Dehors, la tempête - Clémentine Mélois
- deslivresetmoi72
- 15 juil. 2021
- 5 min de lecture

C’est un petit livre que ma sœur m’a offert pour mon anniversaire : je n’en avais jamais entendu perler et ce fut une belle découverte. C’est un livre sur la lecture et la place qu’elle occupe pour l’autrice et pour les lecteurs en général. C’est intelligent, ça parlera à tous les lecteurs…et ça donne aussi envie de découvrir certains livres ou auteurs.
En faisant des parallèles entre sa vie et les livres ou personnages qui l’ont marquée, avec beaucoup d’humour, Clémentine Mélois nous touche et nous permet aussi de nous retourner sur nos lectures passées : on se demande quels livres nous ont le plus marqués, nous ont donné cette envie de toujours lire ou découvrir de nouveaux textes, ceux vers lesquels on revient, ceux que l’on offre, ceux que l’on conseille, ceux qui nous sont tombés des mains…
Extrait P 13
Au commencement donc, de chaque nouvelle lecture, mon attention est détournée. Il me faut du temps. Je m’imprègne. L’histoire ne m’a pas encore embarquée. Je ne peux pas m’empêcher d’imaginer l’auteur assis à son bureau, en train de raturer des phrases, sourcils froncés ( Je le vois écrivant sur du papier, alors que plus personne, ou presque, n’écrit à la amin). Est-il en robe de chambre, comme Balzac ? ( Oui. En robe de chambre moirée, avec des chats. Il écrit au stylo à pompe sur un sous-main en maroquin vert, tandis que le soleil du petit matin « darde ses rayons » à travers les « persiennes mi-closes ».)
Extrait P 63
Je n’ai pas connu le pensionnat. La discipline, le froid, l’ennui compact, les règles strictes, la rudesse des conditions de vie… Je n’aurais pas dû avoir à me plaindre. Quelle période affreuse, pourtant, que ces années au riant collège Max-Dussuchal de Villers- Cotterêts.
J’attendais désespérément que la journée s’achève, qu’on en finisse, que se taisent le brouhaha hostile et l’écho des bavardages qui ne me concernaient pas. En proie aux longs ennuis des cours et des interminables récréations auxquelles j’aurais tant voulu échapper, dans la queue de la cantine où était servie une bouffe infecte. Pendant que j’attendais le car scolaire sur le parking miteux, parmi les cris et les ricanements, au milieu des courants d’air et des moqueries, la Terre du Milieu était mon refuge. La poésie, une langue amie connue en espérant qu’arrive au plus vite l’heure où je pourrais rentrer à la maison, poser mon sac, caresser le chien, prendre le goûter. Libre, enfin.
[…]
John Ronald Reuel Tolkien était mon héros. Poète, philologue, professeur de vieil anglais à l’université d’Oxford, il inventa des langues et créa une mythologie à partir d’elles, pour le seul plaisir de les voir exister. Il voulait que ces langues soient parlées, il fallut donc imaginer des personnages qui puissent en avoir l’usage. Ces personnages ne pouvaient tout de même pas rester là sans rien faire, il fallut donc bien leur trouver une occupation. Et pourquoi pas une quête ? Tant qu’à y être, autant aussi leur donner une portée allégorique. C’est tout de même mieux de faire vivre des aventures grandioses à ses personnages, plutôt que comparer des polices d’assurance ou donner leur avis sur des marques de matelas, même dans une langue nouvelle.
Extrait p 77
Peu importe que ce que je lis soit sincère ou mystifié, lissé par l’écriture ou le souvenir. Cette conscience soudaine d’une parcelle d’humanité commune me touche. C’est sans doute pour cela que j’aime tant les textes écrits à la première personne. Je ne peux m’empêcher de croire que l’auteur me fait des confidences, qu’il ne sourit qu’à moi.
Tout m’intéresse. Ses histoires de famille, ses souvenirs. Des détails les plus dérisoires. Ses manies, ses habitudes, ses envies, ses espoirs et ses craintes. Tout me plaît, tout me parle. Le contenu des placards de Marguerite Duras dans La vie matérielle, les lubies de la mère de Romain Gary dans La promesse de l’aube. La vie tout entière d’Edouard Levé dans son Autoportrait. Les chambres dans lesquelles Perec a dormi, ce qu’il a bu et mangé. Les névroses de Philippe Roth, le chien acariâtre de la mère d’Henri Cueco, le quotidien de Carole Fives, l’enfance de Joël Baqué, les maladies imaginaires d’Emmanuel Venet, les doutes de Victor Pouchet…
Toutes les vies valent-elles la peine d’être racontées ? Y aurait-il un intérêt à lire mon dérisoire à moi, mes propres souvenirs ? Ou cela ferait-il comme les soirées diapositives de jadis, où un public captif se retrouvait forcé de regarder les vacances au Club Med des voisins ?
Extrait P 106
La question revient sans cesse pour l’art. C’est la question qui tue : QU’EST-CE QUE L’ART ? a cela, on répond en général par une pirouette en forme de citation. Les citations sont là pour ça, pour se tirer habilement et sans trop se mouiller, d’une situation embarrassante, quand on ne sait pas trop quoi dire d’autre.
Extrait P 118
L’ancien enfant que je suis ne profite absolument pas de son statut d’adulte. C’est un gâchis pur et simple.
Je rêvais de choisir mes vêtements et de m’habiller toute seule, c’est le cas depuis longtemps et je ne m’en réjouis même pas. J’ai mon permis de conduire acquis de haute lutte), mais la plupart du temps, je n’utilise la voiture que pour aller faire les courses au supermarché. Pourquoi ? Où est passée la joie d’acheter des Malabar avec la monnaie du pain ?
Qu’en est-il du merveilleux ? Peut-être en est-il de cela comme du soleil, pour lequel nous disposons paraît-il d’un capital. Où en suis-je de mon capital « émerveillement » ?
[…]
Dis Siri, qu’est-ce qui nous émerveille encore ?
« Eh bien, je n’obtiens aucun résultat pour Et Merveilles Encore. »
Dis Siri, qu’est-ce qui nous émerveille encore ?
« Désolé, je n’ai rien trouvé de ce nom. »
Dis Siri, quel est l’âge de Jean-Pierre Foucault ?
« Juste une minute. Jean-Pierre Foucault a 70 ans. »
Ah, là ça marche.
Voilà, c’est toujours pareil, dès qu’on aborde un sujet important la technologie nous lâche et on se retrouve seuls avec nos questions.
Extrait p 138
Cette évolution des mœurs rend parfois incompréhensible l’apparente gravité des situations et le comportement des personnages de certains classiques finit même par susciter une certaine irritation.
[…] Nous nous sentons étrangers à ces tempêtes de sentiments qui nous semblent dérisoires. Les personnages s’agitent en vain et notre sens de l’empathie rame à contre-courant. Nous voudrions bien essayer de nous identifier, d’éprouver de la peine pour eux, mais nous n’y parvenons pas. En tout cas, moi je me donne du mal, mais je n’y arrive pas. Quelle gourdasse que cette Emma Bovary, tout de même. On a envie de la prendre par les épaules et de la secouer. Et Mme Loisel, de La parure, de Maupassant ? Ruiner sa vie pour ne pas perdre la face et rembourser le collier disparu, non mais enfin ! Va plutôt porter plainte, bon sang, Appelle Axa et arrête de faire ta majorette. Vis ! Aime ! Va te promener ! Fais-toi un smoothie banane ! Arrête un peu de faire des histoires !
Enfin, l’agacement est un sentiment comme un autre et fait sans doute partie du plaisir de la lecture. Ces personnages si vertueux et bourrés de principes nous énervent un peu, mais dans le fond, on les aime bien quand même. Ils ont le mérite de nous aider à adoucir l’ennui des interminables voyages en train, à rêver ou rêvasser, à s’échapper ou à faire passer le temps. En dépit de l’irritation qu’ils suscitent, malgré tout, on leur est reconnaissant d’être là pour être lus.
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