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Divorce à Buda - Sandor Marai


Ce livre m’attendait depuis longtemps, je l’avais acheté juste après avoir découvert Sandor Marai avec « Métamorphoses d’un mariage », roman qui m’avait beaucoup « parlé ».

J’ai retrouvé le style très littéraire et classique de l’auteur et sa façon ultra-précise de décortiquer le sentiment amoureux. On retrouve en effet des points communs entre les deux romans : la fin d’une histoire d’amour, le délitement d’un mariage.

Dans Divorce à Buda, l’ensemble du récit tient en une nuit : un juge rentre chez lui après un dîner et y retrouve une ancienne connaissance : il s’agit d’un médecin, qu’il a connu dans sa jeunesse et dont il aurait dû prononcer le divorce le lendemain. Au cours de cette nuit, une longue conversation remonte le fil de ce mariage qui prend fin. Il s’avère que le juge y joue un rôle inattendu et plus important que celui auquel il s’attendait et qui était d’enregistrer le divorce. Grâce à cette histoire, Sandor Marai analyse les enjeux du mariage dans la société bourgeoise hongroise du XXème siècle ; il oppose l’amour idéalisé, absolu, passionnel à la représentation du couple et à l’image de la famille parfaite renvoyée par la société.

C’est un roman très psychologique, quasiment en huis-clos entre les deux personnages. Ayant déjà lu Métamorphoses d’un mariage, j’ai trouvé que l’auteur y déployait globalement les mêmes « thèses » et donc, il n’y a pas eu de « surprise » de lecture. Le style m’a paru parfois un peu « bavard ». Par contre, j’ai bien aimé, au début du roman, toute la réflexion sur le métier de juge et les questions autour de la justice, de la loi et de son application. Je dirais que c’est un bon roman à conseiller si on est un inconditionnel de Marai, mais qui n’est pas incontournable sinon.


Extrait P 29

Sans baisser les yeux, il affrontait ses doutes avec la plus grande détermination, conscient à la fois de son indépendance et de ses responsabilités. Assurément, il lui appartenait de juger en s’en tenant rigoureusement à la lettre et à l’esprit des lois, mais, devant le tourbillon de son temps, il avait parfois le sentiment que les règles juridiques étaient en retard sur l’époque, qu’elles n’avaient pas su prévoir ce processus de désagrégation qui, tel un simoun meurtrier, était en train de balayer tous les fondements ; en face de l’arbitraire du temps, l’inexorable loi semblait parfois trop faible, voire indulgente.


Extrait P70

Au fond, qu’est-ce que la vérité pour un juge ? D’un côté, il y a le monde, avec ses procès, ses assassins, ses plaignants et ses inculpés – un monde de serments, de haine et de faim -, de l’autre, la loi, la grande machine juridique avec son cérémonial minutieusement élaboré, ses procédures, ses préséances, le face-à-face, devant les magistrats, de l’agresseur et de l’agressé, et, pour finir, le juge, appelé à distiller, à partir de tout ce qu’il a lu et entendu, une essence qui, selon la formule chimique du droit, correspondrait à la vérité…Cependant, au-delà même de la loi, la vérité présentait toujours une dimension individuelle […] Il y avait, d’un côté, la loi et de l’autre la « vérité » et la justice, mais seuls, sans doute, pouvaient rendre la justice ceux qui étaient capables de s’indigner en permanence devant le grand charivari du monde.


Extrait P 73

Il n’avait affaire ici qu’à des hommes et à des femmes incapables de vivre ensemble ; il n’était que le témoin de leurs erreurs tragiques, le spectateur des ultimes dialogues propres à ces drames humains qui s’ouvrent par des scènes de balcon et s’achèvent devant le tribunal. Sa tâche se limitait à enregistrer le simple fait que deux êtres ne se supportaient plus. D’ordinaire, l’un d’eux assumait tous les torts, mais le juge savait qu’ils étaient tous deux coupables – à moins qu’aucun d’eux ne le fût vraiment, car le coupable se trouvait peut-être bien ailleurs.


Extrait P 115

Ayant donné à chacun – à Dieu, à la famille, à son père, à son mari, à ses enfants – ce qu’il attendait d’elle, elle est désormais loin de tout, de ses souvenirs, de ses frères, et peut-être aussi de son mari et de ses enfants, comme si elle vivait sur une autre planète. Oui, Emma « accomplit son devoir », spontanément et avec empressement, sans jouer à la martyre, en mère de famille « idéale ». Nul ne lui a jamais demandé ce qu’elle espérait de la vie, et elle a toujours accepté les charges que celle-ci lui imposait, l’éducation chez les bonnes sœurs, son mari, ce chimiste prétentieux, toujours à la recherche du moindre grain de poussière sur les manches de sa veste, membre d’une société nationaliste, et qui, de temps à autre, tel un sous-fifre complaisant, rend à Kristof des visites de courtoisie… Or, Emma n’a jamais rien dit à Kristof de son mari, n lui a même jamais parlé de son « bonheur », ou de son « malheur ». Non, celle-là ne sera jamais partie civile dans un procès de divorce ; elle restera une épouse fidèle, une mère scrupuleuse, occupée à élever ses enfants myopes, cloîtrée à la maison pendant des mois. Emma incarne la femme idéale : elle se taira tout au long de sa vie.


Extrait P 151

Le médecin cherche à s’imprégner de l’ambiance qui environne le juge. Ce qui se passe entre eux en cet instant semble trop important, trop décisif pour être exprimé par les seuls mots. Deux hommes occupent leurs positions respectives, se jaugent ; chacun tâte le terrain de l’autre, un fluide circule entre eux.


Extrait P 157

Bref, Anna était morte et moi, j’étais devant elle, la seringue à la main, en bras de chemise, les manches retroussées, ayant essuyé ma peau avec un bout de coton imbibé d’alcool… vois-tu, c’est peut-être cela qui est le plus triste, ces tics professionnels aussi absurdes que désespérés… Oui, je reste « professionnel » jusqu’au bout, je m’apprête à mourir en veillant, jusqu’à la dernière minute, à respecter les règles, tout en voulant m’injecter du poison. Mourir en prenant soin d’éviter la septicémie ! Cela m’a stupéfié.


Extrait P 189

Et Anna ? Se rend-elle compte de tout cela ? Ou se contente-t-elle de m’accepter purement et simplement ? C’est elle, pourtant, qui est à l’origine de mes prouesses, oui, c’est d’elle qu’émane la force mystérieuse capable d’animer ma mécanique inerte, de lui insuffler de l’esprit, de lui conférer du talent. Sans elle, que serais-je ? Imre Greiner, fils d’une domestique slovaque et d’un journalier saxon, un homme plein de doutes et d’angoisses, aux capacités obscures et limitées, un homme poursuivi dans ses rêves par le monstre informe des souvenirs d’enfance qui, tel un nuage de tempête aux contours de fauve, écrase le paysage tourmenté. Mais voilà ! j’ai cessé d’avoir peur. Je suis avec Anna, je vis dans un perpétuel enchantement. Je détiens le secret, le sésame, cette phrase magique, si simple : j’aime quelqu’un.


Extrait P 193

Je suis engagé dans une course, dans une compétition, je cours vers Anna… Aucun sourire, aucune légèreté ne viennent atténuer la gravité de mes sentiments. Je « consacre » chacun de mes instants à Anna et je ne comprends pas que c’est insuffisant…qu’il vaudrait peut-être mieux lui accorder seulement quelques minutes ou quelques heures d’un climat particulier, par intermittence, spontanément, au hasard, sans tenir compte du calendrier. Je veux « tout » donner à Anna, mais je ne sais pas encore que les dons fortuits, effectués distraitement, comme en passant, signifient parfois plus que ce dévouement intégral.


Extrait P 214

On ne se rend pas compte, on ne veut pas, non, on n’ose pas se rendre compte du fait qu’un jour la vie cesse d’avoir un sens et se vide de sa substance… Même les plus grands d’entre nous ne supportent pas cet état.


Extrait P 219

Alors, dans la huitième année de notre mariage, nous décidons de divorcer. Cette décision surprend et attriste nos amis, car nous passons pour un couple modèle. A vrai dire, nous avons toujours été fidèles l’un envers l’autre, nous ne nous sommes jamais disputés, mais nous n’avons pas supporté le non-dit, le fait d’avoir occulté certains secteurs de notre existence, cette fameuse « chasse-gardée »…

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