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La goûteuse d'Hitler - Rosella Postorino

  • Photo du rédacteur: deslivresetmoi72
    deslivresetmoi72
  • 15 avr. 2020
  • 4 min de lecture

Livre offert à mon père il y a quelques mois, il l’a lu et me l’a prêté, car il sait qu’en général j’ai aussi envie de lire les livres que j’offre, si ce n’est pas déjà fait avant.

C’est un roman inspiré de la vie de Margot Wölk. Je l’ai trouvé intéressant, surtout parce qu’il offre un point de vue assez original sur cette période de la seconde guerre mondiale : c’est le point de vue d’une allemande, plongée au cœur du système nazi, sans pour autant le cautionner. J’ai apprécié de découvrir les conditions de vie des allemands ordinaires, leur peur, leurs interrogations sur le régime en place, leurs contradictions. Ce roman sur les goûteuses d’Hitler, c’est une histoire de femmes qui mangent à leur faim pendant cette période, mais au risque de mourir empoisonnées, des femmes dont la vie peut être sacrifiée pour sauver Hitler d’une mort par empoisonnement. Au-delà de son métier de goûteuse, c’est aussi le récit de la vie de Rosa, une jeune femme, pendant cette époque tourmentée : famille, amitié, amour. Ce récit montre que même en période de guerre, les sentiments et tourments amoureux ont leur place. Alors que Rosa apprend que son mari est porté disparu, elle tombe amoureuse de Ziegler, un des gardiens SS chargé de la surveiller, avec les autres goûteuses, lors des repas. Alors qu’elle méprise sa fonction, elle cède au désir. Tout est assez ambivalent chez Rosa. De même, en compagnie des autres goûteuses, elle apparaît tantôt amicale et empathique, tantôt froide ou distante, superficielle ou engagée.

Finalement, si j’ai trouvé un certain intérêt à découvrir la vie de ces goûteuses d’Hitler, la vie quotidienne d’allemands ordinaires pendant la guerre, j’ai eu du mal à adhérer complètement à l’histoire de Rosa. C’est comme si j’étais restée à distance du personnage principal, sans parvenir à me connecter à elle. Par contre, j’ai bien aimé la fin, même si elle arrive un peu brutalement (un blanc de 40 ans !) et est traitée, à mon avis, trop rapidement. Elle aurait mérité d’être plus développée à mon sens. Un bilan mitigé finalement…

Extrait P 117

Que le veuvage, effectif ou potentiel, fût un état courant ne me consolait pas : je n’avais jamais cru que ça pouvait m’arriver. Gregor avait surgi dans ma vie pour me rendre heureuse, c’était son rôle, tous les autres cas de figure relevaient de l’escroquerie, je me sentais bernée.

Extrait P 120

Je ne me rappelle rien de ces mois, à part le jour où le violet du trèfle dans les prés, intercepté par la vitre de l’autocar pour Krausendorf, me réveilla de mon quotidien monacal. Le printemps était arrivé et une nostalgie sans objet m’envahit. Ce n’était pas seulement l’absence de Gregor, c’était l’absence de vie.

Extrait P 171

Donner la vie, l’ôter, tout ça n’a rien de divin, c’est une affaire humaine. Gregor, qui ne voulait pas se trouver à l’origine d’un destin, s’était enlisé dans un problème de sens, comme si donner la vie devait répondre à un sens, mais Dieu lui-même ne s’est pas posé ce problème.

Extrait P 176

« Les choses ne sont presque jamais comme elles semblent, déclara-t-elle. Ça vaut aussi pour les gens. »

Extrait P 214

Sortir à l’insu de tout le monde tenait de la rébellion. Je sentais dans la solitude de mon secret une liberté totale : j’échappais à tout contrôle sur ma vie, je me livrais à l’arbitraire des événements.

Nous étions amants. Il est naïf de chercher une raison pour laquelle on devient amants. Ziegler m’avait regardée, mieux, il m’avait vue. Dans cet endroit et à ce moment, il n’en avait pas fallu plus.

Extrait P 258

« Puis un matin, un de nos hommes a perdu la tête. Au lieu de les viser, eux, il a retourné son arme contre nous. Nous avons riposté. »

A ce moment-là j’aurais pu savoir. Connaître l’existence des fosses communes, des Juifs alignés à plat ventre, attendant d’être tués d’une balle dans la nuque, de la terre, de la cendre et de l’hypochlorite de calcium qu’on jetait sur leur corps pour qu’ils n’empestent pas, des nouvelles rangées de Juifs qui marchaient sur les cadavres et offraient leur nuque à leur tour. J’aurais pu connaître l’existence des enfants soulevés par les cheveux et fusillés, des files d’un kilomètre de Juifs ou de Russes – ce sont des Asiatiques, ils ne sont pas comme nous – sur le point de tomber dans les fosses ou de monter dans les camions pour être gazés au monoxyde de carbone. J’aurais pu l’apprendre avant la fin de la guerre. J’aurais pu demander. Mais j’avais peur et je n’arrivais pas à parler et je ne voulais pas savoir.

Que savions-nous à cette époque ?

En mars 193, l’ouverture du camp de Dachau avec ses cinq mille places avait été annoncée dans le journal. Camp de travail, disaient les gens. Qui n’en parlaient pas volontiers. […] D’ailleurs, ceux qui en revenaient disaient : s’il te plaît ne me pose pas de questions, je ne peux pas raconter, et là les gens s’inquiétaient pour de bon.

Extrait P 261

Comment accorder de la valeur à une chose qui peut s’arrêter à tout instant, une chose si fragile ? On donne de la valeur à ce qui a de la force, or la vie n’en a pas ; à ce qui est indestructible, or la vie ne l’est pas. C’est si vrai qu’on peut venir te demander de sacrifier ta vie pour quelque chose de plus fort. La patrie, par exemple. Gregor s’y était décodé en s’engageant.

Extrait P 279

Les nouvelles mesures de protection du Führer concernèrent aussi ses goûteuses. On nous avait ordonné de préparer une valise et on vint nous chercher à domicile. Herta me regarda disparaître après le virage de Gross-Partsch, le nez collé à la vitre, et l’angoisse l’étreignit comme le premier jour.

Dans la cour, après la fouille au corps, les gardes contrôlèrent nos valises avant de nous laisser entrer. Krausendorf devint alors repas de midi, repas du soir et dortoir, il devint notre prison. Nous ne pouvions dormir chez nous que le vendredi et le samedi, le reste de la semaine était consacré au Führer, qui avait acheté notre vie entière pour le même prix, et la négociation n’était pas admise. Enfermées dans la caserne, nous étions des soldats sans armes, des esclaves de rang supérieur, nous étions quelque chose qui n’existe pas et en effet, hors de Rastenburg, personne n’a jamais su que nous existions.

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