Le code rose - Kate Quinn
- deslivresetmoi72
- 16 août 2024
- 9 min de lecture

Achat compulsif pour ce livre dont je n’avais pas entendu parler avant. Je l’ai donc découvert sans aucune attente particulière, prête à me laisser surprendre et embarquer par les quelques 740 pages. Kate Quinn est une autrice américaine et son roman se passe en Angleterre, pendant la seconde guerre mondiale et on y découvre les activités secrètes d’un groupe chargé de casser les codes des messages cryptés des ennemis. Personnellement, je ne connaissais pas l’existence de ce centre et de ces activités de renseignement menées par l’Angleterre dès 1940.
Au sein du centre de Bletchley Park, Osla, la jeune fille plutôt aristocrate, mais très indépendante et pétulante, Mab, jeune femme d’un milieu très modeste au caractère bien trempé venue de Londres et Beth, fille de la logeuse des deux premières, énigmatiques, réservée mais dotés de capacités hors du commun pour casser les codes les plus difficiles deviennent amies, alors que sans la guerre, elles ne se seraient certainement jamais parlé ! Ce qu’elles vont vivre pendant cette période très particulière, tenues par le « Secret Act » qui leur interdit d’évoquer publiquement leurs activités, va développer entre elles une amitié solide. Les événements tragiques de leurs vies respectives mettra parfois à mal leur relation, mais le jour où Beth fait appel à Osla et Mab pour littéralement lui sauver la vie et respecter leur engagement de loyauté envers leur pays, toutes les trois se retrouveront et uniront leurs forces pour tenter de venir à bout de ce fameux « Code rose » et faire éclater la vérité.
J’ai vraiment beaucoup aimé ce roman et j’y ai beaucoup appris sur l’existence des « casseurs de codes » et sur l’importance de leurs activités pour les alliés. Les trois jeunes femmes très différentes sont attachantes et permettent aussi de dépeindre les codes et modes de vie de trois univers différents. Osla est proche de la famille royale, Mab manque d’argent, vit seule avec sa mère et sa petite sœur et doit subvenir à leurs besoins et Beth vit retirée à la campagne, sous le joug d’une mère très autoritaire qui passe son temps à la rabrouer et à l’humilier, entretenant l’idée qu’elle n’est bonne à rien ! Kate Quinn excelle à décrire en détails leur quotidien, leurs préoccupations, même les plus frivoles, en ces temps troublés. Elle décortique aussi les relations qu’elles ont avec leurs fiancés ou prétendants, leurs projets de vie pour l’après-guerre, au sein d’une société britannique en pleine évolution, à la veille du mariage de leur nouvelle reine Elisabeth II. Je n’ai pas vu passer les 740 pages et j’étais triste à la fin de quitter ces trois amies. Très bon roman sur un fond historique très documenté.
Extrait n°1 - Page 19
Sa mère hocha la tête, amusée.
- Mab ! Pour qui te prends-tu, alors ?
- Pour une fille qui peut faire mieux que Mabel.
- Toi et ton mieux. Ce que nous avons ne te suffit pas ?
Non, songea-t-elle, sachant qu’il était préférable de ne pas exprimer son opinion à voix haute car il était mal vu de ne pas se contenter de sa condition. Cinquième d’une fratrie de six, elle avait grandi avec ses frères et sœurs. Entassés dans cet appartement exigu qui sentait les oignons frits et les regrets, ils partageaient les toilettes dans le couloir avec deux autres familles. Elle se serait maudite d’en avoir honte un jour. Néanmoins, elle comptait bien ne pas s’en satisfaire. Etait-il si extraordinaire d’aspirer à une meilleure condition qu’un travail à l’usine jusqu’au mariage ? D’avoir pour ambition d’épouser un autre homme qu’un ouvrier du quartier, porté sur la bouteille, qui finirait par partir, comme leur père ? Elle n’essayait jamais de dire à sa famille qu’ils pourraient améliorer leur sort : s’ils en étaient satisfaits, tant mieux. Mais pourquoi ne pouvaient-ils pas la laisser à ses ambitions ?
Extrait n°2 – Page 51
- GC&CS est le sigle pour The Governement Code and Cypher School c’est-à-dire l’Ecole gouvernementale du codage et du chiffrage. Vous serez assignées à un baraquement, et votre chef de section vous expliquera vos devoirs. Avant cela, je suis chargé de vous faire prendre conscience du fait que vous allez travailler dans l’endroit le plus secret de Grande-Bretagne, où toutes les activités sont d’une importance capitale pour l’issue de la guerre.
Il s’interrompit. Pétrifiée, Mab sentait Osla à son côté, tout aussi immobile. Bon sang ! songea-t-elle. Où diable sommes-nous tombées ?
- Le travail ici est tellement secret que l’in ne vous dira que ce qu’il est nécessaire que vous sachiez, reprit-il. Et vous ne chercherez jamais à en savoir plus. Outre respecter la sécurité intérieure, vous devrez faire très attention à la sécurité extérieure. Vous ne devrez jamais évoquer cet endroit ni avec votre famille ni avec vos amis. Vous verrez que vos collègues l’appellent BP. Et vous ferez de même. Surtout, vous ne dévoilerez jamais à personne la nature de votre travail ici. Révéler le moindre indice pourrait mettre en péril toute la progression de la guerre.
Un nouveau silence se fit. De plus en plus abasourdie, Mab s’interrogea : vont-ils nous former à être espionnes ?
- Si quelqu’un vous pose la question, vous faites un travail administratif ordinaire. Donnez l’impression que c’est ennuyeux. Plus ça paraître fastidieux, mieux ce sera.
Extrait n°3 - Page 56
- Ces pensionnaires ont intérêt à être des filles bien, disait Mme Finch, qui se tracassait. Et si nous nous retrouvions avec deux traînées de Wapping ?
- Je suis sûre que ce ne sera pas le cas, répondit-elle d’un ton apaisant.
Elle ne savait pas vraiment ce qu’était une traînée. C’était la condamnation sans appel de sa mère à l’encontre de toutes les femmes qui se mettaient du rouge à lèvres, portaient un parfum français ou lisaient des romans…Avec un sentiment de culpabilité, Beth sentit La foire aux vanités, le dernier livre qu’elle avait emprunté à la bibliothèque, peser dans sa poche.
Extrait n°4 – Page 66
N’importe quelle autre femme, recevant une lettre inquiétante d’une internée dans un asile d’aliénés, aurait couru à son futur mari, songea-t-elle. Si les femmes qu’ils aimaient étaient menacées par des fous, les fiancés voulaient en être informés. Mais elle savait qu’elle n’en parlerait pas à âme qui vive. Quelques années à Bletchley Park suffisaient à vous rendre muette comme une carpe.
Elle se demandait parfois combien elles étaient en Grande-Bretagne à mentir chaque jour à leur famille sur leur activité pendant la guerre. A ne jamais prononcer les mots : « peut-être ne suis-je plus qu’une femme au foyer, mais je cassais des codes allemands dans le baraquement 6 » ou » J’ai peut-être tout d’une mondaine écervelée, mais je traduisais des ordres de la marine allemande dans la baraquement 4. »
Elles avaient été si nombreuses… A la fin de la guerre en Europe, Bletchley Park et ses stations extérieures comptaient quatre femmes pour un homme. C’était, du moins, l’impression que l’on avait en voyant le flot de cheveux coiffés en rouleaux de la Victoire et de robes d’uniforme lors des relèves d’équipes. Où étaient-elles aujourd’hui ? Combien d’hommes qui avaient fait la guerre étaient, à cet instant précis, en train de lire leur journal du matin sans se douter une seconde que la femme qui, derrière les pots de confiture, leur faisait face, avait combattu, elle aussi ? Les femmes de Bletchley Park ,’avaient peut-être aps affronté les balles ni les bombes, mais elles s’étaient battues. Oh oui, elles s’étaient battues ! Et maintenant, elles étaient juste étiquetées comme femmes au foyer, ou institutrices, ou « débutantes écervelées » et elles tenaient probablement leur langue en dissimulant leurs blessures. Parce que les femmes de BP avaient, certes, eu leur lot de blessures de guerre.
Extrait n°5 – Page 146
Visiblement tourmentée par les scrupules, Beth murmura :
- Je n’aurais pas dû en parler.
Mab la serra contre son cœur en une violente étreinte.
- Merci, chuchota-t-elle. Je sais que tu ne recommenceras pas, mais merci.
Quand, sachant votre famille sur le passage d’une invasion, une collègue brisait le secret de la sécurité nationale pour vous tranquilliser l’esprit, elle devenait officiellement une amie.
Extrait n°6 – Page 190
Clockwell était un endroit pour les morts-vivants, songea Beth. Les médecins pouvaient bricoler à coups de thérapie lénifiante et de traitement par hypnose, mais les malades de l’aile des femmes semblaient rarement guérir et rentrer chez elles. Elles restaient ici : dociles, droguées, se flétrissant et agonisant. A Bletchley Park, on cassait les codes allemands mais, à l’asile, on cassait les âmes humaines.
Extrait n° 7 – Page 275
Elle brandit son chapeau neuf. Un chapeau d’un noir de jais, au large bord, copié sur un borsalino d’homme, un foulard de soie grenat noué autour de la calotte. Elle savait qu’il lui donnait l’air à la fois de Blanche-Neige et de la Méchante Reine, et c’était probablement la dernière jolie chose qu’elle pourrait s’acheter avant des mois.
- Vous n’avez pas idée de l’importance qu’ont les chapeaux pour une femme.
- Eclairez-moi.
- Les chapeaux ne sont pas rationnés. En tout cas, pas encore. J’ai envoyé la plupart de mes coupons de vêtements pour l’année à ma tante, à Sheffield. Elle s’occupe de ma sœur et cela ne l’enchante pas. Alors je la dorlote en lui envoyant quelques coupons par la Poste. Elle s’achètera un manteau neuf et je m’arrangerai jusqu’à l’année prochaine. Mais, au moins, je peux encore m’acheter un chapeau neuf.
Elle s’avança vers la fenêtre du rez-de-chaussée en ajustant le chapeau sur sa tête. Elle savait qu’elle parlait pour ne rien dire. Pourquoi cet homme lui faisait-il éprouver le besoin de combler tous les silences ?
- Nous les femmes, nous nous débrouillons quand il s’agit de nous limiter, ou de raccommoder des bas, ou encore de nous maquiller les yeux avec du cirage. Mais, en contrepartie, nous savons agrémenter un ensemble usé d’un chapeau vraiment superbe. C’est très bon pour le moral en temps de guerre.
D’une voix étrange, il demanda :
- Vraiment ?
- Bien sûr.
Elle examina son reflet tamisé dans la fenêtre, le bord lui battant le front.
- Nous ne pouvons rien faire en ce qui concerne nos heures, les changements de quart ou le manque d’air dans les baraquements. Mais, tous les jours, nous pouvons être élégantes pour partir à la guerre.
Extrait n°8 – Page 278
Elle essaya de reprendre son souffle, de rassembler ses esprits. Qui sait ce qui avait chassé ce voile de distance polie de ses yeux et l’avait poussé à se déclarer ainsi. Mais qu’importait. En ces temps troublés, il suffisait de trois rencontres pour faire une demande en mariage. Elles fleurissaient dans toute l’Angleterre en guerre. Elle aurait été une parfaite idiote de refuser. En outre, il représentait tout ce qu’elle avait osé espérer d’un mari. La gentillesse, la courtoisie, l’éducation, la carrière. Certes, il était un peu plus âgé. Mais cela signifiait qu’il était solide, établi, et non pas l’un de ces gamins inexpérimentés. Peut-être ne le connaissait-elle pas bien, mais elle avait le reste de sa vie pour le comprendre.
Extrait n°9 – Page 467
Aujourd’hui, elle avait la paix, la prospérité, tout ce dont elle avait rêvé pendant les années de guerre, et parfois, cela lui semblait…
Elle chercha le mot. Sans le trouver. Ce n’était pas que sa vie d’aujourd’hui ne comptait pas. Seigneur ! bien sûr, elle comptait. Pouvoir élever des enfants dans un pays en paix en priant pour qu’elle dure, c’était un cadeau qu’elle ne cesserait jamais de chérir. En regardant les piles de serviettes, elle se demanda si ce n’était pas un objectif qui lui manquait. Si les machines de guerre ne manquaient pas à ses mains qui pliaient des serviettes en forme de cygnes… Elle leva les yeux vers l’étage ou son mari dormait. Lui arrivait-il de ressentir la même insatisfaction de devoir adapter ses compétences à la paix revenue ? Si c’était le cas, il n'en parlait jamais. Personne ne semblait jamais exprimer certaines choses. Tout le monde avait juste tourné la page sur la guerre et repris le cours de sa vie.
Et est-ce une si mauvaise chose ? Se rabroua-t-elle. Peut-être la vie n’était-elle plus vraiment exaltante. LA passion, les objectifs à atteindre, n’habitaient plus son quotidien. Mais, d’un autre côté, elle était protégée du chagrin, de l’angoisse. L’aventure, l’exaltation, la passion, tout cela n’était qu’incertitudes.
Extrait n°10 – Page 492
Mais je ne le connaissais pas. Il faut vivre avec quelqu’un pour le connaître. J’ai habité avec mes colocataires pendant trois ans et demi. Je les connais par cœur. Francis Gray, je l’aimais et, pour moi, il était parfait. C’est la preuve que je ne le connaissais pas du tout. Je n’ai jamais pu me rendre compte de tout ce qu’il avait d’imparfait. µJe n’ai pas atteint le point où la chanson qu’il sifflait en se rasant m’aurait exaspérée, où j’aurais découvert que les jours de pluie le mettaient de mauvaise humeur. Il n’a jamais eu le temps de s’apercevoir que je n’étais pas un grand amour de guerre, juste une crétine superficielle qui ne vit que pour les jolies chaussures et les romans empruntés à la bibliothèque. Nous ne nous sommes jamais querellés au sujet de la facture du lait ou pour choisir entre la confiture de fraises et la marmelade.
Extrait n°11 – Page 607
Les pays sont de grands et brillants idéaux, mais les gouvernements sont composés d’hommes égoïstes et cupides.
Extrait n°12 – Page 725 ( épilogue)
Que ceux qui ont travaillé à Bletchley Park et juré de garder le secret aient tenu leur serment paraît aussi extraordinaire que leur réussite à casser les codes. A l’époque des réseaux sociaux, il est stupéfiant de savoir que des milliers d’hommes et de femmes, qui ont manipulé le secret le plus brûlant de la guerre, se sont toujours tus.
Ce qui leur valut une phrase célèbre de Churchill : « Les poules qui pondent de précieux œufs d’or mais ne caquettent jamais ! »
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