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La voix des femmes - Laure Adler

  • Photo du rédacteur: deslivresetmoi72
    deslivresetmoi72
  • 17 févr.
  • 7 min de lecture

Essai féministe engagé, regards et réflexions sur l’histoire et l’actualité du féminisme, la place des femmes et des hommes, le couple, les relations amoureuses, le rôle maternel et la place de la maternité, ici et ailleurs. Intéressée par ces questions, j’ai trouvé les propos intelligents, documentés et argumentés, accessibles et explicites. Partant de son expérience et de son propre militantisme pour la cause des femmes Laure Adler balaie différents thèmes : le militantisme, la force des femmes qui s’associent, les femmes et la politique, les femmes et leur corps, les violences faites aux femmes et le regard de la justice sur ces « faits divers », le mouvement « me too », et aussi la place des hommes aux côtés des femmes.

 

Tout ce qu’elle a écrit m’a touchée et interpelée, fait réfléchir…Le nombre de passages surlignés et repérés en témoigne !

 

Extrait page 13

Est-ce à dire qu’il y a des quantités de féminismes et que chacune peut inventer son propre féminisme ? Sans doute, à condition de penser et de vouloir l’égalité femme-homme et de considérer que c’est une des bases les plus importantes de notre démocratie. Dès qu’un régime autoritaire e met en place, les droits des femmes reculent, voire sont annihilés. Ce n’est pas un hasard. La révolte vient des femmes, du peuple des femmes. Luttes féministes et luttes démocratiques sont historiquement, politiquement, intrinsèquement liées.

 

Extrait page 30

Le féminisme est, par essence, universaliste et, en tant que tel, prend en charge la condition des femmes dans leur ensemble. S’il dérive vers l’adhésion à des luttes nous fracturent – et je suis comme tant d’autre à la fois dans la condamnation des massacres perpétrés sur les civils palestiniens par le gouvernement israélien et dans celle de l’horreur jamais atteinte des massacres du 7 octobre revendiqués par le Hamas -, il risque de s’affaiblir mais aussi de se déchirer gravement.

 

Extrait page 32

La réalité de certaines avancées nous fait penser et espérer que les choses changent, que les mentalités évoluent, hélas, beaucoup trop lentement, hélas, avec des retours de bâton – la lutte féministe n’est pas un combat où les victoires sont éternelles – quelquefois extrêmement violents. Donc la vigilance s’impose, mais la reconnaissance dans l’opinion publique de ces luttes féministes progresse de plus en plus. Elle est jugée nécessaire et évidente pour des femmes comme pour des hommes. Des sujets dont on ne parlait jamais, comme le féminicide, le viol conjugal, le harcèlement sexuel, l’emprise, sont devenus des fiats de société que l’on dénonce, que l’on combat et qui s’imposent à la une des journaux.

 

Extrait page 37

 

Aujourd’hui, c’est une réalité acceptée par la société – même si elle est vécue différemment selon la classe sociale à laquelle on appartient. Mais le manque de temps pour faire face à toutes nos obligations, cette impression de ne pas pouvoir faire face, faire bien, faire comme il faut, nous est commune. Nous nous sentons toujours un peu coupables, avec cette accusation de ne pas être à la hauteur – les maris, les pères ressentent-ils la même chose ? Je ne crois pas. La charge mentale c’est nous qui la vivons et qui la subissons, seulement nous.

On peut être féministe à tout âge, et plus on vieillit plus cela devient un art de vivre. On en comprend mieux les enjeux, les perspectives, les mises en situation.

 

Extrait page 41

Féministe, ce n’est pas une étiquette, c’est une attitude.

Féministe, c’est une manière d’être en mouvement, la manière permanente de refuser d’en être réduite à ce que l’on veut faire de nous : quand on est jeunes, des bimbos sexuelles, quand on est adultes des épouses soumises ou des mères obéissantes, et quand on est vieilles des pensionnaires d’EHPAD enfermées, invisibilisées.

Cette fluidité qu’autorise notre genre nous permet d’avoir successivement plusieurs appartenances et d’échapper aux injonctions d’une univocité d’un féminin empreint de stéréotypes qui nous ont enfermées dans le sentiment que nous étions des êtres fragiles, peu sûres de nous-mêmes.

Féministe, c’est savoir tout le temps, à chaque instant, qu’on est indépendante – gage de notre liberté -, que notre corps nous appartient, que l’intime est politique et qu’il n’est plus question de s’en prendre à ce que nous sommes, à qui nous sommes. Non c’est non. Non c’est toujours et encore non. Nous ne sommes pas des corps à disposition.

 

Extrait page 59

Être une femme en démocratie est toujours plus facile que de l’être dans un régime autoritaire. C’est même une des caractéristiques les plus reconnaissables : plus les femmes sont interdites de droits – droit à l’éducation, droit à user de leur propre corps, droit de travailler, droit de cité -, plus l’Etat devient dictature. La religion – toute religion- se base sur, entérine et utilise la domination masculine. La liberté, le courage des femmes affolent les dictateurs. Les femmes n’ont pas peur des mollahs en Iran ni en Afghanistan, malgré les risques de mort, d’emprisonnement qu’elles encourent. Les femmes, en démocratie, sont souvent les garantes et les fers de lance de nos propres libertés.

 

Extrait page 84

Si les droits des femmes régressent dans certaines démocraties, y compris près de chez nous en Europe, les atteintes à leur existence même se multiplient dans le reste du monde, dans ce non-Occident dont on parle trop peu. Les mutilations faites au corps des femmes progressent encore et se font de plus en plus tôt. Comme l’explique un rapport publié au printemps 2023 par l’UNICEF, le nombre des femmes excisées – quel que soit leur âge – est passé de 200 à 230 millions. Les filles subissent l’excision de plus en plus tôt, souvent avant l’âge de cinq ans. Souci de chasteté ? Désir de pureté ? Ces arguments sont avancés qui recouvrent le véritable motif : contrôler la sexualité des femmes, garantir leur virginité, condition pour leur mariage, et les empêcher d’avoir accès à leur jouissance.

 

Extrait page 97

Aujourd’hui, a-t-on oublié Gisèle Halimi ? Ce qu’elle a réussi à faire inscrire dans la loi est-il en train de disparaître ? Laure Heinich s’alarme d’une rentabilisation de la justice, d’une baisse alarmante de magistrats et de jurés pour juger les viols, ces affaires étant soumises à une cour criminelle départementale. LE viol serait-il considéré comme un «petit crime » puisqu’il ne requiert qu’une « petite composition » ? Les femmes victimes sont-elles de "vraies" victimes puisque les autres crimes nécessitent la présence des jurés ? 90% des dossiers examinés par ces cours criminelles sont des viols. La justice a déjà mis beaucoup de temps à évoquer le viol, dont on parlait en termes d’attentats à la pudeur ou de violences, alors même qu’il était qualifié de crime dans la loi. En correctionnalisant le viol, faute de magistrats en nombre suffisant, en s’abstenant de faire appel à des jurés, représentants du peuple, ne banalise-t-on pas ce crime ?

 

Extrait page 135

Par-delà le combat de ces femmes courageuses qui transforment les souffrances qu’elles ont subies en lutte collective pour le respect des droits humains les plus élémentaires, il y a l’espoir que de nouvelles règles de civilité sexuelle, voulues par des femmes mais aussi par des hommes, s’imposent majoritairement dans notre vivre ensemble. Gloria Steinem parle d’une érotisation de l’égalité. Le respect de l’égalité entre les sexes créerait sans nul doute de nouvelles pratiques amoureuses, incitant les femmes à s’affirmer et à croire plus en elles, et les hommes à déserter une masculinité toxique pour adopter de nouveaux comportements, à la fois dans la sphère intime et la sphère professionnelle. Un nouveau discours amoureux est déjà en train de se mettre en place.

 

Extrait page 151

La séparation entre sexes serait-elle une solution pour diminuer le sexisme ? Sûrement pas. Même si les internats redeviennent à la mode, la séparation des sexes a toujours été un ferment de non-compréhension, de peur, et donc souvent de mépris des garçons vis-à-vis des filles. La lutte pour les droits des femmes passe par un combat quotidien contre les stéréotypes qui, de facto, augmentent lorsqu’il y a séparation entre les sexes et ce, dès le plus jeune âge. Tout enfermement dans sa « catégorie » sexuelle développe violence, peur, haine vis-à-vis de l’autre, voire complotisme, comme ce nouveau phénomène des incels, célibataires qui rendent responsables de leur état les féministes, les injurient sur les réseaux sociaux, allant jusqu’à les menacer et à revendiquer leur mort comme à Toronto, en 2018. Plus les sexes conversent, vivent ensemble, se mélangent, plus l’égalité femme homme a des chances d’exister et de s’épanouir.

 

Extrait page 164

Nous n’avons pas besoin d’hommes qui se transforment en femmes pour jouer les féministes. Nous n’avons pas envie de devenir des hommes pour bénéficier de leur pouvoir actuel. Notre lutte s’inscrit dans une démarche qui nous est propre, c’est notre force, notre singularité, notre originalité aussi, nous ne sommes pas un parti politique ni une structure syndicale, mais un collectif qui avance sans cesse sur deux fronts : l’action et la pensée.

 

 

Extrait page 167

Il ne s’agit pas de discréditer le mouvement de libération de la parole des victimes, qui a ouvert une nouvelle page de féminisme et continue à permettre de dénoncer des crimes autrefois silenciés, mais de s’interroger sur certains excès qui ne favorisent pas sa cause, et alerter sur les raisons et les conséquences de cette judiciarisation, y compris pour celles qui portent plainte.

 

Extrait page 171

Ce n’est donc pas le moment de céder à une directive européenne qui demande de définir le viol par l’absence de consentement : ce serait un recul pour Laure Heinich et Marie Dosé. Le réduire à un acte sexuel sans consentement signifierait le renversement de la charge pour la victime. Ce n’est pas aux plaignantes de démontrer qu’elles n’ont pas consenti : on les réduirait ainsi à être responsables de l’acte en questionnant la façon dont elles ont « résisté » ou pas, au lieu d’interroger le comportement des mis en cause. Le silence de la personne sidérée, écrasée, niée, ne doit en aucun cas conduire à l’acquittement ou à la relaxe de son bourreau.

Toujours est-il que la justice ne peut pas tout, et surtout, elle ne peut pas réparer ce qui a été détruit dans la personnalité de la victime. Vu les délais elle peut, au contraire, enfermer la plaignante dans une case de victime pendant des années et réveiller des souffrances qu’un procès réactivera.

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