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Les gratitudes - Delphine de Vigan

  • Photo du rédacteur: deslivresetmoi72
    deslivresetmoi72
  • 27 nov. 2020
  • 3 min de lecture

Delphine de Vigan est une auteure que j’aime beaucoup, dont j’ai presque tout lu, mais il me manquait ce petit roman. En cette période de convalescence post-covid, c’était la lecture idéale : une belle histoire, écrite toute en délicatesse et avec simplicité.

Marie et Michka sont très liées depuis l’enfance de Marie. On comprend, par petites touches, le rôle important joué par Mickka auprès de Marie pendant son enfance : Marie et Michka habitent le même immeuble et c’est chez Michka que Marie trouve refuge, attention, écoute, amour quand chez elle tout cela fait défaut. Et des années plus tard, quand Michka vieillit et perd ses mots, Marie est là pour la soutenir, l’accompagner, la rassurer. Admise en Ehpad, Michka perd peu à peu son autonomie et enrage de ne plus pouvoir exprimer ses idées et sentiments : les mots se mélangent, lui échappent, se transforment. Jérôme son orthophoniste et Marie l’entourent et tentent de freiner l’inéluctable descente. Beaucoup de dignité, de respect, de tendresse entre ces trois-là. Michka, en fin de vie, voudrait réaliser son plus cher rêve : retrouver le couple qui l’a recueillie lorsque ses parents ont été déportés pendant la guerre. Elle n’a que 2 prénoms et un nom de village, la Ferté-sous-Jouarre. Marie passe des annonces dans les quotidiens nationaux, Jérôme décide de passer ses vacances à la Ferté-sous-Jouarre…

Avec ces trois beaux personnages, Delphine de Vigan tisse une histoire qui nous donne une leçon de vie !


Extrait P14

Elle s’appelle Michka. C’est une vieille dame aux allures de jeune fille. Ou une jeune fille devenue vieille par inadvertance, victime d’un vilain sort.


Extrait P34

Je cherche quelque chose à dire, quelque chose qui pourrait la réconforter – « les dames sont sympas » ou « je suis sûre que tu vas te faire des copines » ou « il y a pas mal d’activités »- mais chacune de ces phrases est une insulte à la femme qu’elle a été.

Alors je ne dis rien.

Je me contente de rester près d’elle.

Elle s’allonge sur le lit et s’assoupit.

Quelques minutes plus tard, une femme entre dans la chambre pour lui proposer une collation. Un petit jus de pomme, avec une petite paille et un petit gâteau emballé dans un petit sachet. Les mêmes qu’au centre de loisirs.

Voici donc ce qui t’attend Michk’ : des petits pas, des petits sommes, des petits goûters, des petites sorties, des petites visites.

Une vie amoindrie, rétrécie mais parfaitement réglée.



Extrait P 43


Quand je les rencontre pour la première fois, c’est toujours la même image que je cherche, celle de l’Avant. Derrière leur regard flou, leurs gestes incertains, leur silhouette courbée ou pliée en deux, comme on tenterait de deviner sous un dessin au vilain feutre une esquisse originelle, je cherche le jeune homme ou la jeune femme qu’ils ont été. Je les observe et je me dis : elle aussi, lui aussi a aimé, crié, joui, plongé, couru à en perdre haleine, monté des escaliers quatre à quatre, dansé toute la nuit. Elle aussi, lui aussi a pris des trains, des métros, marché dans la campagne, la montagne, bu du vin, fait la grasse matinée, discuté à bâtons rompus. Cela m’émeut, de penser à ça. Je ne peux pas m’empêcher de traquer cette image, de tenter de la ressusciter.


Extrait P 138

Vieillir, c’est apprendre à perdre.

Encaisser, chaque semaine ou presque, un nouveau déficit, une nouvelle altération, un nouveau dommage. Voilà ce que je vois.

Et plus rien ne figure dans la colonne des profits.

Un jour, ne plus pouvoir courir, marcher, se pencher, se baisser, soulever, tendre, plier, se tourner, de ce côté, puis de l’autre, ni en avant, ni en arrière, plus le matin, plus le soir, plus du tout. S’accommoder sans cesse.

Perdre la mémoire, perdre ses repères, perdre ses mots. Perdre l’équilibre, la vue, la notion du temps, perdre le sommeil, perdre l’ouïe, perdre la boule.

Perdre ce qui vous a été donné, ce que vous avez gagné, ce que vous avez mérité, ce pour quoi vous vous êtes battu, ce que vous pensiez tenir à jamais.

Se réajuster.

Se réorganiser.


Extrait P 149

J’entre doucement dans la chambre, pour lui laisser le temps de s’habituer.

Elle est debout près de la fenêtre, comme si je l’avais surprise dans un moment d’incertitude, de flottement, figée au centre d’une zone neutre, entre le fauteuil et le lit. Ce qui me frappe, ce qui m’assaille même, c’est à quel point, en l’espace de quelques semaines, elle a changé.

Elle est vieille.

Cette fois, ça y est.

Son visage s’est creusé, sa peau n’a plus la même couleur, son corps s’est amoindri, son équilibre semble plus précaire. Je ne dois rien laisser voir de la douleur que cette image suscite, je ne dois paraître ni surprise ni effrayée, il ne faut pas que mon corps trahisse ne serait-ce qu’un infime mouvement de recul. Je garde mon sourire et m’avance vers elle.


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