Le dernier ermite - Michael Finkel
- deslivresetmoi72
- 22 oct. 2024
- 6 min de lecture

Encore un livre vers lequel je ne serais pas allée naturellement ; il m’a été prêté et recommandé par ma fille qui aime beaucoup les récits de voyage, les témoignages d’exploits extrêmes, ou de survie en autonomie au cours d’aventures initiatique. La quatrième de couverture a suffisamment piqué ma curiosité pour que je le lise.
Effectivement, cette histoire est incroyable : Christopher Knight a réussi l’exploit de vivre seul, retiré du monde, pendant 27 ans, en pleine forêt dans le Maine. Après un départ qui semble assez impulsif, non prémédité, il a affronté volontairement des conditions extrêmes : isolement, faim, froid…Au bout de cette « éternité », il a fini par être arrêté en 2014 pour la quantité innombrable de petits larcins qu’il a commis pendant cette période. Il volait de quoi manger, se couvrir, lire…principalement dans des bungalows de résidences d’été. Michael Finkel, journaliste fasciné par le personnage, est le seul à avoir pu établir un lien avec lui et à recueillir son témoignage après son arrestation.
Très vite, j’ai été intriguée par les choix de vie de Christopher Knight, et par la complexité de sa personnalité, pleine de contradictions. Le récit est précis, détaillé…mais au final, tourne un peu en rond : les mêmes thèmes, explications, justifications reviennent plusieurs fois en boucle et je me suis lassée. J’ai tout de même poursuivi la lecture, retrouvant un peu plus d’intérêt en fin de récit, quand le journaliste aborde la période durant laquelle Christopher Knight a été libéré et a tenté de se réinsérer dans une société dont il ne connaissait plus rien.
Extrait Page 43
Beaucoup de familles avaient finalement décidé de protéger leur bungalow. Elles avaient installé des systèmes d’alarme, des projecteurs à détecteurs de mouvement, des fenêtres plus solides, des portes plus robustes. Certaines avaient dépensé des milliers de dollars. Une nouvelle formule avait enrichi le lexique du littoral des lacs – « à l’épreuve de l’ermite » - et un climat de méfiance inédit s’était installé dans cette petite communauté. Des familles qui ne fermaient jamais leur porte à clef s’étaient mises à la verrouiller. Deux cousins, qui possèdent des bungalows voisins, étaient chacun convaincus que c’était l’autre qui lui avait dérobé sa bouteille de gaz. Plusieurs personnes s’en voulaient constamment d’avoir égaré des objets et s’inquiétaient, en plaisantant à moitié, de commencer à perdre la tête. Un homme avait soupçonné son propre fils de cambriolage.
Extrait Page 45
Avec ces premières images, et d’autres photos prises plus tard, la police était convaincue de sa capture imminente. Les clichés furent placardés dans des magasins, des bureaux de poste, des mairies. Deux agents de police firent du porte-à-porte, de bungalow en bungalow. Ce qui était exaspérant, c’était que personne ne réussissait à identifier l’homme, et les cambriolages continuèrent.
Dix autres années s’écoulèrent. Les effractions à Pine Tree s’intensifièrent, tant au niveau de leur fréquence que de la quantité de biens volés. A ce stade, après un quart de siècle, toute cette histoire devenait grotesque. Il y avait le monstre du Loch Ness, le yéti de l’Himalaya et l’ermite de l’étang du Nord. Un homme, cherchant une réponse à tout prix, avait passé quatorze nuits, sur deux étés, caché à l’intérieur de son bungalow, dans le noir, 357 Magnum au poing, en attendant que l’ermite pénètre chez lui. Sans succès.
De l’avis général, le voleur des origines avait dû prendre sa retraite ou il était mort, et les derniers cambriolages étaient des crimes par imitation
Extrait Page 50
Quant à l’intéressé, l’épicentre de tant de tapage, il renoua avec le silence. Il ne prononça pas un seul mot en public. Il n’accepta aucune offre – ni caution, ni épouse, ni poème, ni argent liquide. Les quelques 500 dollars qui lui avaient été envoyés furent placés dans un fonds de dédommagement aux victimes de ses larcins. Avant son arrestation, l’ermite avait paru échapper à toute explication, mais pour une majorité de gens, sa capture n’avait fait que renforcer l’énigme. La vérité paraissait plus étrange que le mythe.
Extrait Page 108
Mais pourquoi ? Pourquoi un garçon de vingt ans, détenteur d’un emploi, d’une voiture et d’un cerveau abandonnerait-il brusquement le monde ? Cet acte comportait des aspects suicidaires, à ceci près qu’il ne s’ôta pas la vie. « Pour le reste du monde, j’ai cessé d’exister », m’expliqua-t-il. Sa famille dut en souffrir. Ils n’avaient aucune idée de ce qui lui était arrivé, et ils étaient incapables de se résigner à l’idée qu’il soit mort. A celle de son père, quinze ans après sa disparition en pleine nature, l’avis de décès le mentionnait encore comme enfant vivant.
[…]
Il disait ne pas réellement savoir pourquoi il était parti. Il avait énormément réfléchi à la question, mais san jamais aboutir à une réponse. « C’est un mystère », concédait-il. Il était incapable de cerner une cause précise – ni traumatisme de l’enfance ni sévices sexuels. Au foyer familial, l’alcoolisme ou la violence étaient inexistants. Il n’essayait pas de cacher quelque chose, de couvrir un méfait, d’échapper à un trouble quelconque lié à sa sexualité.
Extrait Page 115
Il n’avait pas d’explication claire. Une force qui le dépassait l’avait attiré loin du monde avec toute la persistance de la gravité. Il aura été l’un des solitaires les plus endurants qui soient, et parmi les plus fervents. Christopher Knight était un véritable ermite. « Je suis incapable d’expliquer mes actes, avouait-il. Quand je suis parti, je n’avais rien prévu, je n’avais rien en tête. Je l’ai fait, c’est tout. »
Extrait Page 125
Après cela, expliquait-il, tout dans sa vie devint affaire de minutage. Pour voler, l’heure idéale se situait au cœur de la nuit, en milieu de semaine, de préférence sous un ciel couvert, le mieux étant sous la pluie. Une pluie torrentielle, c’était parfait. Par mauvais temps, les gens restaient loin de la forêt, et il préférait éviter les rencontres. Malgré tout, par précaution, il n’empruntait ni les routes ni les sentiers, et ne lançait jamais une expédition un vendredi ou un samedi, deux jours qu’il repérait en se fiant à l’évidente remontée du niveau sonore sur les rives du lac.
La « question de la lune » constituait un dilemme constant. Pendant un temps, il choisit de sortir quand elle était pleine, afin qu’elle lui serve de source de lumière et qu’il n’ait que peu de besoin d’allumer sa lampe-torche. Les dernières années, suspectant la police d’avoir intensifié ses recherches et ayant mémorisé plus ou moins toute la forêt, il opta pour les nuits sans lune, privilégient le couvert de l’obscurité. Il aimait varier ses méthodes, et il introduisait même souvent des variantes à l’intérieur de ses variations.
Extrait Page 147
Le néant selon Knight comportait un autre élément, « Observer la nature », ainsi qu’il l’appelait, mais cette définition ne le satisfaisait pas. « Cela avait un côté trop Disney. » La nature, précisait-il, est brutale. Les faibles ne survivent pas, et les forts non plus. La vie est un combat permanent et sans merci que tout le monde perd.
Extrait Page 187
La neige fondait, les fleurs s’épanouissaient, les insectes bourdonnaient, les cerfs se reproduisaient. Des années, ou des minutes, passaient. « Je perdais la notion du temps, avouait-il. Les années étaient dénuées de sens. Je mesurais le temps d’après la saison et la lune. La lune était l’aiguille des minutes, les saisons celle des heures. » Le tonnerre éclatait, des canards s’envolaient, des écureuils se rassemblaient, la neige tombait.
[…]
C’est compliqué, disait-il. La solitude vous renforce en vous procurant quelque chose de précieux. Je ne peux écarter cette idée. La solitude a accru mes perceptions. Mais il y a un aspect épineux : quand je me suis appliqué cette perception accrue à moi-même, j’ai perdu mon identité. Je n’avais pas d’auditoire, personne devant qui me produire. Je n’avais aucune nécessité de me définir. Je devenais quantité négligeable. » La ligne de partage entre la forêt et lui, ajoutait-il, semblait se dissoudre. Son isolement lui faisait davantage l’effet d’une communion. « Mes désirs s’éteignaient. Je n’avais fortement envie de rien. Je n’avais même plus de nom. Formulé en termes romantiques, j’étais complètement libéré. »
Extrait Page 219
A présent, il se retrouve jeté dans la vie publique, et cela l’effraie. Ce ne sont pas les grandes démarches qui l’inquiètent, comme chercher un emploi ou réapprendre à conduire, mais les petites, comme le contact visuel, les gestes et les émotions, qui toutes risquent d’être mal interprétées. « Je suis extrêmement susceptible au plan émotionnel. J’ai besoin d’une thérapie. Je m’en rends compte. »
Il se sent confronté à des enjeux de taille – il redoute de commettre une erreur qui l’enverrait en prison. La sanction se dresse devant lui, aussi menaçante que la guillotine. « Je ne suis pas du tout préparé à réintégrer la société. Je ne connais pas votre monde. Je n’ai que mon univers et les souvenirs du monde d’avant mon retrait dans les bois. Qu’est-ce que la vie, aujourd’hui ? Qu’est-ce qui est convenable ? Ma palette de compétences souffre de certaines carences. J’ai besoin de comprendre comment vivre. »
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