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Le club des incorrigibles optimistes - Jean-Michel Guenassia


C’est très rare pour moi, mais ce livre, je viens de le relire. Je l’avais lu et beaucoup aimé il y a plusieurs années et une amie m’a offert la suite ( Les terres promises) pour mon anniversaire. Avant de la découvrir, j’ai eu envie de me réapproprier le début, qui m’avait laissé un très bon souvenir, mais je ne me souvenais plus précisément des personnages et de leurs liens. Je relis peu, car j’ai souvent peur d’être déçue par des livres que j’avais aimé en les découvrant…C’est peut-être (certainement ! ) une erreur car j’ai adoré replonger dans Le club des incorrigibles optimistes.


Michel, adolescent de 16-17 ans, parisien, passionné de littérature, est plus assidu au troquet du coin qu’au lycée (Henri IV, quand même !). Il y côtoie Igor, Léonid et d’autres membres du club d’échecs. Tous ont en commun d’être arrivés en France après avoir fui la dictature dans leur pays d’origine. Michel vient d’une famille plutôt bourgeoise : mère française d’une famille aisée, son père immigré italien de la deuxième génération. Ils gèrent une grande quincaillerie et ont bien réussi. Il a un frère aîné Franck et une sœur cadette Juliette. Franck, idéaliste, s’est engagé sur un coup de tête dans l’armée pour partir en Algérie. Quelques mois plus tard, il est recherché par la police pour désertion et, avec l’aide de Michel et de son père, fuit à l’étranger pour avoir une chance d’y construire sa vie. Ce livre est foisonnant, passionnant et tous les personnages sont attachants. Autour de Michel gravitent sa famille, ses amis, ses camarades de lycée et à travers eux, l’auteur aborde de nombreux thèmes : l’amitié, la politique, la société française divisée des années 60, l’amour, l’intégration des immigrés… C’est dense, riche, romanesque et j’ai maintenant hâte de lire la suite !


Extrait P35

Longtemps, j’ai vécu dans l’ignorance la plus totale de l’histoire de ma famille. Tout était parfait ou presque dans le meilleur des mondes. On ne raconte pas aux enfants ce qui s’est passé avant eux. D’abord ils sont trop petits pour comprendre, ensuite ils sont trop grands pour écouter, puis ils n’ont plus le temps, après c’est trop tard. C’est le propre de la vie de famille. On vit côte à côte comme si on se connaissait mais on ignore tout les uns des autres. On espère des miracles de notre consanguinité : des harmonies impossibles, des confidences absolues, des fusions viscérales. On se contente du mensonge rassurant de notre parenté. Peut-être est-ce moi qui en attendais trop. Ce que je sais vient de Franck. C’est lui qui m’a révélé la vérité, après les événements du jour de l’inauguration du magasin, qui ont bouleversé notre famille.

Extrait P 51

J’ai dévoré les classiques avec des critères littéraires personnels. Je ne lisais pas un romancier. Je lisais sa biographie et je n’arrivais pas à aimer l’œuvre si je n’aimais pas l’homme. L’homme était plus important que l’œuvre. Quand la vie était héroïque ou illustre, les romans étaient meilleurs. Quand le bonhomme était abominable ou médiocre, ça avait du mal à passer. Saint-Exupéry, Zola et Lermontov ont longtemps été mes auteurs préférés, pas seulement pour leurs œuvres. J’aimais Rimbaud pour sa vie fulgurante et Kafka pour sa vie discrète et anonyme. Comment réagir quand vous adoriez Jules Verne, Maupassant, Dostoïevski, Flaubert, Simenon et une flopée d’autres qui se révélaient d’abominables salauds ? Devais-je les oublier, les ignorer et ne plus les lire ? Faire comme s’ils n’existaient pas alors que leurs romans n’attendaient que moi ? Comment pouvaient-ils avoir écrit des œuvres exceptionnelles en étant des êtres aussi répugnants ?

[…]

L’avis de grand-père Enzo fut décisif. Un dimanche où nous traînions au Louvre, je lui fis part de mon trouble. Je venais de découvrir que Jules Verne était un anticommunard hystérique et un antisémite forcené. Il haussa les épaules et me montra les toiles qui nous environnaient. Que savais-je des peintres dont on admirait le travail ? Si je connaissais vraiment Botticelli, le Greco, Ingres ou Degas, je fermerais les yeux pour ne plus voir leurs toiles. Devrais-je me boucher les oreilles pour ne plus entendre la musique de la plupart des compositeurs ou de ces chanteurs de rock que j’aimais tant ? Je serais condamné à vivre dans un monde irréprochable où je mourrais d’ennui. Pour lui, et je ne pouvais le soupçonner de complaisance, la question ne faisait pas débat, les œuvres étaient toujours ce qu’il y avait de plus important. Je devais prendre les hommes pour ce qu’ils faisaient, pas pour ce qu’ils étaient. Comme je n’avais pas l’air convaincu, il me dit avec un petit sourire : – Lire et aimer le roman d’un salaud n’est pas lui donner une quelconque absolution, partager ses convictions ou devenir son complice, c’est reconnaître son talent, pas sa moralité ou son idéal. Je n’ai pas envie de serrer la main d’Hergé.


Extrait P 84

Finalement, ce qui m’emmerde le plus, c’est que je suis en train de changer d’opinion. J’étais persuadé qu’on était des salauds, que la population était contre nous et voulait l’indépendance. Chacun parle du haut de son perchoir avec sa petite théorie. Il faut voir ce qui se passe dans ces bleds. L’armée y fait un vrai boulot et faut pas croire les conneries qu’on raconte. Aujourd’hui, je commence à comprendre. On n’a le choix qu’entre des mauvaises solutions. Peu de gens ont dû dire autant de conneries que moi.



Extrait P 95

Certains étaient tombés, en quelques heures, du statut de haut fonctionnaire protégé ou de dirigeant comblé d’entreprise publique à celui de sans domicile fixe. Cette dégringolade leur était aussi insupportable que la solitude ou la nostalgie qui les taraudait. Souvent, après bien des pérégrinations, ils s’étaient retrouvés en France où on leur avait accordé l’asile politique. C’était mieux que dans les pays qui les rejetaient. Ici, c’était la patrie des droits de l’homme, à condition qu’ils la ferment et ne soient pas trop exigeants. Ils n’avaient rien, ils n’étaient rien, ils étaient vivants. Chez eux, ça revenait comme un leitmotiv : « On est vivants et on est libres. » Comme me le dit un jour Sacha : « La différence entre nous et les autres, c’est qu’ils sont vivants et nous des survivants. Quand on a survécu, on n’a pas le droit de se plaindre de son sort, ce serait faire injure à ceux qui sont restés là-bas. » Au Club, ils n’avaient pas besoin de s’expliquer ou de se justifier. Ils étaient entre exilés et n’avaient pas l’obligation de se parler pour se comprendre. Ils étaient logés à la même enseigne. Pavel affirmait qu’ils pouvaient être fiers d’avoir enfin réussi à réaliser l’idéal communiste : ils étaient égaux.


Extrait P 143

Ce fut l’un de ces jours noirs, chargés d’amertume, où votre vie bascule dans l’absurde, où elle vous échappe comme du sable dans le poing.

Extrait P 178

J’étais révolté et impuissant. Lui cacher son engagement me paraissait une abjection. La lui révéler et je perdais mon frère. Il avait fait son choix et ce n’était pas Cécile. Je me sentais sali, coincé et plein de rage. Si j’avais été plus fort, je lui aurais cassé la gueule. J’ai un problème avec la logique. Je n’ai jamais compris comment on pouvait dire une chose et faire son contraire. Jurer qu’on aime quelqu’un et le blesser, avoir un ami et l’oublier, se dire de la même famille et s’ignorer comme des étrangers, revendiquer des grands principes et ne pas les pratiquer, affirmer qu’on croit en Dieu et agir comme s’il n’existait pas, se prendre pour un héros quand on se comporte comme un salaud.


Extrait P 423

Je suis resté comme un piquet. Je revoyais Pierre en train de danser le rock. Je l’entendais rire et s’emporter contre la sainte trinité du couple, du drapeau et du pognon ou démontrer avec conviction et véhémence qu’il fallait tuer tous les religieux, curés et rabbins de la terre, et que la seule concession qu’il acceptait était que leur mort soit douce et rapide. Je n’arrivais pas à l’imaginer inanimé et sanglant. J’étais sans réaction ni tristesse. Une mort comme une constatation. C’était l’absurdité qui me choquait. Pas qu’il soit mort mais qu’il ait été tué quatre jours avant la fin de la guerre. Comme si le dernier mort était plus con que le premier. Sa disparition aurait dû me bouleverser. J’étais stupéfait par cette nouvelle et effrayé par mon indifférence.

Extrait P 460

Ils partirent dans une discussion interminable et animée. Sans qu’ils s’en rendent compte, ils parlèrent en russe. Igor en prit conscience le premier et revint au français.

– On n’arrive pas à se mettre d’accord. On ne sait pas s’il vaut mieux attendre et espérer ou se faire une raison et renoncer.

– Demain sera meilleur. Je suis désolé de le constater, Igor Emilievitch, tu es négatif. Moi, je suis un optimiste.

– Je suis un optimiste aussi, répondit Igor. Le pire est devant nous. Réjouissons-nous de ce que nous avons.


Extrait P 515

Je ne suis pas donneur de conseils, Michel. Mais question emmerdements, je suis un expert, vous pouvez me croire. Pour éliminer le chagrin, il y a trois remèdes. Il faut manger. Un bon repas, des gâteaux, du chocolat. Ensuite, écouter de la musique. On se fait toujours avoir. On oublie. Il y a peu de chagrins qu’un moment avec Chostakovitch n’ait pas effacés, même quelques minutes. Il faut éviter la musique en mangeant. – Le troisième remède, c’est de prendre une bonne cuite ? – Grosse erreur. L’alcool ne fait pas oublier. Au contraire. Moi, la méthode que je préfère, c’est le cinéma. Une journée complète. Trois ou quatre films d’affilée. Là, on oublie.

Extrait P 567

J’ai couru. Elle avait disparu. J’ai regardé de tous les côtés. Elle s’était volatilisée. Comment la retrouver, sans aucun indice ? Est-ce que le hasard nous remettrait face à face ? Ou les planètes ? La chance ne passe qu’une seule fois à votre portée. Si vous ne la saisissez pas, tant pis pour vous. J’avais gâché une occasion unique et exceptionnelle et ne pouvais m’en prendre qu’à moi-même. Je m’en suis voulu comme jamais. Mais si tout était prévu, il était peut-être écrit qu’on était faits pour se télescoper, que je la laisserais partir sans son nom et son prénom et que j’errerais jusqu’à la fin des temps à sa recherche. Je la croiserais peut-être dans soixante-dix ans. Je serais chauve, édenté et ventripotent. Elle, ridée et impotente. Je marcherais avec une canne. Elle serait heureuse de me revoir. On se rendrait compte qu’on avait passé des années à se chercher dans le quartier sans se trouver, se ratant de quelques secondes. Elle aurait souvent pensé à moi avant de se marier par dépit et d’avoir six enfants. On connaîtrait enfin nos prénoms. Je lui prendrai sa main décatie. On se sourirait avec tendresse.

Extrait P 582

Le Club était le dernier endroit où un secret était gardé. Ce que l’un savait, les autres l’apprenaient. Les confidences chuchotées à l’oreille, à ne révéler sous aucun prétexte, étaient transmises avec la promesse de les conserver à jamais : « Tu me connais. Je suis une tombe. » Elles étaient dévoilées sous la même condition et ils juraient tous qu’ils ne la répéteraient à personne. « Ou alors, on ne peut plus avoir confiance en un ami. »

Extrait P 607

Michel, réfléchissez à tout ce qu’elle vous a dit. Ce qu’elle aime, ce n’est pas Rimbaud, c’est le poète. Ce n’est pas la poésie, c’est le rebelle. C’est l’évasion. Soyez idéaliste et révolté et elle vous regardera d’un autre œil. C’est fréquent avec les jeunes femmes rêveuses. Profitez-en, plus tard, elles changent. Un jour, elles veulent des enfants, une maison, un mari, des vacances à la mer et de l’électroménager. C’est ça qui tue la poésie. – Comment faire ? Je n’ai jamais écrit de poésie. C’est vrai que je suis un peu rebelle mais ça ne se voit pas beaucoup.

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