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Héritage - Miguel Bonnefoy



C’est un des livres de la rentrée littéraire que j’avais très envie de lire, en priorité sur ma liste. Je l’ai reçu en cadeau à Noël et je viens de le lire. Après avoir lu quelques extraits et entendu des critiques très élogieuses sur ce roman, j’en attendais beaucoup, et comme souvent dans ces cas-là, j’ai été un peu déçue. Le roman est celui d’une famille d’origine française qui s’est installée au Chili à la fin du XIX ème siècle, suite au ravage de leurs vignes. Cette famille s’est auto-baptisée Lonsonier à son arrivée au Chili puisqu’ils arrivaient de Lons-Le-Saunier ! On traverse tout le XX ème siècle, de génération en génération, chacune étant marquée à la fois par des événements historiques et par des destins personnels extraordinaires, entre Amérique du Sud et Europe.

Le patriarche est celui qui s’implante et développe un vignoble prospère au chili. Il a trois fils, dont deux mourront en France pendant la guerre de 14-18. Seul Lazare revient, blessé mais vivant. Il épouse Thérèse et développe une entreprise d’hosties. Leur unique fille, Margot, est fascinée par les avions et devient une des pionnières de l’aviation : elle s’engage auprès des alliés dans la seconde guerre en tant que pilote. Plus tard, son fils reprend l’entreprise de son grand-père et s’engage dans les mouvements révolutionnaires qui secouent le Chili.

C’est un récit très riche qui nous fait traverser l’histoire des deux pays. Les époques s’enchaînent sans longueur, ni temps mort…et c’est ce rythme assez effréné qui m’a un peu gênée : j’aurais aimé plus de développement pour chaque personnage et époque. J’ai eu l’impression d’être « appâtée » par chaque destin, mais de devoir vite passer au suivant sans avoir le temps de vraiment cheminer avec eux. Le roman est écrit sur 200 pages…Chaque personnage aurait pu faire l’objet d’un tome d’une grande saga.

Au final, j’ai bien aimé ce récit servi par l’écriture imagée et souvent poétique de Miguel Bonnefoy, à tel point que j’aurais voulu en savoir plus, passer plus de temps de lecture avec chaque personnage, mieux les connaître.


Extrait P23

Encore une fois, Lazare évoquait la France comme une chimère, une architecture faite de récits, et au bout de quarante jours, quand il distingua ses côtes, il se rendit compte que la seule pensée qu’il n’avait pas envisagée fut qu’elle existât réellement.


Extrait P27

Ce fut plus ou moins à cette époque qu’on découvrit un puits à mi-chemin entre les deux tranchées. Jusqu’à la fin de sa vie, Lazare Lonsonier ne sut jamais comment les deux lignes ennemies s’étaient accordées sur un cessez-le-feu pour y accéder. Vers midi, on suspendait les tirs, et un soldat français disposait d’une demi-heure pour sortir de sa tranchée, s’approvisionner en eau avec de lourds seaux et faire marche arrière. La demi-heure passée, un soldat allemand se ravitaillait à son tour. Une fois les deux fronts fournis, on recommençait à tirer. On survivait ainsi pour continuer à se tuer.


Extrait P75

A dix-sept ans, elle ignorait fièrement Verlaine et Rimbaud, leur préférant l’étude des fibres synthétiques qui enveloppent les montgolfières. Elle ne lisait ni Gérard de Nerval no Aloysius Bertrand, mais apprenait sans fatigue, avec une curiosité inlassable, les calendriers des pluies, alors que la météorologie n’en était encore qu’à ses débuts. Elle ne connaissait d’Icare que son ascension, car elle fermait toujours le livre avant sa chute. En la voyant, on devinait déjà les tentes ai bord des pistes, les masques à oxygène, les puissantes turbulences. Elle ne s’était pas laissé tenter, comme d’autres, par l’envoûtement de l’uniforme, le charme du cuir, le prestige et les galons ailés. Margot Lonsonier entrait dans l’aviation comme autrefois on entrait dans les ordres, pour y embrasser une vocation et y mourir.


Extrait P 103

Elle n’éprouva ni vertige, ni crainte. Seulement la puissance animale de cinq cents chevaux de métal qui l’arrachèrent du sol en dépliant leurs ailes fauves. Elle monta si haut qu’elle eut l’impression que le pays tout entier lui apparaissait d’un seul coup. De gros nuages se fendaient en bosses et protubérances. Les formes étaient courbes, galbées, bombées comme des jarres, suspendues comme des coraux, pleines de veinures secrètes, tout obéissait à des emblèmes féminins. Elle confirma à cet instant que le nom du ciel ne pouvait pas être masculin. Elle ne pouvait croire que les premiers aviateurs aient été des hommes. A le voir, le ciel était d’une féminité explosive, aux rondeurs corollaires. Cette demeure était faite comme un nid, un sein, prouvant que les premières civilisations des nuages avaient été matriarcales.

De ce vol, tous ceux qui suivirent se vouèrent à recueillir l’écho.


Extrait P 105

… mais Aukan lui répondit avec une pointe d’inquiétude dans la voix :

- Visiblement, nous vivons dans un monde où toutes les races ne peuvent cohabiter.

Sur le moment, Thérèse ne releva pas cette phrase et, bien qu’elle fût une femme renseignée, ne vit pas non plus l’allusion à la situation en Europe. En Amérique latine, ce n’est que très tard que les journaux commencèrent à parler d’un étrange personnage, un chancelier allemand qui attirait vers lui les foules et promettait de trouver les coupables de la crise économique. Des rumeurs couraient qu’une guerre pouvait éclater, que la montée du nazisme gagnait les classes les plus vulnérables, et toutes ces nouvelles arrivaient en caravane avec une telle certitude, une telle évidence, que Thérèse en conclut qu’elles ne pouvaient pas être vraisemblables.


Extrait P109

A cette époque, Ilario Danovsky apprit à piloter les avions les plus capricieux. Peu à peu, il comprit que sa réussite militaire dépendait de sa détermination, de sa vaillance. Il n’avait pas le même goût ardent pour l’aventure et le danger que Margot, mais cette différence ne fit qu’enrichir son enseignement. Cette équipe à deux, cette complicité chilienne, se para du prestige de la camaraderie qui est à la fois liberté et cloître. Ils prirent le même visage, le même sang, la même colère.


Extrait P 148

A dix-huit ans, il avait adopté l’attitude des existentialistes, toujours une cigarette aux lèvres, un air pénétré, vêtu d’un manteau de feutre à carreaux, l’haleine assombrie par dix-sept cafés avalés dans la journée. Il pouvait alors s’attarder des heures sur un détail de l’histoire sans en perdre le fil et se révéla être un puits intarissable de retournements. Il était aussi envoûtant qu’un tribun, aussi malin qu’un diseur de fortune. Il savait soigner les pauses, entraîner des silences de tension narrative, contenir l’émotion d’un personnage pour ne pas briser l’élan, expliquer sans dire, inventer une astuce pour relancer le récit et dresser un paysage si réel, si fidèle, que celui qui l’écoutait avait l’impression d’y être tout entier.

Extrait P 198

Ilario Da était si brisé, si humilié, si exténué, que Margot comprit qu’il rentrait d’un enfer encore plus sombre que le sien. Dans la confusion de ce retour, comme tous les Lonsonier, elle se mit à remplir précipitamment la baignoire, convaincue par un héritage familial que le bain était un des seuls remèdes au malheur.

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