lumière grise d’une soirée de novembre, savourait la grâce d’une douce brise qui soufflait de l’ouest à travers un champ fraîchement labouré, et venait siffler un petit air étrange en passant dans les sapins aux troncs sinueux, en contrebas du jardin. Elle tourna son visage rêveur par-dessus son épaule. « Le Problème, c’est que Madame Lynde et vous, vous ne vous comprenez pas, expliqua-t-elle. C’est toujours pour ça que les gens ne s’apprécient pas. Moi non plus, je ne l’appréciais pas, au début. Mais dès que j’ai réussi à la comprendre, j’ai appris à l’apprécier.
- Peut-être que certaines personnes acquièrent le goût de Madame Lynde. Mais si je n’aime pas les bananes, je ne vais pas continuer à en manger simplement parce qu’on me dit que je finirai par les apprécier, grogna Monsieur Harrison. Et pour ce qui est de la comprendre, je comprends surtout qu’elle fourre tout le temps son nez partout, et c’est exactement ce que je lui ai dit.
- Oh, ça a dû vraiment la blesser, lui reprocha Anne. Comment avez-vous pu lui dire une chose pareille ? Moi aussi j’ai dit des choses horribles à Madame Lynde il y a longtemps, mais c’était parce que j’avais perdu mon sang froid. Je ne l’aurais pas fait délibérément.
- C’était la vérité, et je crois qu’il faut dire la vérité.
- Mais vous ne dites pas toute la vérité, objecta Anne. Vous ne dites que son côté désagréable.
Extrait P 104
- [...]Anne, je ne sais pas ce que nous allons faire de cet enfant. Je n’ai jamais vu pire. Je suis vraiment découragée.
- Oh, ne dis pas ça, Marilla. Souviens-toi comme j’étais méchante quand je suis arrivée chez toi.
- Non, tu n’as jamais été méchante, Anne, jamais. Je le sais maintenant, j’ai appris ce que c’est qu’un enfant vraiment méchant. Tu allais constamment te fourrer dans des situations impossibles, c’est vrai, mais c’était toujours avec de bonnes intentions, alors que Davy est méchant par plaisir.
- Oh non, je ne crois pas qu’il y ait de réelle méchanceté chez lui, plaida Anne. C’est simplement de la malice. Et puis, il n’a pas grand-chose à faire ici, tu sais. Il n’a pas de copains avec qui jouer, et il a besoin de s’occuper l’esprit. Dora est tellement sage qu’elle ne peut pas faire une bonne camarade de jeu pour lui. Je crois vraiment qu’il faudrait les envoyer à l’école, Marilla.
- Pas question, dit-elle fermement. Mon père a toujours dit qu’un enfant ne doit pas être enfermé entre les quatre murs d’une école avant l’âge de sept ans, et Monsieur Allan est d’accord là-dessus. On peut leur faire apprendre quelques leçons, mais ces jumeaux n’iront pas à l’école avant d’avoir sept ans.
- Alors, il faudra essayer d’éduquer Davy ici, dit Anne avec entrain. Malgré tous ses défauts, c’est vraiment un bon petit gars. Je ne peux pas m’empêcher de l’aimer. J’ose à peine le dire, Marilla, mais entre nous, je préfère Davy à Dora, même si c’est une enfant modèle.
- C’est étrange mais c’est la même chose pour moi, avoua Marilla. Et c’est injuste car Dora est si calme. On ne peut pas imaginer enfant plus sage ; on ne se rend pas compte qu’elle est là.
- Dora est trop parfaite. Elle se comporterait aussi bien sans personne pour lui dire quoi faire. Elle est née éduquée, et elle n’a besoin de personne. Je crois, conclut Anne en mettant le doigt sur une vérité fondamentale, que les gens que nous aimons le plus sont ceux qui ont besoin de nous.
- C’est sûr qu’il a besoin de quelque chose, acquiesça Marilla. Rachel Lynde dirait que c’est d’une bonne fessée.
Extrait P 188
A la question de Davy, elle tourna la tête et répondit d’un ton rêveur :
« Par-delà les montagnes de la Lune,
Et au fond de la vallée de l’ombre. »
Paul Irving aurait compris, ou, dans le cas contraire, en aurait au moins inventé le sens. Mais Davy, qui avait l’esprit pratique et, comme Anne l’avait souvent remarqué, pas la moindre particule d’imagination, fut seulement dérouté et contrarié.
« Anne, je crois que tu racontes n’importe quoi.
- Oui, c’est vrai, mon petit Davy. Mais ne sais-tu pas qu’il n’y a que les imbéciles qui restent toujours rationnels ?
- Eh ben, tu pourrais quand même me faire une réponse sérieuse quand je pose une question sérieuse, dit-il, un peu vexé.
- Oh, tu es trop petit pour comprendre… »
Mais Anne eut un peu honte de cette réponse : n’avait-elle pas promis, ne se souvenant que trop d’avoir essuyé un tel mépris lorsqu’elle était plus jeune, de ne jamais dire à un enfant qu’il était trop petit pour comprendre ? Et voilà qu’elle répétait ça ; bien large le lit qui sépare les rivages de la théorie à la pratique.
« Je fais tout ce que je peux pour grandir, dit Davy, mais c’est une chose qu’on ne peut pas trop accélérer. »
Extrait P236
« C’est vrai qu’elle semble seule, dit Diana à voix basse. Il faut que nous revenions la voir régulièrement.
- Je crois que ses parents lui ont donné le prénom le plus juste et le plus approprié qui soit, déclara Anne. S’ils avaient été assez aveugles pour l’appeler Elizabeth, Nellie ou Muriel, nous aurions dû l’appeler Lavendar, je crois. Ça suggère le douceur, les manières d’autrefois et les « parures de soie ». Alors que le mien, c’est plutôt tartines beurrées, patchwork et corvée.
- Oh non, je ne crois pas. Anne me semble très majestueux et digne d’une reine. Mais je serais capable d’apprécier Kéren-Happuc si c’était ton prénom. Je crois que les gens rendent leur prénom agréable ou non, juste en étant qui ils sont. Je ne supporte plus les prénoms de Josie et Gertie alors qu’avant de connaître les filles Pye, je les trouvais très beaux.
- Quelle magnifique idée, Diana, s’enthousiasma Anne. Vivre de manière à rendre son prénom plus beau, même s’il ne l’était pas particulièrement au départ, et faire en sorte qu’on se le rappelle comme quelque chose de tellement charmant et d’agréable qu’on ne le voit même plus pour lui-même. Merci, Diana. »
Extrait P 115
Depuis deux ans, elle avait travaillé avec sérieux et dévouement, en faisant bien des erreurs et en apprenant d’elles. Elle en avait été récompensée. Elle avait appris des choses à ses élèves, mais il lui semblait qu’eux lui avaient appris bien plus encore : des leçons de tendresse, de maîtrise de soi, de sagesse innocente, et tout ce que savent les enfants au fond de leur cœur. Elle n’avait peut-être pas réussi à « inspirer » à ses élèves de grandioses ambitions, amis elle leur avait montré – par sa douce personnalité plus que par ses idées arrêtées – qu’il était bon et essentiel de vivre les années qui s’ouvraient à eux avec grâce et élégance, en n’oubliant jamais la sincérité, la courtoisie et la gentillesse, et en fuyant tout ce qui avait la saveur de la fausseté, de la mesquinerie et de la vulgarité. Aucun d’eux, sans doute, n’avait conscience d’avoir appris ce genre de leçons ; mais ils s’en souviendraient et les pratiqueraient longtemps après avoir oublié la capitale de l’Afghanistan et les grandes dates des Deux Roses.
« Encore un chapitre de ma vie qui se clôt », dit-elle à voix haute au moment exact où elle refermait la porte de sa classe. Cela l’attristait beaucoup, mais le romantisme de l’image la réconforta un peu. »
Extrait P 141
Un court instant, Anne Sentit son cœur palpiter étrangement, et pour la première fois, son regard vacilla sous celui de Gilbert, et une teinte rosée colora la pâleur de son visage. C’était comme si on venait de lever un voile qui obscurcissait les tréfonds de sa conscience pour lui laisser entrevoir des sentiments et des réalités jusque-là insoupçonnés. Peut-être, après tout, la romance ne débarquait-elle pas dans votre vie ne grande pompe et dans le vacarme, tel un charmant chevalier sur sa monture ; peut-être se glissait-elle à vos côtés de manière paisible tel un vieil ami ; peut-être se montrait-elle sous l’apparence de la prose, jusqu’à ce qu’une soudaine illumination en parcoure les pages et en trahisse le rythme et la mélodie ; et peut-être… peut-être l’amour s’épanouissait-il naturellement d’une belle amitié, comme une rose au cœur teinté d’or glisse hors de son fourreau vert.
Puis le voile retomba ; mais Anne, au moment de remonter l’allée obscure, n’était plus la même que celle qui l’avait joyeusement descendue la veille au soir. La page de sa jeunesse avait été tournée par un doigt invisible ; et la page de sa vie de femme se présentait à elle, avec son charme et ses mystères, ses souffrances et ses joies.
Gilbert eut la sagesse de ne rien dire.
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