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Le jour et l'heure - Carole Fives

  • Photo du rédacteur: deslivresetmoi72
    deslivresetmoi72
  • 23 août
  • 4 min de lecture
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Petit roman acheté et mis de côté depuis un moment, lu en quelques heures. L’écriture est très fluide, le thème au cœur de l’actualité sur la question du changement de la loi en faveur d’un meilleur accompagnement de la fin de vie et de la possibilité de recourir à une aide médicale à mourir. Ce thème m’intéresse : plutôt favorable à la liberté de chacun de pouvoir décider des conditions « acceptables » pour lui de sa fin de vie. Je comprends la complexité des questions soulevées par ce geste, chez les soignants, les proches ; les arguments en faveur ou contre cette possibilité sont intimes, et je pense que le rôle de la loi, dans ce cas, est de permettre à chacun de pouvoir agir en fonction de ses convictions, convictions qui peuvent évoluer et changer, dans les deux sens, entre la réflexion « à froid » et face à la réalité d’une maladie incurable.

Dans ce roman, une mère de famille, atteinte d’une maladie évolutive dégénérative fait son dernier voyage vers la Suisse, accompagnée de son mari et de leurs 4 enfants, comme au temps des départs en vacances en famille. Chacun, à sa place, aborde ce voyage avec un mélange de gravité et d’une certaine légèreté indispensable pour que cette dernière étape de la vie d’Edith reste supportable. Ce geste, sa volonté de maîtriser jusqu’au bout son destin, Edith le revendique comme une liberté, valeur qui a guidé tous ses choix de vie.

Les points de vue de Simon, le mari et des 4 enfants, Audrey, Théo, Jeanne et Anna alternent et nous permettent de mieux comprendre leurs rôles respectifs au sein de la famille, l’éducation qu’ils ont reçue, ce que leur a transmis leur mère et comment ils « gèrent » ce moment si particulier et définitif.

C’est un récit assez concis, sans fioriture, touchant sans être plombant ou larmoyant. Le ton est juste.


Extrait page 12

Mais ce matin-là, tout le monde se tait. Heureusement qu’il y a la radio pour faire diversion. Oublier que si l’on part à six, au retour, on ne sera plus que cinq. Ça me rappelle nos voyages en camionnette étant enfant, on a pas mal baroudé, l’Irlande, le Danemark, la Norvège… Il y a comme une continuité naturelle aujourd’hui, à se retrouver ensemble dans ce véhicule et à se rendre dans une ville inconnue. Un petit goût d’aventure.

 

Extrait page29

Il m’a écoutée, ça me faisait du bien mais de toute façon, tous les gens que je croisais depuis des semaines, je ne pouvais pas m’empêcher de leur en parler. C’était irrépressible, je ne parlais plus que de ça, ça me débordait. J’avais besoin d’expliquer pour le comprendre moi-même, je crois. J’avais mis tout le reste entre parenthèses.

 

Extrait page 60

Quand on leur a parlé de notre projet, les médecins disaient, mais voyons, vous n’en êtes pas encore là ! Ils minimisaient beaucoup les éventuelles évolutions de la maladie. Lorsqu’on est médecin, on n’est pas préparé à la mort des gens. Notre mission, c’est de les tenir en vie coûte que coûte, en dépit de leur liberté. La mort, ce n’est pas notre sujet. Notre société est comme ça, elle ne veut pas regarder la mort en face. Et pourtant, j’ai lu dernièrement de très belles choses des philosophes grecs. Philosopher, c’est apprendre à mourir, pensaient-ils. Et si soigner, c’était aussi apprendre à mourir ?


Extrait page 112

Je me souviens d’Édith devant le berceau d’Audrey, elle avait huit jours, on était tous les deux devant notre poussin, Édith avait eu cette phase, n’oublions pas que nous avons fait une liberté.


Extrait page 153

Elle a exercé en cabinet une quinzaine d’années puis elle a préféré travailler bénévolement. Elle s’est mise au service de la Cimade, qui aidait les migrants et les sans-papiers. Elle mettait ses compétences juridiques à leurs services, elle faisait des dossiers de demandes de régularisation, ce genre de choses… Elle était très lucide sur le côté bonne conscience de ce genre d’association, le côté moi j’ai tout, eux ils n’ont rien, elle n’était pas là-dedans et elle traitait les sans-papiers comme les autres. Certains venaient pleurer, ma femme est partie avec un autre. Elle les écoutait puis elle disait, vous vous rendez compte de la vie infernale que vous lui avez menée, à votre épouse ? Maintenant, elle veut divorcer et je peux vous aider dans la procédure mais ne comptez surtout pas sur moi pour la plumer ! Les gars repartaient la queue entre les jambes, ils prenaient conscience de ce que personne ne leur avait jamais dit. Elle a toujours protégé les faibles, les petits, ceux qui n’ont pas de voix. Moins tu avais de poids social, plus elle était attentive à toi.

 

 

Extrait page 173

Moi, je vois la mort comme une étape de la vie. Ce n’est pas un aboutissement, ce n’est sûrement pas la vie éternelle et toutes les conneries des églises. Édith, c’est comme pour mon grand frère, comme pour mes parents, elle continuera à vivre à travers nos conversations. Je les ai suffisamment côtoyés tous pour pouvoir prolonger leurs vies à travers nos échanges. Pour moi qui suis un lecteur de la première heure de Corto Maltese dont je lisais les planches dans Spirou, mes morts sont comme Monsieur Novembre. Ils viennent au moment où j’ai le plus besoin d’eux. Quand je dois prendre une décision, Monsieur Novembre intervient et me dit, ça ne va pas là, je te conseille plutôt de faire comme ça. Il faut que tu restes fidèle à toi-même, que tu gardes ton âme. Je ne parlerai pas d’ange gardien, je déteste cette connotation religieuse, je déteste les religions.

 

 

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