top of page

Etés anglais - Elizabeth Jane Howard

  • Photo du rédacteur: deslivresetmoi72
    deslivresetmoi72
  • 10 nov. 2020
  • 8 min de lecture

Ce premier tome de la saga des Cazalet m’a été offert par une amie, alors que je n’avais jamais entendu parler ni de l’auteure, ni du roman. Au tout début de ma lecture, j’avoue avoir été assez sceptique, me perdant dans la multitude des personnages et attendant une intrigue…mais ensuite, j’ai savouré de plonger au cœur de cette famille anglaise pendant les années 30. Pour ceux qui aiment les sagas, la famille Cazalet réunit tout ce qu’il faut pour passer un très bon moment de lecture : évasion garantie avec tous les membres de cette grande et belle famille : les grands-parents sont les garants des traditions de cette Angleterre un peu surannée, tout en retenue et convenances ; les 3 fils et leurs familles respectives, représentent la génération active en prise avec les bouleversements de la société ; les adolescents et enfants apportent leur regard incisif et un peu naïf sur les choix de leurs parents ; Rachel, la seule fille, est célibataire, entièrement dévouée à sa famille et entretient une relation ambiguë avec son amie Sid. Quant aux nombreux domestiques, jardiniers, chauffeurs, cuisinières, préceptrice, bonnes d’enfants… qui sont au service de cette famille assez bourgeoise, ils montrent un peu les coulisses de cette vie assez lisse et feutrée, faite d’apparences et de représentations où chacun joue en quelque sorte la partition qui lui est attribuée par sa place dans la famille.

Sous un vernis très conventionnel, avec une écriture très élégante et classique, Elizabeth Jane Howard aborde néanmoins des thèmes très sociaux : la place des femmes, les différences de classe très présentes, les contraintes du mariage, la maternité, les adultères, les différences d’éducation des filles et des garçons, les positions politiques dans cette période troublée juste avant la seconde guerre mondiale et la montée du nazisme et des tensions.

Au final, on a vraiment l’impression de partager le quotidien et l’intimité de cette famille pendant ces deux étés dans la maison de famille, la bien nommée Home Place, dans le Sussex. On découvre les forces et failles de chaque personnage, et aucun ne semble prendre le pas sur les autres, ils ont chacun leur place et leur espace. C’est à la fois très simple et banal, mais aussi intemporel et universel. Séduite par cette famille singulière, j’ai décidé de commander le deuxième tome avant même d’avoir terminé la lecture du premier. Je vais faire une pause en lisant autre chose entre deux, pour avoir le plaisir de retrouver ensuite tous les personnages du clan Cazulet !

Extrait P 19

Elle avait quatorze ans, et elle se sentait tantôt extrêmement jeune et prête à tout, tantôt languissante de vieillesse. ;. Epuisée, dès qu’il s’agissait de s’acquitter d’une obligation.

Extrait P21

« Le thé de Chine. Je ne sais pas comment tu fais pour toujours sentir la violette et le thé de Chine. Tout va bien ? » ajouta-t-il. Il posait toujours cette question.

« A merveille. » En son for intérieur, elle appelait cela un pieux mensonge et, au fil des années, ce mensonge avait fini par acquérir une tonalité presque douillette. Bien sûr, elle aimait son mari, alors que dire d’autre ? Le sexe était pour les hommes, après tout. Les femmes, du moins, les femmes bien, n’étaient pas censées apprécier l’acte, mais sa propre mère avait signifié, la seule fois où elle avait un tant soi peu abordé le sujet, que la plus grave erreur possible était de se refuser à son mari et si, il y a dix-huit ans, elle avait souffert d’un choc non négligeable accompagné d’une vive douleur en comprenant ce qui se passait réellement, la pratique avait réduit ces sensations-là à un simple dégoût empreint de patience. Sans compter qu’elle y voyait une façon appropriée de prouver son amour.

Extrait P 22

La vie que je mène, se dit-elle, et ce n’était pas une idée nouvelle, plutôt une réitération, est celle qu’on attend de moi : ce qu’attendent les enfants, de que Maman a toujours attendu, et, bien sûr, ce qu’attend Edward. C’est le lot des femmes qui se marient, or la plupart des femmes mariées n’ont pas un conjoint aussi beau et aussi gentil qu’Edward. Ne pas avoir le choix – du moins ne plus avoir le choix – ajoutait la dimension séduisante du devoir : elle était une personne sérieuse condamnée à une existence plus superficielle que ne l’y aurait portée son tempérament (si la situation avait été différente). Elle n’était pas malheureuse : c’était tout simplement qu’elle aurait pu connaître une vie bien plus intense.

Extrait P 182

Sybil observa : « Quand même, Zoé finira bien par fonder une famille.

- Jamais de la vie ! Je suis sûre qu’elle ne veut pas d’enfants.

- Comme nous le savons, la question n’est pas toujours d’en vouloir ou pas. »

Villy jeta à Sybil un coup d’œil stupéfait. « Ma chérie ! Tu ne … voulais pas …

- Pas vraiment. Bien sûr, maintenant, je suis contente.

- Bien sûr. » Ni l’une ni l’autre n’osèrent se mouiller davantage : elles avaient touché l’eau, sans se risquer plus avant.

Extrait P 206

Rachel aurait aimé avoir plus de temps pour se préparer à retrouver Sid. Elle aurait également aimé pouvoir déjeuner au White Hart seule à seule avec elle, mais elle n’aurait pas osé contrevenir aux désirs de la Duche dans ce domaine, pas plus, d’ailleurs, que dans un autre. Cette docilité ne datait pas d’hier. Il y a vingt ans, elle avait eu l’excuse d’être trop jeune, avec ses dix-huit ans. Le jeune homme en question l’avait exhortée à une plus grande liberté, mais au fond, bien sûr, elle n’avait aucune envie d’être libre avec lui. En vieillissant, la raison de son obéissance était devenue l’âge de ses parents plus que son âge à elle, et l’idée qu’à trente-huit ans elle ne puisse toujours pas organiser son temps pour son plaisir ou, en l’occurrence, pour son plaisir et celui de Sid, ne l’affectait pas outre mesure. C’était dommage, mais s’appesantir sur ses propres désirs serait morbide, un adjectif très Cazalet qui impliquait la plus sévère condamnation.

Extrait P 228

L’habituel maelström de sentiments contradictoires agitait son esprit : l’indignation devant cette effrayante manie de mettre les gens dans le même sac pour des motifs de race ; la gratitude larvée mais irrépressible d’être considérée comme une exception à la règle – le complexe de la métisse sas doute -, mais Sid avait d’autres raisons pour rechercher avidement l’approbation, sinon l’affection, des raisons dont ni la Duche ni aucun membre de sa famille, ni les gens avec qui elle travaillait ni absolument personne, à part peut-être Evie, ne sauraient jamais rien si elle pouvait l’éviter… et ces raisons se nommaient Rachel, son cher amour secret si précieux. Il fallait qu’il reste secret si elle voulait garder Rachel, et la vie sans Rachel était pour elle une perspective insupportable.

Extrait P 273

Mais au fil des années, des années de douleur et de dégoût pour ce que sa mère avait appelé un jour « le côté horrible de la vie conjugale », des années de solitude remplies d’occupations futiles ou d’ennui absolu, de grossesses, de nounous, de domestiques et d’élaboration d’innombrables menus, elle avait fini par considérer qu’elle avait renoncé à tout pour pas grand-chose. Elle était parvenue à cette conclusion par de petites étapes dont elle avait à peine conscience, comblant chaque fois son insatisfaction au moyen de quelque nouvelle activité qui, vu sa nature perfectionniste, ne tardait pas à l’accaparer. Mais dès qu’elle avait maîtrisé l’art, le savoir-faire ou la technique que requérait l’activité en question, elle s’apercevait que son ennui était intact et se bornait à attendre le moment où elle cesserait de s’amuser avec un métier à tisser, un instrument de musique, une philosophie, une langue, une œuvre de charité ou un sport, et se retrouverait confrontée à l’absurdité essentielle de son existence. Ainsi privée de divertissement, elle retombait dans une sorte de désespoir chaque fois qu’une occupation la trahissait, échouant à lui procurer la raison d’être qui avait été le motif initial pour lequel elle avait embrassé ladite occupation. Le désespoir était le nom qu’elle donnait intérieurement à son état ; ses souffrances jamais divulguées, s’apparentaient à une serre peuplée d’espèces exotiques dénommées tragédie, abnégation, cœur brisé et autres ingrédients héroïques censés composer son martyr secret. Etant donné qu’elle se voyait comme un être totalement distinct du reste du monde, elle ne pouvait avoir aucune amie assez proche pour renverser ce regrettable état de choses. Mais ayant elle-même largement dépassé le stade du vulgaire malheur, elle savait le reconnaître chez d’autres, et faire preuve envers eux d’une réelle bienveillance aussi active qu’efficace. On aurait dit quelqu’un qui souffrait d’un lumbago et faisait de bon cœur la vaisselle pour quelqu’un qui souffrait d’une migraine.

Extrait P 286

« Oh Mon Dieu ! Si seulement on pouvait revenir à l’été dernier quand rien n’allait mal ? » Mais c’était impossible. « Pour ce qu’il restera de nous », se plaisait à dire sa mère presque à tout propos, une remarque exaspérante car c’était cette indifférence à ce qui pouvait advenir qui rendait la vie totalement vaine. Peut-être l’était-elle. Peut-être était-ce une gigantesque et terrible évidence que les adultes dissimulaient aux enfants, comme le fait que le Père Noël n’existait pas, ou que les filles avaient leurs règles tous les mois ; peut-être l’âge adulte, qu’elle avait toujours attendu avec impatience, ne signifiait-il que cela. Non, c’étaient forcément des bêtises. Les gens ne pourraient pas être aussi joyeux si tel était le cas.

Extrait P 302

Quelquefois il imaginait son père en train de lâcher des remarques sarcastiques et drôles non pas sur lui mais sur d’autres gens, et de l’inviter à se moquer d’eux avec lui. C’était un luxe scandaleux : il en avait tout de suite honte, avant de se sentir minable. Comment pouvait-il accepter d’être spectateur ou complice d’un acte qu’il savait cruel sous prétexte qu’il n’en était pas la victime ? il recommençait alors à détester son père, et à se détester lui-même de rechercher l’approbation d’un être aussi ignoble. Il était forcément ignoble lui aussi, et son père avait toutes les raisons de se montrer si dur avec lui. C’était la vérité, il était nul dans tous les domaines que son père jugeait importants : le sport, la compétition, même des activités peu physiques comme fabriquer des maquettes d’avion ou encore les maths. Il ne savait pas raconter les histoires ni blaguer, et il était atrocement maladroit… un pauvre balourd d’éléphant dans un magasin de porcelaine, avait dit son père la semaine dernière quand il avait cassé le sucrier. Ces trois dernières années il avait contracté un bégaiement qui s’aggravait automatiquement quand on lui posait des questions, si bien qu’il se bornait désormais à essayer de faire tout ce que désirait son père, comme charger la voiture ce matin, sans rien dire du tout. Il était un incapable qui souhaitait simplement qu’on le laisse tranquille…

Extrait P 432

La Duche appartenait à une génération et à un sexe dont l’opinion n’avait jamais été sollicitée pour quoi que ce soit de plus précieux que les maux des enfants ou d’autres préoccupations ménagères, mais cela ne voulait pas dire qu’elle n’en avait pas ; la guerre faisait seulement partie de la multitude de sujets jamais mentionnés, et encore moins discutés, par les femmes, non par pudeur, comme dans le cas de leurs fonctions corporelles, mais parce que, dans le cas de la politique et de l’administration générale des affaires humaines, leur intervention était inutile. Les femmes savaient que c’étaient les hommes qui dirigeaient le monde, possédaient le pouvoir et, corrompus par lui, se battaient à la moindre occasion pour en acquérir davantage, tandis que l’injustice était omniprésente dans leur vie à elles.

Extrait P 503

« Tu ne trouves pas ça très bizarre ? Chaque jour, on semble s’enfoncer davantage dans cet horrible cauchemar, mais tout le monde continue comme si de rien n’était… » Elle prit la cigarette que Rachel lui offrait et se pencha vers elle pour l’allumer. « Enfin quoi, un salon de thé ! Dire que nous sommes là à déguster des toasts et des feuilletés aux épices…

- Allons, ma chérie, que voudrais-tu qu’on fasse ? Ce n’est pas comme si nous avions le moindre pouvoir d’intervenir.

- Tu veux dire que nous n’avons jamais eu aucun pouvoir ? Ou bien qu’avec celui que nous avions, nous avons simplement élu les gens qu’il ne fallait pas ?

Comments


bottom of page