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La peau dure - Raymond Guérin

Dernière mise à jour : 31 déc. 2019


Je ne connaissais pas du tout ni cet auteur, ni ce roman, jamais entendu parler…Mais comme c’est une amie avec qui je suis sur la même longueur d’onde « littéraire » qui me l’a prêté, je n’ai pas hésité et l’ai lu « les yeux fermés », façon de parler bien sûr !

C’est un roman court mais percutant. C’est un roman social qui date de 1947, qui décrit la fracture sociale entre bourgeoisie et petites gens, et aussi entre hommes et femmes à tous les étages de la société.

Trois sœurs, trois narratrices, trois personnalités bien différentes, racontent leur quotidien, leurs préoccupations, leurs pensées, dans leur langage populaire qui rend le texte si vivant.

Elles se trouvent livrées à elles-mêmes, rejetées par leur père et leur belle-mère à la mort de leur mère, devant subvenir seule à leurs besoins. Clara, bonne à tout faire dévouée à ses patrons, est accusée à tort d’avortement clandestin et se retrouve en prison sans pouvoir ni se défendre ni s’expliquer, victime d’un système sourd et aveugle régi par des hommes qui n’accordent aucune valeur à la parole des femmes, et encore moins à celle de femmes jeunes, pauvres et célibataires. Jacquotte, la plus jeune est la plus « raisonnable, mais de santé fragile, son mari se désintéresse d’elle dès qu’elle ne peut plus travailler et « coûte » pour ses soins. Divorcée, elle se retrouve au ban de la société, dépendante d’un homme plus âgée qui l’a engagée comme bonne et abuse de son pouvoir sur elle. Quant à la plus délurée, indépendante et révoltée, l’indomptable Louise, elle va payer très cher ses choix de vie trop peu conventionnels et son refus de rentrer dans le rang !

A travers ce roman, l’auteur dénonce les conditions de vie des femmes à cette époque où étaient communément admis les faits de battre sa femme ou ses enfants, de tout décider pour elle sans lui accorder d’importance. Les femmes croulent sous les devoirs et obligations sans avoir aucun droit si ce n’est celui de se taire et d’obéir, au père, au mari, au patron.. Il dénonce également les conditions de travail, d’exploitation plutôt des femmes, qu’elles soient au service d’une famille ou embauchées dans une usine ou un atelier. Il montre également une image de la famille loin de celle d’aujourd’hui : pas de place pour le sentimentalisme à une époque où les enfants arrivent sans être désirés et représentent plus une charge, une bouche à nourrir, qu’une promesse de bonheur.

A la lecture de ce livre, on ne peut que saluer et mesurer les progrès sociaux énormes que notre société a connus en quelques décennies !


Extraits


Qu’est-ce qu’il veut dire par là ? Monsieur emploie toujours de ces mots ! Enfin je saisis bien le sens à peu près. C’est vrai que je ne suis pas trop dans mon assiette depuis quelques temps. Probable que c’est cette sale affaire qui me tourmente. Bien sûr que mon service laisse à désirer. Je n’ai pas la tête à moi. J’ai comme un poids sur l’estomac. Il va sûrement m’arriver quelque chose d’ennuyeux. Je ne pense pas à ce que je fais. J’oublie tout ce qu’on me dit. Il faut écouter, Clara, quand je vous parle, ne cesse de répéter Madame. Mais il n’y a rien à faire ! Aussi, Monsieur, qui est de naturel moqueur prétend que je ne suis aps capable de penser.

Les patrons, c’est toujours pareil. Même les meilleurs ! Ça vous juge sans savoir.



On est repassé par la cuisine. Madame m’a encore préparé des sandouiches. Elle se doutait bien que personne ne penserait à me donner à manger en prison. Monsieur est descendu lui aussi. Il a pris le gendarme à partie. Il l’a même engueulé, dans un sens. Et sans se gêner ! J’aurais jamais cru qu’on pouvait parler à un gendarme sur ce ton. Mais pour ça, il n’a pas peur, Monsieur. Il est plutôt doux de caractère. Seulement, quand il a envie de dire quelque chose à quelqu’un, ce serait-y le président de la République, eh bien, rien ne pourrait l’en empêcher. Vous n’avez pas honte d’arrêter cette pauvre fille, qu’il a dit, sans se fâcher. Qu’est-ce qu’elle vous a fait ? Elle s’est fait avorter ? Et puis après ? Vous pouvez me dire ce qu’elle en aurait fait, de son gosse, si elle l’avait gardé ? Ce qu’il serait devenu ? Comment elle l’airait élevé ? Et pendant ce temps-là, le type qui l’a engrossée court encore. Lui, vous vous en désintéressez, vous le laissez tranquille, il n’est pas dans le coup. Quant au père, ça c’est le bouquet, vous ne lui demandez même pas de comptes. Pourtant, le père, hein, le père, est-ce qu’il n’a pas sa petite responsabilité dans tout ça ? Vous voulez que je vous dise, eh bien, avec le respect que je vous dois, vous faites un bien triste métier en ce moment !

Moi, j’écoutais tout ça et je trouvais qu’il parlait bien. Il raisonnait juste. J’aurais pas su arranger ça si bien mais c’était tout à fait ce que j’aurais voulu pouvoir dire.



Mais je n’étais pas au bout de mon étonnement. Voilà, qu’il m’a dit comme ça, vous êtes libre. Mais comme vous n’êtes plus prévenue ni condamnée, vous ne pouvez pas continuer à coucher à la prison. Il faut que vous passiez la nuit à l’orphelinat qui est tout à côté. C’est donc là que je suis allée, en attendant le lendemain. J’ai emporté toutes mes affaires et on m’a mise dans un dortoir avec des innocentes. Mais le matin, quand je suis partie, ils m’ont demandé de leur payer ma nuit et le repas que l’on m’avait donné. J’en revenais pas ! sur le trottoir, qu’ils me mettaient, ces vaches, à six cents kilomètres de ma place et sans me donner un sou pour m’indemniser du dérangement qu’ils m’avaient causé. Parce qu’enfin, ils m’avaient acquittée, c’est qu’ils s’étaient trompés sur mon compte. Après tout, moi, j’avais pas demandé à venir là. Alors, pourquoi est-ce qu’ils ne me payaient pas mon voyage de retour ? Au lieu de ça, ils me jetaient à la rue et débrouille-toi. C’était vraiment pas poli de leur part. Et heureusement que Madame avait eu la bonté de m’envoyer ce mandat, sans ça, je ne sais pas ce que je serais devenue. Ah ! ils en avaient fait des histoires et ils en avaient remué du monde ! Et maintenant je n’étais plus bonne à jeter aux chiens. Je ne sais pas ce que je leur aurais dit. Mais je ne suis pas d’un naturel rouspéteur. J’étais même plutôt contente de m’en être si bien tirée. J’ai donc pris mes cliques et mes claques sans demander mon reste.



Henri, lui aussi, il se mettait en colère, amis lui, il me frappait jamais. Heureusement que François se calme vite. Aussi, le mieux, avec lui, c’est encore de ne pas insister. Quand il s’est laissé aller à me cogner comme ça, je me tais et je m’en vais dans ma chambre en attendant que ça lui passe.

Il a bien trop mauvais caractère pour revenir et il s’en voudrait de me dire un petit mot d’excuses pour se faire pardonner. Mais je sens bien qu’il n’est pas fier de lui et qu’il a honte de ce qu’’il fait. Ce qui ne l’empêche pas de recommencer à la première occasion. Autrefois, quand j’étais gamine, je ne voulais pas croire que ça pouvait exister un homme qui battait sa femme. Et puis, j’ai bien dû me rendre à l’évidence. Il fait ça, d’ailleurs, sans aucune méchanceté, comme si ça allait de soi, comme on flanque une fessée à un gosse qui n’a pas été sage et sans que cela porte à conséquence. Et moi, c’est le comble, eh bien, je finis par trouver aussi que c’est naturel. Je n’ai jamais osé en parler à personne mais je me dis, comme ça, que ça doit être le sort de toutes les femmes d’être battues quand elles ont fait quelque chose qui a déplu à leur homme.

Je ne sais même pas si je ne préfère pas parfois le voir ainsi. Ça prouve au moins qu’il tient un peu à moi. Et le fait est qu’i n’est pas coureur. De ce côté, je n’ai pas à me plaindre. Tout de même, il m’esquinte, quand il tape. Il me donne de tels coups que ça me résonne dans la tête et dans la poitrine et que ça me fait tousser encore plus.

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