La princesse au petit moi - Jean-Christophe Rufin
- deslivresetmoi72
- 17 févr.
- 4 min de lecture

Un de mes auteurs préférés ! Livre que je ne connaissais pas, acheté d’occasion sur une foire aux livres. La quatrième de couverture me laissait imaginer un livre un peu caustique sur les arcanes du pouvoir, une sorte de fable satirique … mais ce n’est pas le cas. Dans ce roman, il est question de la disparition de la princesse de la principauté de Starkenbach. Aurel est appelé à la rescousse pour enquêter en toute discrétion et ramener la princesse Hilda dans son royaume.
Cette enquête est bien menée sans être pourtant complètement prenante pour le lecteur, c’est assez prévisible, très progressif, sans grande surprise… Le rythme reste constant, linéaire. Malgré ce bémol, c’est un plaisir de retrouver l’originalité du vice-consul Aurel, anti-héros par excellence, original aux méthodes aussi peu conventionnelles que ses tenues vestimentaires improbables. Une lecture agréable et distrayante, mais qui n’est pas très marquante. Légère déception pour ma part au regard de ce que j’avais anticipé.
Extrait page 27
Il est difficile d’imaginer à quelle profondeur pénétraient ces compliments dans l’esprit d’Aurel. Habitué aux vexations de ses supérieurs, aux brimades de l’administration centrale et à l’ironie méprisante des autres diplomates, il avait fini par se considérer comme une sorte de martyr. Ce sentiment avait renfoncé encore son désir de ne rien donner à ce ministère hostile. Il se réservait pour sa musique et, de temps en temps, quand l’occasion se présentait, menait une enquête dont personne ne l’avait chargé. Qu’un homme tel que Neuville pût lui reconnaître des qualités l’amenait à reconsidérer toutes ses relations professionnelles. Il n’était pas loin, en entendant les révélations du prince, de se dire qu’il avait peut-être été, plus qu’il ne le croyait, entouré d’affection et de respect sans s’en apercevoir.
Extrait page 48
Aurel était sous le charme de ce décor soigné. Peut-être avait-il toujours sans le savoir rêvé de tels palais et jugé en son for intérieur qu’il était destiné à y vivre car tout lui semblait étonnamment familier. En même temps, dans le silence de sépulcre de ces murs épais, la vie prenait un sens nouveau. Son caractère éphémère et tragique apparaissait au grand jour. LA présence de ces figures muettes du passé rappelait aux vivants l’évidence de leur vanité. Toute idée de propriété s’évanouissait devant la certitude de la mort. Une torsion dramatique s’effectuait dans l’esprit entre la permanence des lieux, la lourde solidité de ces palais et la fragilité de ceux qui en faisaient pour un moment leur séjour. Aurel se regarda dans un miroir. Avec sa barbiche, il se trouvait un air aristocratique qu’il accentua en prenant des poses martiales.
Extrait page 69
L’excitation d’Aurel était retombée. L’instinct du chasseur, un instant réveillé par l’énigme de cette disparition, faisait place à un sentiment de faiblesse et presque de panique. Dans quel pétrin s’était-il fourré ? Comment imaginer qu’il eût la moindre chance de démêler les affaires d’un Etat dont, deux jours plus tôt, il ignorait encore l’existence ?
Extrait page 134
Aurel saisit le cliché et le posa sur le porte-partition du piano. De la sorte, l’instrument se trouvait placé sous l’autorité de la princesse. Il avait moins peur d’approcher du fauve ainsi dompté. Il régla le tabouret, s’assit et d’un coup plaqua deux accords majeurs, en les laissant résonner de tous leurs harmoniques.
Au moment où le silence revint, avec ses menaces, Aurel prit la fuite en faisant courir ses mains le long de l’Impromptu n°3 de Chopin. Le vivace était extrêmement rapide et il l’accélérait encore, semant derrière lui la panique, l’obscurité et le protocole. La musique, parvenue à une certaine vitesse, tout comme un avion en bout de piste, décolla. Trois minutes n’étaient pas passées qu’il se sentait parfaitement à l’aise. Il enchaîna avec un morceau plus lent sur lequel il improvisa. Et tout d’un coup, il sut qu’il était suffisamment loin du monde pour revenir, délivré de tout préjugé et de toute crainte, vers « elle ».
Il leva les yeux, fixa le portrait de la princesse et sentit avec volupté qu’elle lui souriait.
Extrait page 176
Demander à Aurel de mettre n’importe quoi était une précaution inutile… Machinalement il alla jusqu’à la salle de bain et reprit le short de gymnastique et le T-shirt qu’il avait portés à la piscine. Ils avaient séché sur le radiateur porte-serviettes. Il enfila une paire de bottes en caoutchouc qu’il avait sortie en prévision d’une promenade sur la plage. Enfin, il saisit sur le haut de sa valise une veste en mouton retourné et l’enfila.
- Allons-y, fit ange qui s’impatientait.
- Mais où ?
- Ici, les questions, on les pose seulement quand on a déjà la réponse.
Extrait page 309
A cette instant, Shayna, qui était descendue derrière eux et se tenait debout en bas de l’escalier les bras croisés, dit d’une voix forte :
- Plaisanterie ? Jamais plaisanterie avec moi.
Aurel la regarda, raide dans son treillis, son beau visage effrayant de sévérité, pleine d’une indignation qui venait de tous les malheurs subis et de toutes les souffrances endurées. Et, vraiment, il la trouvait admirable.
Extrait page 341
Aurel voyait s’effondrer tous ses espoirs. La méthode douce qu’il avait cru pouvoir employer se révélait un complet échec. Le petit personnage suffisant qu’il avait en face de lui l’avait mené en bateau et ridiculisé. Il pensa à Shayna qui avait assisté à cette humiliation devant son écran.
A cet instant, un vacarme se fit entendre en haut de l’escalier. Shayna apparut dans la pièce. Elle était suivie par Ange qui portait un sac à bout de bras. Il le laissa tomber à terre, avec un bruit de ferraille.
- Toi ! Monter, dit-elle à Aurel. Moi occuper lui, maintenant. Plus rigoler.
Il hésita mais le ton de Shayna ne souffrait pas de contradiction. Sitôt en haut, il se planta devant le moniteur.
Il y vit Ange qui ligotait le prisonnier à une chaise pendant que Shayna fouillait dans le sac de matériel. Elle commença ensuite soigneusement à étaler sur la table un horrible arsenal composé de marteaux rouillés et de pinces aux mâchoires effrayantes.
Pour ne pas entendre de cris, Aurel sortit du cabanon et s’engagea sur le sentier qui montait, odorant et vibrant d’insectes, vers les crêtes de roche blanche qui se découpaient dans le ciel.
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