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L'enfant du train - Ruth Druart


Ce livre figurait sur un présentoir près des caisses de ma librairie havraise préférée…il y avait la queue, j’ai lu la quatrième de couverture, achat d’impulsion…il est resté quelques semaines de côté avant d’être ouvert, et j’ai littéralement adoré ce roman ! Au-delà du thème sous-jacent des atrocités commises par le régime nazi lors de la seconde guerre mondiale, ce récit explore d’autres thèmes forts avec des personnages attachants, complexes dans un style assez épuré. Je suis quasi sûre qu’une adaptation en film ou téléfilm sera faite, tant l’histoire s’y prête !

Au cœur du roman, il y a Sam, ou plutôt Samuel, de sa naissance à l’âge adulte. Sam est né « au mauvais moment au mauvais endroit », à Paris, en mai 1944, de parents juifs. Malgré la protection d’amis résistants, ils n’échappent pas à l’arrestation et sont amenés à Drancy pour monter dans un train pour Auschwitz quelques jours plus tard ! Dans un geste désespéré, Sarah confie son nourrisson à Jean-Luc, jeune cheminot français présent aux abords du train, forcé d’y travailler pour les Allemands. Ce dernier va prendre tous les risques ensuite pour sauver ce bébé. Avec Charlotte, ils fuient, quittent Paris et réussissent à rejoindre Santa Cruz en Californie. Ils s’y installent et élèvent Sam loin de ses racines, à l’américaine, souhaitant laisser derrière eux les horreurs de la guerre. Mais, après des années de recherche, en 1953, la police américaine arrête Jean-Luc pour enlèvement d’enfant. Il est extradé, Sam doit retrouver sa famille biologique….


Maëlstrom pour toutes les personnes concernées, dilemme moral, éthique, que faut-il faire pour le bien de l’enfant ? Parent biologique ou parent adoptif présent depuis la naissance….Chacun revendique le « droit » à l’enfant et l’amour qu’il lui porte. Toute cette complexité est très bien relatée, sans véritable parti pris, si ce n’est celui de l’enfant.


Extrait page 31

Un cahot le ramena brutalement au présent. Il releva la tête, ne croisa que des regards vides. Finie l’époque de la franche camaraderie. Oubliées les blagues de potaches entre jeunes embauchés. Un silence lugubre, voilà tout ce qu’il en restait.

Le silence. C’était une arme en soi, et la seule dont disposait Jean-Luc. Il refusait de parler aux boches, même à ceux qui semblaient aimables et qui lui demandaient poliment leur chemin. Il les ignorait, tout simplement. Il pliait aussi ses tickets de métro en forme de V avant de les lâcher dans les souterrains. Le V de la victoire. De petits actes de provocation, c’était tout ce qui lui restait, mais ce n’était pas avec cela qu’on changeait quoi que ce soit. Il brûlait de pouvoir agir vraiment.


Extrait P 121

Ce soir-là, avant d’aller au lit, je cherchai le mot collaboration dans mon vieux dictionnaire d’école. 3Coopérer avec un envahisseur ennemi ou travailler ensemble à un projet commun ». Cela signifiait que la police française collaborait avec l’occupant, mais ça je le savais déjà. Alors, où commençait et s’arrêtait la collaboration ? Pour ce que j’en voyais, tout le monde coopérait avec l’ennemi. Peut-être pas de façon volontaire, mais à l’arrivée, le résultat était le même : dans les restaurants, on servait de la viande aux boches alors qu’on crevait de faim, on leur indiquait le chemin, on descendait du trottoir pour leur laisser le passage !

Parfois les gens n’étaient que trop heureux de collaborer, tels ceux qui vous saluaient en allant vous dénoncer, même si la plupart des dénonciations étaient l’œuvre de corbeaux. Les lettres, c’était moins risqué. Des rumeurs couraient sur qui avait dénoncé qui, et sur les faveurs que les délateurs avaient reçues en contrepartie.

Un après-midi, j’étais avec une amie lorsque nous avions vu un vague voisin se faire tirer dans le dos en tentant de fuir un contrôle d’identité. Tout le monde avait rentré la tête dans les épaules, relevé son col et s’était empressé de rentrer chez soi. Ce n’était pas de la collaboration, ça ? Faire comme si rien ne s’était passé ?


Extrait P 141

- Je sais reconnaître l’injustice, quand je la vois, répliqua Jean-Luc, en soutenant son regard.

- Ah oui ? Et que comptez-vous faire, jeune homme ?

- J’ai mon idée là-dessus.

Papa se redressa dans son fauteuil.

- Ecoutez-moi bien ! Vous devez prendre sur vous et faire votre boulot. Vous n’avez pas le choix. Nul d’entre nous n’a le choix.

Maman effleura le coude de papa pour lui signifier de se calmer.

- Vous croyez ? rétorqua Jean-Luc en me regardant. Moi, je pense qu’on a toujours le choix, au contraire. Simplement, c’est parfois un choix difficile.

- Pas de ça avec moi ! Pour le moment, nous n’avons pas le choix, nous sommes coincés. Mais cette guerre aura bien une fin. Ça ne va pas fort pour l’Allemagne. Alors, continuez à faire ce qu’on vous dit de faire, et puis c’est tout !

Jean-Luc se leva, indigné.

- Ah oui ? D’après vous, je dois prendre sur moi pendant qu’on exile et sans doute qu’on assassine des milliers de nos compatriotes ? C’est ça que je dois faire ?

Papa se leva à son tour, rouge de colère.

- En voilà assez ! Je n’aime pas beaucoup ce ton-là, jeune homme !

Mon cœur cessa de battre : Jean-Luc s’était mis mes parents à dos.

- Eh bien, moi, je n’aime pas du tout ce qui se passe ! riposta-t-il. Et je ne vais pas rester les bras croisés en remerciant le ciel de ne pas être juif ! ( Jean-Luc reprit d’un ton plus calme.) Je suis navré que vous ne soyez pas d’accord avec moi.


Extrait P 164

Ça me fait penser à ma fête nationale à moi, accentuant mon sentiment d’exil. Que feront maman et papa pour le 14 juillet ? Peut-être iront-ils au Champ-de-Mars voir le feu d’artifice illuminer la Tour Eiffel… Peut-être iront-ils se promener sur les berges de la Seine. J’adorerais aller les voir, mais c’est compter sans les réticences de Jean-Luc. « Chez nous, c’est ici, maintenant, Charlotte. Notre vie est ici, me dit-il. Nous avons tout, ici. Oublie le passé. »

J’ai parfois envie de répliquer que mon tout à moi n’est peut-être pas son tout à lui, mais à quoi bon ? Cela ne mènerait qu’à une dispute inutile ; or, j’ai horreur des conflits. Mais le passé ne se laisse pas oublier si facilement. Il ne suffit pas de le loger dans un coin de sa mémoire et de faire comme s’il n’existait pas. Le passé est toujours là, il me suit comme une ombre, me rappelant sans cesse ce que j’ai fait.


Extrait P 189

Quelle chance que la naissance se soit bien passé ! Sa seule surprise a été l’intensité de la douleur. Mais combien de temps leur chance va-t-elle encore durer ? En ce moment, ils devraient être en sécurité dans leur appartement du XVIème arrondissement, un quartier résidentiel et aisé. Bon sang ! Personne ne savait qu’ils étaient juifs avant qu’on ne les force à porter cette maudite étoile jaune, comme une plaie ouverte, ou une cible. Rétrospectivement, elle regrette de s’être conformée aux ordres, d’avoir porté cette étoile. En même temps, elle se serait sentie lâche si elle avait refusé de la porter. Après tout, elle n’a pas honte d’être juive : c’est son patrimoine, ses racines. Jamais elle n’en rougira. Alors, elle avait cousu l’étoile selon la consigne et elle était sortie en l’arborant, tête haute. Comme elle avait été naïve…Cette étoile avait immédiatement modifié la façon dont les gens la percevaient. Ils voyaient d’abord l’étoile et ensuite, ils la regardaient, elle.



Extrait P 223

Je dévisage ma mère. Elle m’aime vraiment. Bien sûr, qu’elle m’aime ! Mon cœur s’emplit de honte et de regrets. Pourquoi ne l’avais-je jamais vu auparavant ?

Mais je ne peux pas rester là. Je suis consumée par le besoin impérieux d’agir, maintenant, de faire quelque chose pour mon pays.

- Tu dois me laisser partir. S’il te plaît, maman.

- Mais tu ne comprends pas les dangers que ce voyage implique ! Tu n’imagines même pas …

- Sa voix chevrote, se brise, laissant sa phrase inachevée, comme si elle savait qu’elle m’avait déjà perdue.

J’ai conscience de danger de l’entreprise. Néanmoins, je continue de vouloir m’y engager. J’ai besoin de le faire.


Extrait P 227


Soudain, la porte du compartiment s’ouvre sur un gendarme à l’air las.

- Papiers ! ordonne-t-il en posant son regard sur la famille, puis sur nous.

Mon cœur s’emballe de nouveau. Jean-Luc tire ses papiers de sa poche intérieure et les présente au gendarme d’une main qui ne tremble pas, l’air calme et affable. Je tends les miens avec plus de fébrilité, me trémoussant sur mon siège, mais affichant mon plus doux sourire pour contrebalancer ma nervosité.

- M. Cevanne et Mlle de la Ville, lit le gendarme avant de nous lancer un regard interrogateur. Et vous voyagez avec un bébé…

- Nous allons à Biarritz pour nous marier, lâche Jean-Luc.

Mon sourire factice s’élargit.

Le gendarme nous considère tour à tour, de plus en plus perplexe.

- Vous ne savez donc pas que c’est la guerre ?

- C’est pour le bien de notre enfant, dis-je. Mon père m’aurait tuée si j’étais restée. Et le bébé aussi.

Je laisse libre cours à mes larmes, consciente de la stupéfaction de la famille qui partage notre compartiment. Voilà qui aura donné une dimension supplémentaire à leur voyage…

Après un bref silence, le gendarme s’exclame avec un gros rire :

- Vous vous êtes enfuis ! Vous feriez mieux de descendre de ce train, monsieur. Il faut qu’on parle.

Jean-Luc me tapote la main en attrapant sa sacoche.

- Mais bien-sûr, monsieur.


Et il sort du compartiment. Je lance un regard de détresse au père de famille qui se détourne ostensiblement vers la vitre.

Je vous en prie, mon Dieu, je vous en prie. Je vous en prie. Je me mords la lèvre inférieure. Les secondes deviennent des minutes.

Après ce qui me paraît une éternité, Jean-Luc revient s’asseoir à côté de moi. Le soulagement déferle en moi telle une vague vivifiante. Je recommence à respirer. Jean-Luc se penche à mon oreille :

- Je lui ai graissé la patte. Il s’imagine connaître notre secret, et il voulait de l’argent en échange de son silence. Un secret en dissimule un autre…


Et posant la main sur mon genou, il me regarde droit dans les yeux.

- Les meilleurs mensonges sont toujours ceux qui contiennent une part de vérité.



Extrait P 300

Exténuées, les membres raidis de peur et d’ankylose après avoir passé trois jours dans un wagon à bétail bondé, elles se mirent en rang par cinq, l’une derrière l’autre. Sarah balayait désespérément du regard le groupe des hommes. Mais David restait invisible.

- Schnell ! Schnell !

Un coup de feu éclata et le bruit mou d’un corps qui s’effondre parvint aux oreilles de Sarah. Elle ne pouvait pas regarder. Elle se raccrocha à Madelaine et à Cécile, toutes les trois désormais unies par cette folie humaine.

L’homme chargé du tri pointa une baguette sur Cécile. C’était un prisonnier, comme l’indiquaient sa veste et son pantalon rayés.

- Hé, toi ! Quel âge as-tu ?

- Treize ans.

- Non ! Tu as dix-huit ans !

- Mais, si… j’ai treize ans !

- Si tu as treize ans, tu es morte, répliqua l’homme à voix basse. Tu n’as qu’à dire que tu as dix-huit ans.

Il continua à passer la colonne en revue.

Un autre prisonnier prit sa place et se mit à leur hurler :

- Vous ne saviez pas ? En 1944 ? En 1944, vous ne saviez pas ? qu’est-ce que vous faites ici ? Vous auriez mieux fait de vous suicider !

Il leur désigna les nuages de fumée noire qui s’élevaient dans un ciel à peine moins sombre.

- C’est là que vous allez finir. Au four crématoire.

Madeleine se détourna pour vomir et Sarah comprit soudain d’où venait cette horrible odeur. A présent, il n’y avait plus place au doute dans son esprit : elle avait fait ce qu’il fallait en confiant son fils à un inconnu.

Ils étaient arrivés en enfer.


Extrait P 308

La mort de Cécile les affecta toutes profondément. Elles n’avaient pas réussi à protéger cette enfant. La culpabilité de lui avoir survécu leur rongeait l’âme. Elles cessèrent de chanter et le soir, au lieu de se raconter des histoires, elles se mirent à traîner avec d’autres groupes de prisonnières, mais en restant toujours un peu à l’écart, en spectatrices.

Cela ne pouvait pas durer, comprit Sarah, elles devaient se ressaisir. Céder à l’apathie, se laisser aller, c’était à terme se transformer en zombies, ces pauvres créatures au regard vide, plus mortes que vivantes.

Cela faisait partie de la stratégie nazie : ils cherchaient à les dépouiller de leur humanité. Cela leur facilitait-il la tâche de ne plus voir les prisonniers comme des êtres humains ? Sinon, comment pouvaient-ils les traiter de cette façon ? Et à une telle échelle ? Les tabasser, les torturer, les exécuter. Comment une telle barbarie était-elle devenue possible ? Ces questions ne cessaient de la tourmenter. Aucun esprit normal ne pouvait imaginer jusqu’où l’homme était capable de s’abaisser. Les gens les croiraient-ils un jour si, par miracle, ils parvenaient à sortir de là vivants ? Sarah en doutait parfois.



Extrait P 418


Sarah a déjà entendu ce genre de discours et chaque fois, elle a honte de la naïveté qui a été la leur sous l’Occupation. Honte qu’ils se soient crus protégés parce qu’ils étaient français, avec un nom bien français remontant à deux générations, parce qu’ils habitaient dans le très chic XVIème arrondissement. En 1942, ils avaient pourtant été témoins de l’immense rafle du Vel d’Hiv. Mais ils n’avaient jamais envisagé de fuir. Ils n’avaient pas voulu partir. Par fierté, courage ou déni de la réalité ?



Extrait P 443


Comment lui dire qu’elle ne sait plus comment prier ? Son esprit fourmille de doutes, elle est en pleine confusion. Elle n’arrive même plus à discerner le bien du mal. Est-ce mal d’avoir voulu récupérer son fils ? Mal d’avoir puni l’homme qui l’a sauvé de la mort ? Pour sa part, elle ne voulait pas qu’il soit puni. Chaque fois qu’elle y repense, son cœur se serre de culpabilité. La décision n’était pas de leur ressort, mais tout de même…de la prison ! Cela semble tellement injuste ! Ils ont tous déjà été suffisamment punis, trop durement et pendant trop longtemps. Sarah veut simplement mettre un terme à toute cette souffrance. Parfois, elle a l’impression d’être le réceptacle de la douleur de tout le monde, de s’en imprégner jusqu’à en avoir le cœur prêt à éclater. Tout l’atteint trop fort. Elle a demandé conseil à Dieu, elle lui a demandé qu’il lui donne la force, amis elle a l’impression qu’il ne l’écoute plus.

Lorsqu’elle l’a supplié de protéger son bébé, il l’a exaucée. Elle aurait dû s’en contenter. Mais non. Cela ne lui a pas suffi ! Elle a été trop gourmande. Dans son grand égoïsme, elle a voulu récupérer son fils, pas seulement pour l’aimer, mais pour le posséder.


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