La plage d'après - Michel Desmarets
- deslivresetmoi72
- 1 déc. 2024
- 4 min de lecture

Merci aux éditions academia et à Babelio pour ce livre reçu dans la cadre d’une opération Masse critique.
J’ai pris quelques jours après cette lecture pour en rédiger une chronique…Le temps de « digérer » un peu ce livre qui est perturbant : d’abord, il est impossible à catégoriser, c’est un récit singulier, très intime, à l’écriture travaillée qui flirte avec la poésie, le conte initiatique, l’analyse psychologique, la philosophie dans une sorte de journal intime entièrement dédié à l’amour fraternel entre Côme (l’auteur) et Alban, écrit après le décès d’Alban. L’auteur nous conte une relation assez idéalisée de l’enfance de deux frères à la complicité exacerbée…
La construction même du texte est désarmante, assez exigeante pour le lecteur, les chapitres étant numérotés à rebours, beaucoup d’informations sont implicites ou suggérées. L’auteur s’est attaché, par une écriture très travaillée, ciselée, à transmettre son sentiment de « Nostalgie heureuse », expression d’Amélie Nothomb que me semble bien correspondre à ce texte.
Je suis heureuse d’avoir été sélectionnée par Babelio pour recevoir La plage d’après car je ne pense pas que je serais spontanément allée vers ce livre qui fut finalement une belle découverte, un livre profond et dense, qui incite à revisiter ses propres souvenirs d’enfance et à prendre conscience du lien si fort et particulier qu’on partage avec nos frères et / ou sœurs, ceux avec qui on grandit, qui nous connaissent par cœur et nous voient évoluer.
Extrait P 20
Il faut apprendre jusqu’où ne pas aller trop loin. Construire un rapport futé aux consignes parentales.
Obéir est un art délicat et fragile pour les enfants que nous sommes, soucieux de rester en alliance avec les parents mais toujours appelés à dépasser les frontières et les bornes imposées pour cheminer hors des sentiers convenus.
Grandir n’est pas une mince affaire.
Il faut parfois tricher, tordre la loi familiale pour s’élever.
Extrait P 30
Depuis longtemps, seuls la plage et le rythme des marées peuvent m’apaiser et introduire en moi une impression d’assise intérieure. Ma chair redevient confrérie. J marche entre le sec et l’humide comme un funambule. Je suis un enfant qui avance entre les mondes.
Sur la ligne.
Un gamin dans un corps marqué par le temps. Un vieil homme alerte qui découvre, ébahi, la beauté du jour. Un adolescent qui porte un million d’années. Mes yeux fixent les mouvements de l’eau et j’écoute ses sonorités.
En couches superposées.
A la jonction, toujours.
Extrait P36
Pour sauver une personne en écrivant, il faut lui restituer son histoire, la lui faire boire comme une eau sacrée, doucement, en lui penchant la tête pour que le souvenir ne l’étouffe pas.
Je parle de tendresse et de fraternité.
Je relis le passé pour y déceler la vie. Je veux être fidèle à la lumière, à cette part de mémoire vive qui me permet de rejoindre la « part du monde qui espère ». C’est tout sauf mièvre et naïf ! C’est un vrai combat.
Extrait P 82
A chaque âge, Côme joue à écrire.
Il imagine les petits de l’eau se rassembler en banc pour l’écouter.
Il sait bien que la marée reprendra les textes à sa prochaine venue pour les présenter aux enfants-vagues et aux enfants-baleines. Il se voit comme un raconteur qui largue certains récits vers d’autres mondes. S’il ne trace pas au sol, il chante ou parle à voix haute.
Il offre au sol des verbes et des noms nouveaux. Un coup de vent le contraint à fermer le regard et à porter les mains au visage.
Ce geste propulse Côme en terres intérieures où la brise et le courant l’enseignent. Il perçoit, par intuition, un tourbillon minuscule se former près de ses pieds nus et qui dit :
- Tu écris pour apprendre à aimer Côme. Pour nourrir ton espérance. Tu écris pour calmer ton être et respirer. Tu pries ainsi à ta manière, hors dogmes, hors églises, hors croyances, en dedans quoi. C’est Côme enfant parle aux étoiles.
Ce tutoiement lui donne l’impression d’être touché en sa chair même, les éléments lui parlent dans une intimité féconde. Il croyait raconter, le voilà auditeur par un retournement des marées.
Côme écrit, les vents et les eaux lisent ou proclament. A l’occasion ils chantent. Leurs textes se mélangent. Leurs voix se mêlent.
Côme remercie la vie de lui donner cette précieuse faculté d’interpréter librement le langage des autres règnes.
Extrait P 86
Si la nuit répare le corps et lui redonne des réserves de vie, il en va autrement pour l’âme. Alerte et loin de se reposer la nuit, elle court en tous sens pour chercher et trouver ce que le jour ne lui a pas donné. Ou pour se donner des airs de liberté. C’est une espiègle qui joue les rythmes. Elle s’échappe sans prévenir.
Extrait P130
Peut-on feuilleter le temps ?
Lire la vie image par image comme si le Grand Organisateur acceptait – par compassion ou par pédagogie – que ce soit sans cesse engrangé un nombre infini d’instantanés. Comme traces.
Lire le temps et se poser en lui pour contempler, déceler ce qui nous fut invisible, illisible.
Si le temps se donne comme écriture, l’écriture elle-même est seconde, à jamais. Nous sommes des interprètes. Côme voit le monde comme un livre vivant.
L’écrivain n’est qu’un premier lecteur.
Extrait P166
Et Côme repère toujours l’immortelle commune dans le sable des dunes en bord de mer.
C’est une fleur jaune qui lui saute aux yeux.
Un rappel.
Elle sert dans certains villages à tresser des couronnes funéraires.
Séchée, elle se conserve indéfiniment.
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