Bénie soit sixtine - Maylis Adhémar
- deslivresetmoi72
- 12 juil. 2022
- 6 min de lecture

Bénie soit Sixtine
Maylis Adhémar –Liseuse Kobo– Juiin 2022
C’est un livre que j’avais mis de côté depuis longtemps ( ma pile de livres à lire augment toujours, et je ne suis pas le rythme de mes envies ! ) car le thème central est peu souvent traité me semble-t-il et m’intéressait : l’intégrisme religieux chez les catholiques extrêmes.
Dans ce roman fort, percutant, j’ai découvert avec effarement un monde que je soupçonnais à peine : l’éducation et le conditionnement quasi obscurantiste des familles « traditionalo-catholiques », avec des principes qu’on croirait tout droit sortis de l’obscurantisme moyenâgeux. C’est un livre qui m’a marquée, je savais déjà qu’il existait des familles très catholiques au principes éducatifs un peu désuets….mais j’étais vraiment loin de la réalité dépeinte dans ce récit. ! Je remercie l’autrice pour avoir eu l’audace d’écrire ce livre ! La force de ce roman, c’est que Maylis Adhémar réussit à décrire ce courant de pensée évoluant entre religion, traditions datées et extrême-droite avec un ton juste qui n’est pas celui du jugement à l’emporte-pièce, mais celui du questionnement, de la prise de conscience, de l’ouverture d’esprit face à l’intolérance.
C’est donc l’histoire de Sixtine, jeune femme, élevée au sein ( saint ?) d’une famille très pieuse, dans des écoles privées plus que strictes, colonies de vacances, associations appliquant les principes de la religion catholique traditionaliste, refusant toute évolution ( Le Pape progressiste Jean-Paul II est le « Mal » incarné pour eux ! ). Dans ce monde, la place de la femme est révoltante : elle est née pour servir son mari et lui fournir une nombreuse descendance qu’elle élèvera dans ces mêmes principes ! Un exemple marquant qui m’a choquée : elle se fait réprimander dans un camp de vacances à 9 ans car son short est trop court ( 9 cm au-dessus de ses genoux au lieu de 5cm) et ses parents sont convoqués car elle a préféré jouer au ballon avec des garçons au lieu d’aller à la chorale avec les filles, parents qui donnent raison à l’institution ! A 19 ans, elle rencontre un « fils de bonne famille » (Pierre-Louis Sue de la Garde ! ) qui lui propose le mariage, elle croit l’aimer et s’engage. Très vite, elle rejoint un groupuscule d’extrême-droite qu’il côtoie, non sans se poser déjà quelques questions quant au bien-fondé de leurs actions expéditives pour « casser du gaucho » entre-autres. Ne connaissant rien d’autre, elle « rentre dans le moule » de la bonne épouse qui cuisine, accepte toutes les décisions de son mari ou de sa belle-mère, souffre en silence pendant sa grossesse difficile sans trouver de soutien, osant à peine confier certains de ses doutes à sa meilleure amie, catholique plus modérée.
Son mari, au cœur d’une action punitive contre des activistes « ennemis de la Bonne France » d’une violence inouïe, tue un jeune et se fait agresser et tuer également en représailles. Sixtine est jeune, à peine 20 ans, enceinte de son premier enfant et veuve ! Sa belle-mère, sous prétexte de l’aider, veut la contrôler et s’assurer qu’elle vivra et éduquera son fils dans les règles de l’art ! Mais, dans un sursaut d’intelligence et d’instinct maternel, Sixtine s’enfuit pour échapper à cette emprise et part à des centaines de kilomètres, dans une bourgade du sud de la France. Là, elle se reconstruit et découvre une religion plus apaisée, tournée vers les autres…et d’autres façons de vivre et de concevoir l’existence. Certains côtés de cette partie du récit m’ont parue « trop extrêmes », voire caricaturaux et trop improbables, irréalistes, par exemple les junkies vivant en communauté dans un squat !
Une autre composante très intéressante de ce roman est aussi le lien ténu entre Sixtine et sa grand-mère : Le roman est parsemé de lettres écrites par cette grand-mère à la mère de Sixtine dont on comprend qu’elle est « tombée » dans la religion catholique à l’adolescence, avec toute la passion et les excès de cet âge, en réaction à un mode de vie trop « cool » et déstructuré… comme si chaque génération se construisait en opposition à la précédente !
Extrait n°1
Ils n’ont pas besoin d’en savoir plus l’un sur l’autre ; sur la piste encombrée de corps agiles leurs pas s’accordent à merveille. À un serveur en veston, Pierre-Louis demande une coupe de champagne pour la danseuse. Le meneur de ballet se sert un double whisky. Elle le trouve sûr de lui, rigoureux, séduisant, fier, direct, une personne de confiance.
Extrait n°2
Là, au cours d’une balade sur la côte déchiquetée, les lèvres du polytechnicien effleurent celles de Sixtine. Un baiser confiant, bouche sur bouche. Le surlendemain, de son costume de ville bleu marine, Pierre-Louis sort une boîte, dévoile une bague de fiançailles en or, sertie d’une améthyste. Il déclare vouloir cinq ou six enfants, précise que son entreprise marche du tonnerre, Sixtine peut arrêter là ses études, pas la peine de s’embêter à chercher un travail, elle aura fort à faire avec les héritiers Sue de La Garde. Ils arriveront bientôt et occuperont tout son temps.
Extrait n°3
Pierre-Louis est si courageux, pense Sixtine. Ce n’est pas comme Hugo, le mari de Marie-Sophie, un intello, il a choisi le corps d’État de Polytechnique, un planqué, chétif, très pieux, d’accord, mais vraiment sans étoffe, incapable de dire « s’il faut se battre, ce n’est pas un problème ». Cogner ? Sixtine s’interroge un instant. Est-ce bien là le devoir de la Milice ? Le frère André aurait-il souhaité cela ? Face à la violence, le Christ n’a-t-il pas invité à tendre l’autre joue ? Mais Muriel a raison : ce sont des hommes comme Pierre-Louis qui manquent à la France et à l’Église pour revenir sur le droit chemin. Muriel dit que le pays va mal. La loi autorisant le mariage pour tous a été proposée au Parlement en novembre dernier. Muriel comme Pierre-Louis, Sixtine, Hugo, Marie-Sophie, Élisabeth et Madeleine sont allés à Paris pour protester. « Un papa, une maman ! » Madeleine le savait. Dix ans plus tôt, elle déboulait déjà sur le pavé parisien avec ses huit héritiers pour s’opposer au Pacs. Les mécréants gagnaient du terrain, même au sein de la Manif pour tous. Beaucoup de modernistes n’ayant rien compris. Des traîtres capables de dire : « Je comprends que deux hommes puissent s’aimer, mais adopter un enfant, je suis contre ! » Il fallait prier et lutter contre cette déchéance. Et Pierre-Louis était là, prêt à se battre.
Extrait n°4
Madeleine est un miracle. Sa volonté est ferme, sa foi inébranlable, sa parole toujours conforme à la tradition catholique. Elle prône la soumission de la mère au chef de famille, le père bien entendu, tout en faisant marcher la maisonnée à la baguette, mari compris.
Extrait n°5
On n’écrit pas quand tout va bien. C’est faux. S’arrêter sur une feuille, un crayon à la main, est un acte réservé à ceux qui souffrent, à ceux dont l’émotion déborde, dont l’esprit, le cœur ou je ne sais quoi est complètement dépassé, incapable, submergé. On écrit pour se justifier aussi. S’excuser ou se trouver des excuses. C’est ce que je fais aujourd’hui.
Extrait n°6
C‘est à vous, filles de Dieu, femmes de croisés, d’être le rempart de la pureté. Pour cela n’oubliez pas la pudeur. Dédaignez les habits trop moulants, trop courts, trop transparents. Ils dévoilent votre mystère et suscitent la convoitise des hommes. Faites confiance à vos pères et à vos maris. Ils sauront vous dire si votre tenue est susceptible d’éveiller les désirs naturels de l’homme. Comme le dit le catéchisme du concile de Trente, le mari “doit régler sa famille, corriger et former les mœurs de tous ceux qui la composent, et contenir chacun dans son devoir.
Extrait n°7
Une boule d’angoisse se glisse dans sa gorge fragile et les yeux moites de Sixtine contemplent le désastre : pièce mal rangée, photo du frère André renversée, habits qui traînent au sol. Un son céleste attrape son attention, une sonorité nouvelle, fraîche comme le vent du Lézert. Adam éclate de rire. Et son rire est un monde en friche, il redouble, s’étonne, recommence, alors que son petit corps se tortille. Le bébé attrape ses pieds et déploie sa gorge, à nouveau.
Extrait n°8
On n’écrit pas pour les autres. Même des lettres. Surtout les miennes. Des lettres qu’on ne donne pas ? Et puis quoi encore ! Je pensais écrire à ma fille, laisser une trace de notre vie commune, de notre histoire. Je me trompais. Je ne rédige plus que pour moi. Pour graver mes questions ailleurs, loin de mon esprit en colère.
Extrait n°9
Six mois plus tôt, elle aurait rêvé de cela, un café chez elle avec Pawel, la proximité de son visage, sa bouche sur sa tasse en porcelaine. Le temps file et change les envies, les êtres et les coupes de cheveux.
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