L'avocate était une femme - Julia Minkowski et Lisa Vignoli
- deslivresetmoi72
- 29 oct. 2022
- 14 min de lecture

Ce livre, je l’ai acheté à ma fille qui est en cursus de Droit, mais je l’ai lu avant elle ! Il m’a vraiment intéressée : le métier d’avocat est pour moi très ambivalent et je me demande toujours comment font ces hommes et ces femmes pour défendre l’indéfendable, pour assister certains clients « monstrueux ». J’ai eu certaines réponses dans ce livre, et j’ai beaucoup appris sur ces femmes avocates aux prises avec des atrocités, qu’elles défendent les accusés ou les victimes, sur leur démarche pour créer une relation avec leur client. Ce livre n’est pas un livre de droit pénal, mais des témoignages forts d’avocates pénalistes, sur des affaires emblématiques : elles expliquent leurs doutes, leurs limites, les imbrications entre ces affaires et leur histoire personnelle. J’ai adoré découvrir ces parcours et cet univers fascinant.
Extrait de la préface par Philippe Jaenada
Car le métier d’avocat est pour moi le plus mystérieux de tous les métiers ( ce n’est pas une façon de parler, je le pense et je le ressens vraiment). C’est sans doute aussi l’un des plus nobles, des plus indispensables, mais je n’arrive pas à me projeter, à m’imaginer avocat. Je n’y arrive pas. (Enfin si, mais uniquement avocat d’innocents ou d’innocentes injustement avocat d’innocents ou d’innocentes injustement ficelés ou étouffés par une justice aveugle ou sourde.) Astronaute, plombier, notaire, patineur artistique, j’y arrive (facile), mais avocat ? Je suis plouc, je suis comme tout le monde : défendre un demeuré qui démolit sa femme à coups de poing ou un papi gâteau qui joue avec la zézette de sa petite-fille ? Je préfère pas. Me Henri Leclerc, pour tenter de m’expliquer, m’a dit un jour (citant quelqu’un, je ne sais plus qui) : « L’acte peut être monstrueux, l’homme [ou la femme, je suppose] jamais. » J’ai du mal, j’ai du mal.
Mais alors ce qui tombe bien, c’est que l’autre groupe extrêmement mystérieux pour moi, ce sont les femmes. Non pas que je sois plus bête qu’un autre, plus obtus ou plus virilement bourrin ( je préfère les femmes, je l’jure, j’ai toujours préféré passer du temps et discuter avec les femmes qu’avec les autres ( c’est ce que disent tous les misogynes, flûte)), mais simplement parce que je suis un homme, voilà. ( Je comprends difficilement qu’on traverse la planète pour aller découvrir des civilisations inconnues et des peuples dont on ne sait rien, alors que la moitié des personnes qu’on croise dans les rues de son quartier sont des étrangères énigmatiques, au moins aussi passionnantes à regarder vivre qu’un Inuit ou un Pygmée.) Les femmes évidemment ne sont pas incompréhensibles ou nébuleuses, je veux dire pas plus ni moins que les hommes, mais je n’arrive pas à me projeter non plus : impossible, malgré mes vaillants efforts.
Du coup, un livre qui donne la parole à des avocates, je me demande si je ne suis pas le lecteur idéal, voire un bon candidat pour rédiger la préface ( ce serait une bonne chose car on y est là, il est trop tard pour faire marche arrière).
Extrait P38 (Céline Lasek/ procès de Bertrand Cantat)
Avec le recul, Céline Lasek a la clairvoyance de dire qu’elle n’en avait pas. « Cette affaire est emblématique pour moi car elle montre qu’on peut ne pas toujours très bien raisonner. » A l’époque, elle pense, en exagérant à peine, qu’en France il aurait été compris, soutenu et serait ressorti de prison au bout de deux ans sous les hommages. Mais personne ne l’a entendu parler comme il s’est confié à elle.
Pour elle, c’est alors une évidence : s’il s’exprimait de la bonne façon, les gens pourraient l’entendre et le voir comme elle le voit. Mais lui ne veut pas s’exprimer, et sans lui ça n’a pas de sens.
Aujourd’hui, elle perçoit les choses un peu différemment : « C’était sans doute un peu naïf car la différence entre le public et les avocats est immense : nous n’avons jamais de préjugés. »
Extrait P42 (Céline Lasek/ procès de Bertrand Cantat)
« Ce qui est rassurant ou inquiétant, c’est de ne jamais avoir les clés quant aux mécanismes et aux tréfonds qui ont conduit un être à agir comme il a agi. » Cette curiosité pour l’âme humaine, cette tentative de compréhension des paradoxes, c’est même ce qui l’a poussée à exercer ce métier d’avocate pénaliste et, avec le temps, à l’aimer toujours un peu plus. « Il m’est souvent arrivé, en lisant des dossiers criminels trash, de songer « mais qui a pu commettre un acte aussi terrible ? » et, plus tard, d’arriver en prison et de rencontrer le type, là, en jogging devant moi, qui me dit « bonjour, maître » et avec lequel je parle de tout et de rien. En réalité, il pourrait être vous ou votre voisin du dessous. »
Extrait P 53 ( Cécile de Oliveira / Damien – matricide)
A ce moment-là, elle n’a alors qu’une obsession : comprendre pourquoi « les dieux » ont envoyé leur flèche dans cette maison proprette de la banlieue nantaise pour y monter une histoire si extraordinaire. A sa façon de le raconter, Damien et sa famille auraient presque « été choisis ». « L’affaire m’a passionnée du début à la fin pour cette raison-là. Et puis, un jour, j’ai eu l’impression de comprendre pourquoi. » Pour être à la hauteur de ce ressenti un peu hors sol, elle tente d’apporter une explication : « Une explication sans doute orientée par le caractère séduisant de Damien, reconnaît-elle, qui m’a permis de vivre avec une version acceptable de cette histoire. » Comme chaque fois, Me de Oliveira a passé la nuit précédant sa plaidoierie à la construire. A édifier cette façon de raisonner qui lui est propre : proposer à la cour et aux jurés une lecture de l’histoire plus grande ou plus symbolique qu’elle ne l’est. « Si on n’arrive pas à replacer ces affaires dans des espaces plus vastes, on ne fait pas exactement notre travail. » La pénaliste y voit un double intérêt en défense : proposer à l’accusé de se situer à un niveau de responsabilité différent de sa responsabilité directe et le déculpabiliser un peu, et aux jurés de s’inscrire dans un cadre plus large et donc de se distancier de la vengeance directe d’un crime.
Extrait P 58 ( Cécile de Oliveira / Damien – matricide)
Cette affaire, Cécile de Oliveira l’a sélectionnée entre toutes les autres parce qu’on ne peut pas parler de la profession d’avocat sans « évoquer la pesanteur des secrets qui prennent une petite ou une grande place dans nos vies ». Elle ne dévoilera pas ce que lui a confié Damien ce jour-là, pourtant elle vit avec. « Ce qu’on sait de nos clients et qu’on ne dit jamais occupe une partie de nous. » Quelque part dans le cerveau ou ailleurs, les confidences s’entassent. « On a nos propres secrets, notre jardin secret et le parc paysager des secrets de nos clients s’amuse-t-elle. Je ne sais pas si on s’y promène beaucoup mais la plupart du temps il nous conduit à modifier nos vies. »
Extrait P75 ( Frédérique Pons / Procès de Guy Georges)
Dans la presse, certains avocats se lâchent, croient savoir que Pons et son confrère, qui ont mené une défense d’acquittement jusque-là, doivent quitter la barre. « Nous étions les seules personnes en qui Guy Georges avait confiance. L4abandonner là était en cet instant inconcevable pour moi. » Sur ce choix, ses semblables l’interpellent encore aujourd’hui. Elle s’amuse de ce paradoxe qui conduit les avocats pénalistes à penser qu’il faut sortir du procès quand le coupable a avoué. […]
Dans le cas de Gut Georges, il était hors de question pour Frédéric Pons de ne pas plaider malgré ses aveux. Ni en tant qu’avocat, ni en tant qu’avocate. « Je ne voulais pas que l’on pense que je me dégonflais parce que j’étais une femme et qu’une femme ne pouvait de toute évidence pas défendre un type pareil. »
[…]
Le lundi venu, c’est davantage à l’attention de Guy Georges que pour les autres qu’elle a plaidé. Les réquisitions de l’avocat général, quand elles sont très dures, ont cette qualité pour un avocat de la défense de pouvoir être un bon appui. Concernant Guy Georges, on pouvait y trouver des mots qui « niaient l’humanité » de l’accusé, décrit comme un monstre, un vaudou. La pénaliste s’en est servie comme dans une prise de judo, pour en faire sa force.
« Ma plaidoirie a consisté à démontrer que ce serait plus facile pour nous tous s’il était effectivement un monstre, mais qu’en réalité ce n’était pas si simple parce qu’il ne l’était justement pas. » Dans la dernière partie de sa démonstration – dont elle se souvient comme si c’était hier -, elle tente de comprendre comment la société a fabriqué un individu qui n’avait rien de mauvais au départ.
Extrait P 93 ( Caroline Toby / Affaire Ilan Halimi)
Des procès d’assises compliqués, des plaidoiries difficiles, elle en a déjà vécu plusieurs dans sa carrière, débutée seize ans auparavant, « mais des instants comme ça marquent pour une vie », insiste-t-elle. Dès le premier jour, soit moins d’une semaine après la mort du jeune homme séquestré, torturé pendant vingt et un jours, puis brûlé vif, elle n’a eu qu’une envie : être avec Ruth Halimi tout le temps, lui dire « je ne sais pas ce que je vais pouvoir faire mais j’ai envie de le faire ».
Extrait P 98 ( Caroline Toby / Affaire Ilan Halimi)
La relation qui se noue alors entre eux ressemble à celle d’un père et sa fille. « Lequel père, le mien, je vais le perdre deux ans plus tard », raconte-t-elle. Tout d’un coup, Szpiner endosse un rôle immense, à la fois professionnel et affectif. Un père spirituel qu’elle va admirer « vraiment beaucoup ». Trop ? « Beaucoup, mais pas trop. » Aujourd’hui, ses clients sont ses propres clients, et elle n’a plus jamais affaire à ces types qui lui disaient en la voyant arriver au parloir de la prison : « Ce n’est pas toi que j’ai appelée mais Me Szpiner. » Elle a fait ses preuves, peu compté ses heures au point de perdre les eaux dans le bureau du juge d’instruction Renaud Van Ruymbeke, et même réussi à créer une structure dans laquelle Szpiner et elle ont désormais deux autres associés. La dilution a noyé l’affect. Ils partagent tout : les charges et les honoraires. Et elle n’a plus jamais l’impression de « piquer de l’argent de poche » à son père.
Il aura fallu du temps pourtant pour que Caroline Toby reconnaisse sa force. Et c’est autour d’Ilan Halimi qu’elle y est parvenue. » Pour la première fois de ma vie, quatorze ans après avoir prêté serment, j’ai voulu y mettre mes tripes et plaider comme une avocate à part entière. » Il n’était plus question de collaboratrice, d’associée, de père et de fille. Quand elle plaide, Me Toby ne pleure plus. Elle est extrêmement émue mais tient le coup pour la mère et les sœurs d’Ilan Halimi qui ont assisté à l’intégralité du procès, et avec lesquelles elle a déjeuné chaque jour. Pour ça, elle s’accroche à son texte, qu’elle écrit toujours.
[…]
Juste après cette affaire, elle a eu une révélation. Elle devait avance, avec ou sans celui qui avait été si longtemps son mentor. Le procès terminé a d’ailleurs marqué leur toute première dispute. Sous l’effet des nombreuses félicitations reçues ici ou là pour son travail précis, elle se rend dans le bureau de Szpiner et lui adresse cette phrase qui ne lui ressemble pas : « Il faut que moi aussi j’existe médiatiquement. » A la veille des vacances d’été, ce jour de juillet, il réplique : « Alors démerdez-vous pour que ce soit le cas. » Sur le moment, elle est piquée, le prend mal et s’en va. « En fait, c’est le meilleur service qu’il m’ait rendu » reconnaît-elle onze ans plus tard. « Si je voulais m’épanouir pleinement, il fallait que j’agisse indépendamment de lui. »
Extrait P 106, (Marie Dosé / procès d’Edouard Louis)
Dans la cuisine du cabinet qu’elle occupe dans le IXème arrondissement de Paris avec ses associées et collaboratrices, elles ont constitué leur propre « mur des cons ». Ici et là sont épinglés un article, une citation et même quelques courriers. Comme cette lettre sur papier à en-tête d’un confrère débutant par ces mots : « Chère consœur, je ne sais pas qui vous êtes, mais vous devez savoir qui je suis.»
Marie Dosé a quarante-six ans, un gabarit de jeune fille en effet, dans une combinaison de coton. Elle parle vite, lève la voix quand il faut et sait parfaitement qui_ elle est. « Une écorchée vive » qui tente de s’auto-canaliser depuis toujours. Enfant puis adolescente, elle jouait du piano plusieurs heures par jour. «C’est un moyen d’expression et un exutoire importants. On met énormément de choses dans un instrument.»
[…]
Elle devient prof de musique dans une école associative mais, à dix-neuf ans, elle cesse de jouer, stoppée net par une maladie qui lui abîme les mains et empêche ses doigts de courir sur le clavier.
[…]
Plus jeune, elle a opté pour des études de droit par « défi ». « Comme la maladie avait choisi à ma place, j’ai choisi le contraire de la musique. » Habituée à une « énorme hygiène de travail » depuis toujours, Marie Dosé souhaitait une formation qui remplisse, rigoureuse, avec beaucoup de par cœur. « Quelque chose qui m’abrutisse », résume-t-elle. On est très loin de la vocation. Ce métier, qui est venu plus tard – après avoir assisté par hasard à une plaidoirie du pénaliste Henri Leclerc à Nancy-, elle l’a pourtant tellement adopté qu’elle pense aujourd’hui qu’autour « tout est insipide ». Elle interroge, comme si elle attendait une réponse : « Comment atteindre une telle intensité émotionnelle après ça ? » Joignable par ses clients jour et nuit, et sept jours sur sept, elle se laisse submerger par la profession. Durant les périodes où elle plaide beaucoup, habituée à avoir la parole en dernier au tribunal – comme le veut la défense-, il lui arrive parfois de ne pas comprendre pourquoi, lors des dîners, ses amis lui répondent, quand elle a fini de parler… Dans ces moments-là, la pénaliste se reprend, se raisonne : « Hé, calme-toi, tu n’es pas en audience ! » Marie Dosé déborde d’émotions qu’elle ne maîtrise pas forcément. « Je suis en colère et j’ai des accès de colère, mais je ne me mets jamais en colère contre quelqu’un. Toujours contre quelque chose », se justifie-t-elle.
Extrait P 109, (Marie Dosé / procès d’Edouard Louis)
La Conférence du stage, de toute façon, elle n’est pas pour. « La conférence, c’est disserter sur pourquoi la porte est ouverte. Quel est le rapport entre ce concours et la défense pénale ? Je ne veux pas participer à ça. Je trouve que c’est dangereux. Défendre quelqu’un, ce n’est pas être éloquent. Le talent oratoire n’a rien à voir avec la défense pénale. J’appelle ça «se faire les dents sur le destin des gens, sur la vie d’un autre. » Mais le « vrai scandale » de l’institution judiciaire est, selon elle, plus vaste. « Vous savez ce que c’est ? C’est le niveau des avocats. Nous ne sommes pas à la hauteur de notre serment. On est nuls ! « S’écrie-t-elle carrément.
Extrait P 119, (Marie Dosé / procès d’Edouard Louis)
Aurait-elle pu défendre Edouard Louis quand sa véhémence à son égard permet d’en douter ?
« Oui, j’aurais pu, mais sans mépriser Riadh. Le pire est peut-être de l’avoir présenté comme doublement coupable à la suite de sa relaxe définitive : coupable d’avoir violé, quoi qu’en disent les juges, et coupable d’avoir été innocenté » s’insurge Marie Dosé. « Je suis la première à défendre la liberté de l’écrivain », tient à préciser celle qui, par ailleurs, partage la vie d’un romancier de talent, « pour autant on ne peut pas par ce biais étiqueter, catégoriser, cataloguer, autrement dit enfermer. Il n’aurait pas pu me faire dire n’importe quoi. »
Souvent, elle explique à ses clients qu’ils la payent mais ne l’achètent pas, « avec de l’argent ou des médias ». Aux accusés, elle ne laisse pas tout passer. « Je défends n’importe qui, mais pas n’importe quoi ».
[…]
« On a un vrai rôle qui ne consiste pas à victimiser nos clients ou à leur expliquer à quel point la justice est injuste. Ce genre de choses, je peux l’écrire mais je ne le plaide pas. Ou alors si je le plaide, pendant les deux ans qui précèdent l’audience, je vais dire à mon client : « Attendez, vous n’êtes pas en prison pour rien, le délit poubelle de l’association de malfaiteurs ça ne vous regarde pas. Ce n’est pas à vous de faire le procès du procès. Ce qui vous regarde c’est pourquoi vous vous êtes retrouvés là ! » Un bras de fer qui conduit certains de ses clients, en arrivant devant le juge, à le trouver plus « cool » que ce qu’elle leur a fait endurer. ! elle pense que la robe d’avocat a un vrai pouvoir sur la récidive. « Il faut qu’à l’intérieur de l’institution l’accusé rencontre quelqu’un qui ait du sens et donner du sens ce n’est certainement pas aller dans son sens à lui. »
Extrait P 142, (Jacqueline Laffont / affaires Pasqua )
« A l’époque, poursuit-telle, Pasqua est stigmatisé, présenté par certains comme un « pestiféré ». Il fait presque l’unanimité contre lui. » Ses idées, telles qu’elles lui apparaissent alors sont éloignées des siennes. Vu de l’extérieur, il semble être un homme rugueux, provocateur, réactionnaire, associé au SAC ( Service d’Action Civique), à la mort de Malik Oussekine, frappé par des policiers en 1986. « Avant de le connaître, ce n’était donc pas une personnalité politique à laquelle j’adhérais » Cette première image superficielle et négative, ce fossé entre eux ne sont pourtant en rien un obstacle pour le défendre. « Je l’ai fait en tant qu’avocate. » Surtout, elle a horreur de « ceux qui hurlent avec les loups », et cette avocate, qui défendra plus tard Nicolas Sarkozy, Nicolas Hulot ou encore Alexandre Benalla, trouve qu’une grande partie de la presse a une manière tendancieuse et à charge de relater les faits concernant Pasqua, et elle ne le supporte pas. Par ailleurs, il est partout lâché par les siens. « Cet aspect de la nature humaine, cette capacité qu’ont les gens de vous aduler un jour et, le lendemain à l’unanimité, de vous piétiner, je trouve que, pour un avocat, il n’y a rien qui donne plus envie de défendre.»
Extrait P 153, (Corinne Dreyfus-Schmidt /tentative de meurtre sur enfant)
Mais dans cette affaire-là, le domaine de compétence est hors de sa « zone de confort ». Le client, envoyé par la secrétaire d’un confrère, n’a pas choisi la délinquance comme aire de jeux. Il est accusé d’avoir tenté de tuer le fils de sa compagne, un petit garçon âgé de huit ans, retrouvé dans un parc proche de leur domicile le « crâne fracassé », et totalement amnésique sur ce qui lui est arrivé. Le beau-père clame son innocence. Il est déjà incarcéré à la prison de Fleury-Mérogis depuis quelques mois et la juge semble convaincue de sa culpabilité. Il faut dire qu’en garde à vue l’homme a fini par avouer les faits, avant de tout de suite se rétracter chez la juge d’instruction. Corinne Dreyfus-Schmidt se sent investie d’une mission : « Je me vis comme son seul recours. Et je sens mon âme de combattante d=se révéler. » Pourtant ce client n’est ni attachant ni particulièrement sympathique. Il est même plutôt froid. Pour ce cas-là, c’était plus l’injustice qui me portait qu’un attachement personnel à l’homme que je défendais. »
[…]
Ici, c’est la police qui la met hors d’elle. Elle est peut-être même davantage contre les policiers qu’avec son client. L’affaire présente « tous les ingrédients d’un dossier monté par des flics sur la base de leur seule conviction de culpabilité. Depuis la nuit des temps, l’aveu est considéré comme la reine des preuves. La tentation est donc forte de tout faire pour l’obtenir. Il est très symptomatique de ce dont la police est capable. Autrement dit, quand on n’arrive pas à élucider une enquête, la seule façon de faire tenir un dossier c’est d’arriver à ce que le suspect avoue. » Et ce, quels que soient les moyens.
Ce sera son point d’appui : interroger les policiers pour arriver à démontrer qu’ils ont maltraité son client au point de lui faire reconnaître un crime qu’il n’a pas commis. « Sans doute l’exercice le plus difficile de mon métier », précise-t-elle. L’entreprise est en effet périlleuse face à des témoins « très préparés à ça » et à l’institution judiciaire qui tâche le plus souvent de rester clémente avec l’institution policière – petite cousine de procédure et maillon important de la chaîne. » « Un dossier pénal est construit sur une enquête policière, quand vous avez dit ça vous avez tout dit », ironise Me Dreyfus-Schmidt.
[…]
« J’ai été acquitté », conclut-elle. Quand on s’amuse de sa façon de le dire, comme si elle avait elle-même échappé à la prison, elle poursuit : « Vous savez, en défendant les autres, on essaye aussi de se réconcilier avec soi-même. » Elle y parvient peu à peu. Et lorsqu’elle reçoit des lettres de gens qui lui sont reconnaissants d’avoir « changé le cours de leur existence », ça l’apaise. « C’est même la seule chose qui m’apaise dans la vie. »
Extrait P173, ( Olivia Ronen / Salah Abdeslam)
Ce rôle parfois ingrat, de représenter celui que la société considère comme l’ennemi public numéro un, elle n’en a pas vraiment fait les frais depuis le début du procès. En dehors du palais et de cet épisode-là, les regards sont plutôt bienveillants. « J’ai pu ressentir autour de moi de l’inquiétude, pas de la réprobation. » Sa mère et ses sœurs viennent assister à l’audience, ses amis posent des questions intelligentes, le reste n’existe pas. « je ne doute pas du bien-fondé de ce que je fais, admet-elle simplement, avant de poursuivre : de toute façon, j’aime tout ce qui déchaîne les passions humaines et je crois même que je ne sais plus rien faire d’autre. »
[…]
Vis-à-vis des journalistes, elle a défini sa position en suivant ce conseil soufflé par un confrère : « s’il y a des moments utiles pour la défense, parle, sinon dispense-toi de tout. » En dehors de quelques rares interlocuteurs qu’elle a définis pour faire passer des messages, Olivia Ronen est plutôt du genre à décliner les propositions d’exposition. Elle la subit assez sans la chercher.
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