Le pavillon des oiseaux - Clélia Renucci
- deslivresetmoi72
- 28 déc. 2023
- 7 min de lecture

Ce livre m’a été offert par ma sœur, pour accompagner ma remise sur pieds ! Sincèrement, seule, en lisant la quatrième de couverture, je ne serais pas allée spontanément vers ce roman. Convaincue par se libraire, ma sœur me l’a apporté et je l’ai commencé, un peu dubitative, peu attirée en général par les romans historiques. Et bravo à la libraire de bon conseil car j’ai vraiment aimé ce livre et passé un excellent moment en compagnie de Clélia Farnese, personnage principal du roman. Sur un fond historique très documenté, le récit de la vie de cette jeune femme au cœur de l’Italie pendant la Renaissance est passionnant, et le style de l’autrice enrichit le roman : son écriture est riche, précise, au vocabulaire recherché, le rythme des phrases s’accorde au tempo de la vie de Clélia. J’ai beaucoup apprécié cette écriture exigeante, qui enrichit le lecteur.
Clélia Renucci nous plonge dans l’univers impitoyable de Rome pendant la Renaissance : complots, trahisons, manigances, luttes de pouvoir religieux et politique, violence entre les grandes familles que sont les Médicis et les Farnèse. Clélia est une jeune femme moderne pour son époque, intelligente, qui entend vivre sa vie en échappant autant que faire se peut à l’emprise de son père, puis de son mari, de son amant, de son fils. C’est par ses yeux que l’on plonge dans la vie romaine. Elle se montre indépendante, perspicace, influente et souvent rebelle ! J’ai beaucoup appris sur la Renaissance italienne, sur le mode de vie des grands personnages religieux de l’époque, cardinaux et papes. J’ai découvert la grande violence qui prévalait dans ces milieux, derrière richesses et œuvres d’art foisonnantes.
Extrait P 15
- Puis-je simplement vous demander, mon frère, ou plutôt mon maître, comment vous pouvez être absolument certain de votre paternité ? La maison dans laquelle vous m’envoyez est une masure. Ne pourriez-vous pas vous tromper ?
- Seul l’homme indécis se trompe. L’échec est une illusion des faibles. La grandeur assume ses conséquences et ne redoute rien. En toute chose, l’action seule nous sauve.
Extrait P33
- Que vous ai-je fait, Clélia, pour que vous me traitiez de la sorte ? Ou plutôt que n’ai-je pas fait pour vous ? Ne vous ai-je pas assuré une position confortable, manquez-vous de quoi que ce soit ici ? Choisissez votre camp, ma fille. Vous êtes une Farnèse et les Farnèse sont unis. La fidélité participe de notre devise.
« Vous savez, ajouta-t-il d’un ton plus doux, relevant le visage de sa fille qui baissait les yeux, la forçant ainsi à le regarder, la folie comme la grâce seront toujours dans le monde, les médisances comme les bienfaits sont dans la nature. Et sachez que, comme la nature, elles se renouvellent tous les ans, chaque jour, à chaque heure. Une fois que vous êtes la proie des avvisi, ils ne vous lâchent plus. Les calomniateurs sont comme le feu, ils noirciraient du bois vert, faute de pouvoir le brûler. Ne vous prêtez pas de si bonne grâce à leurs inepties ou vous le regretterez.
Extrait P36
Clélia ne prit pas la peine de le contredire sur la variété des fleurs qui agrémentaient sa coiffure, mais reprit doucement :
- Pas une leçon, mon père, je ne me le permettrais pas. Donner une opinion, avancer des hypothèses… Je ne m’avilirai pas à ma justifier, mais vous rappellerai juste qu’à l’aube de votre quatorzième année vous fûtes nommé cardinal, et que le pape Paul III, votre grand-père, n’eut pas à rougir de vous avoir ainsi favorisé.
- Favorisé ? Quelle insolente ! sourit son père que ce discours pugnace commençait à amuser.
Cette petite monade de volonté lui rappelait sont assurance d’alors. Il ajouta pour la faire enrager :
- N’oubliez pas, ma fille, que justement vous en êtes une. Et qu’à ce titre vous n’avez droit à rien.
- A rien ? Et Catherine de Médicis qui règne en égale en ce moment aux côtés du roi de France ? Vous vous moquez, mon père. Les mortels sont égaux devant la mort, ce n’est pas la naissance, mais la seule vertu, qui fait la différence, c’est vous-même qui me l’avez enseigné.
Extrait P 70
Et Clélia s’élança, sabots de bois aux pieds, dans le dédale des ruelles, dûment suivie par deux gardes attentifs. Depuis son carrosse, elle n’avait jamais ressenti aussi puissamment l’énergie de cette ville dont elle croyait connaître les moindres secrets. Elle découvrait les odeurs qui en émanaient, un mélange de boue, de pisse, de volailles et de viandes en tout genre accrochées aux devantures des commerces, mais, au détour d’une rue, elle se trouvait soudain en Orient, devant l’étal d’un marchand d’aromates. Le bruit de la cité aussi se révélait à elle, fait de clameurs, de conversations qui jaillissaient des encorbellements pour atterrir jusqu’aux échoppes leur faisant face, de rires, de jurons, de marteaux cognant le fer, de tonneaux roulant vers les auberges, de cliquetis de roues de carrosses aussi, auxquels elle devait prendre garde, protégée par ses hommes qui la retenaient pour lui éviter de se faire broyer au même titre que les commerçants, artisans, mendiants, pèlerins qui se bousculaient à chaque pas. Une ville inconnue, somme toute, bien loin des discussions feutrées de salon. Une ville d’une vivacité stimulante.
Clélia humait, regardait, écoutait tout dans un écœurement ravi…
Extrait P73
- Sans Cesarini à vos côtés, vous ne devez pas accepter de le recevoir, ma fille. Cet homme, quelques qualités que vous lui accordiez, est non seulement une mauvaise fréquentation pour une jeune femme, mais aussi un danger pour vous.
Clélia ne pouvait s’empêcher d’entendre l’antique « non solum sed étiam » de son père et soupirait déjà intérieurement. Que lui avait-il pris de venir lui confier ses peines de cœur ? C’était un logicien, un esthète, un mécène… Il ne serait jamais un confident. Mais il était lancé et elle ne ut arrêter la philippique.
- En refusant à Ferdinando de vous voir seule, il faut que vous gardiez l’exégèse du texte sacré des dynasties italiennes en tête, consciente qu’à Rome, la souveraine habileté consiste à savoir la bien cacher, et que ce qui paraît générosité et amitié n’est souvent qu’ambition déguisée qui feint de mépriser les petits intérêts pour s’en assurer de plus grands.
Extrait P79
… Vous connaissez la susceptibilité des hommes. Un mari n’en veut pas à sa femme de le tromper. Si ses incartades restent discrètes, il peut même en être soulagé, lassé lui-même d’une fidélité d’apparat. De la même manière, un prétendant peut se voir refuser un accès auquel il aspire, tant qu’il garde le sentiment que sa virilité n’est pas mise en question. Hélas, n’aimer guère en amour est le meilleur moyen de se faire aimer…
Et surtout prenez garde : lorsque les hommes rencontrent de la résistance, ce qui a l’r d’être le cas entre vous et Médicis, la folie les guette et alors, plus ils aiment celles qu’ils voudraient voir devenir leur maîtresse, plus ils sont près de la haïr…
Extrait P89
Les champs de ruines étaient en train d’épuiser leur manne, les plus grands artistes s’éteignaient, le quattrocento n’était plus : ni Léonard de Vinci, ni Michel-Ange, ni Bramante, ni Raphaël n’avaient trouvé de successeurs. Vasari peinait à imposer ses nouveaux apprentis. Jacopo Zucchi, malgré son talent à rendre Clélia plis envoûtante encore sur une toile qu’au naturel, ne serait jamais destiné à servir l’Histoire autrement que comme un bon artisan. Tous ses mécènes, Ferdinando lui-même, en étaient conscients. Alessandro aussi cherchait un nouveau souffle parmi les artistes et les sculpteurs qui demeuraient dans son palais, lui qui avait vu, enfant, travailler le grand Michel-Ange. La chapelle Sixtine ne pouvait pourtant rester orpheline. Il fallait sans cesse innover pour asseoir encore et toujours la réputation et la domination de Rome et du Vatican.
Extrait P101
Ferdinando, surpris de tant de facilité, goûta ce bonheur en connaisseur de l’âme féminine, sachant que ce qui lui était offert aujourd’hui pouvait être refusé le lendemain. Le premier adultère est le plus difficile, comme le premier assassinat. La dague une fois plantée au cœur de l’ennemi entache à jamais celui de l’agresseur. Le scrupule naît plus tard, selon le goût et l’inclination de chacun. […] Qui tue, tuera ; qui trompe, trompera.
Extrait P181
Clélia n’avait plus cure d’aucune des rumeurs qui pourtant continuaient à pleuvoir chaque semaine sur son compte. Elle avait vingt-quatre ans, un fils de neuf ans dont il fallait qu’elle assure la destinée, un mari débonnaire qui la protégeait des colères de son père et qui lui accordait une confiance aveugle quant aux affaires de leur ménage. S’il avait été un peu moins volage, Clélia ne s’en serait que mieux portée, mais n’était-ce pas finalement accessoire ? Elle ne pouvait lui donner d’autre enfant que leur seul fils Giuliano, malgré des efforts répétés et plutôt agréables. Elle avait un amant ? Qu’importe ! Sa conscience n’en souffrait plus, ainsi que Ferdinando l’avait prédit lors de leur première rencontre au Pavillon des oiseaux. Son amant avait lui-même d’autres maîtresses ? Où était le mal ? Tant qu’elles ne pénétraient pas dans ce pavillon qui leur était réservé…
Extrait P218
Comment ces gens-là pouvaient-ils inventer autant de moyens de mettre en scène leurs richesses, et en même temps perdre la raison au point de contracter de telles dettes, au risque de menacer l’avenir de leurs enfants et de leurs biens ? […] L’argent leur était-il donc si indifférent qu’ils le prissent ainsi comme un hochet d’adulte à déposer sur des tables couvertes de pions ou de cartes ? elle tentait de comprendre les mécanismes de cette désinvolture. Et, en observant Clélia, fille illégitime d’un cardinal, comme il y en avait tant d’autres, elle jugeait de facto que ce mépris de la monnaie s’accompagnait d’une survalorisation de l’humain.
Extrait P 238
Nul ne voulait rester extérieur au nouveau jeu romain qui consistait à étaler ses richesses sur la place publique pour en retirer des bénéfices tout en remboursant ses dettes. La paternité de l’idée ne fut bien entendu jamais attribuée à Clélia, ni même à Camilla ; Sixte Quint, qui pourtant ne s’intéressait à l’affaire que de loin, plus préoccupé qu’il était d’ingénierie et de modernisme, fut célébré comme un grand novateur.
Les baronnies romaines ne s’avisaient pas qu’en signant ces monti, c’était leur propre tombe qu’elles creusaient et qu’un jour proche, leurs héritiers, contraints de vendre terres et palais pour rembourser leurs créanciers, finiraient par céder leur place à de nouveaux venus. La fin de la Renaissance tout entière, s’approchait, inexorable ; et ils continuaient à se rouler dans la débauche et le luxe.
Extrait P 281
Son visage s’animais en parlant, perdait l’anxiété que ses gestes trahissaient.
- Je ne pourrai pas vous aider… je ne suis plus rien à Rome, vous savez, monsieur … ?
- Annibale, signora Farnèse, Annibale Carracci. Je ne vous demandais rien. Vous rencontrer seulement est pour moi le signe annonciateur de notre réussite future. Vous êtes ma bonne étoile, signora Farnèse. Depuis vingt ans, c’est votre visage que je cherche à reproduire dans toutes mes peintures. Plus que votre visage, c’est votre légèreté profonde, votre nostalgie souriante, votre liberté contrainte, toutes ces contradictions qui font de vous l’être le plus familier et le plus exotique à la fois qu’il m’ait été permis de rencontrer. Vivez une belle et longue vie, signora Farnèse, nous nous reverrons, ici ou ailleurs, j’en suis certain.
Comments