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Les oubliés du dimanche - Valérie Perrin


J’ai lu ce roman sur les vives recommandations d’une amie : ce fut une lecture agréable mais qui ne m’a pas autant enthousiasmée que ce que j’attendais… C’est souvent ce qui se passe quand on a trop entendu parler d’un livre avant de le découvrir par soi-même ! Le cœur du roman est assez original et rare en littérature : dans une maison de retraite, une jeune femme écoute et écrit les souvenirs d’une résidente. Cette vieille dame, Hélène, a eu une longue vie riche en rencontre et romanesque : elle est née en 1917, s’est mariée avec Lucien en 1934. Lucien étant fait prisonnier de guerre, elle tient seule le café qu’ils ont acheté, en espérant son retour. Justine l’écoute et retranscrit tous ces souvenirs, tout en menant sa véritable enquête personnelle sur un secret de famille concernant les conditions de la mort prématurée de ses parents dans un accident de voiture.

Le roman est savamment construit avec un bel équilibre entre les histoires imbriquées les unes dans les autres et les personnages sont attachants. On passe du passé au présent, d’un bilan de « fin de vie » aux premières décisions d’adulte d’une très jeune femme. Les relations familiales, l’amour sont au centre de ces chemins de vie et l’écriture est souvent très imagée, agréable et fluide.

A conseiller pour passe un bon moment avec une histoire originale à la fin un peu surprenante !

Extrait P 21

Hélène est la seule résidente que j’appelle par son prénom.

Chaque matin, après la toilette, on l’installe sur son fauteuil face à la fenêtre. Et je vous jure que ce qu’elle regarde, ce ne sont pas les toits de Milly, mais quelque chose de fabuleusement beau, comme un sourire bleu. Pourtant, ses yeux clairs sont comme ceux des autres résidents d’ici : ils ont la couleur d’un drap délavé. Mais n’empêche que quand j’ai un coup de blues, je prie pour que la vie m’apporte un parasol comme le sien. Son parasol s’appelle Lucien, c’était son mari enfin son presque mari puisqu’il ne l’a jamais épousée. Hélène m’a raconté toute se vie. Tout mais en puzzle. Comme si elle m’avait fait cadeau du plus bel objet de sa maison, mais qu’elle l’avait cassé en mille morceaux avant, sans le faire exprès.

Extrait P 70

Le dimanche, c’est le jour des visites. Pas pour tout le monde. Alors j’ai bu cinq cafés pour pouvoir m’occuper de ceux qui n’en ont pas. Le dimanche est un jour « à prendre avec des pincettes ». Il est chargé de chagrin. Ici, on pourrait croire que c’est tous les jours dimanche mais rien à faire. C’est comme une horloge biologique. Chaque dimanche, les anciens savent que c’est dimanche.

Extrait P 94

C’était la première fois que je parlais d’un truc aussi personnel avec un « coup ». Ce genre de truc, je le garde pour Jules. Ou pour Jo si vraiment j’ai le blues.

Je ne suis pas amoureuse de Je-ne-me-rappelle-plus-comment. Je le sais parce que je ne pense jamais à lui. Avec lui, il n’y a que du présent. Je serais incapable de dire depuis combien de temps je le connais. Je n’ai aucun repère dans le passé. Et aucun projet d’avenir. Jamais je ne lui dis, à demain, à la semaine prochaine, à plus, on s’appelle.

Extrait P 143

Nous avons tous deux vies, une vie où l’on dit ce que l’on pense et une autre où on la ferme. Une vie où les mots passent sous silence.

Extrait P 166

A la libération, Hélène sert des verres gratuits à tout Milly. Même les femmes sont là. Même celles qui regardent Hélène d’un mauvais œil parce qu’elle est peut-être trop belle pour une patronne de bar. Louve, seule rescapée allemande à des centaines de kilomètres aux alentours, les observe boire et trinquer jusque tard dans la nuit.

Hélène boit aussi ce jour-là. Elle boit à l’attente de Lucien. Elle boit aux sursauts qu’elle fait chaque jour à cause du silence de son absence. Aux portes qu’elle entend claquer, mais qui ne claquent plus. A la taie d’oreiller qui reste impeccable et qu’elle frappe du poing chaque matin, avant de faire le lit. Aux cheveux noirs qu’elle ne trouve plus dans les draps blancs. Aux pages des livres qu’elle tourne seule, aux repas qu’elle prend debout sur le coin de la table, tournant le dos aux chaises vides.

Elle boit à l’espoir de le voir revenir, blessé peut-être, mais vivant. Elle sait qu’il n’est pas mort, elle sent son cœur qui continue de battre, mais elle ignore où et comment. Et puis la mouette n’est pas revenue. Elle boit en pensant que celui qui les a dénoncés est peut-être parmi cette foule qui trinque et danse joyeusement sur le parquet de son bistrot. Mais elle ne veut pas détester. Elle veut juste espérer.

Extrait P 202

Des cahiers bleus je pourrais en écrire des centaines. Parfois je me dis que je pourrais transformer chaque résident en nouvelle. Mais il faudrait que j’aie une jumelle.

C’est fou ce que les filles s’occupent bien de leurs parents. Quand j’étais petite, je voulais avoir un garçon. Depuis que je travaille aux Hortensias, j’ai changé d’avis. A part quelques exceptions, les fils passent de temps en temps. Souvent accompagnés de leur femme. Les filles, elles, elles passent tout le temps. La plupart des oubliés du dimanche n’ont que des fils.

Extrait P 309

Lucien la croyait sur parole, mais il ne se rappelait pas. Il l’écoutait lui parler de sa vie, aimait le timbre de sa voix, son regard, la façon dont elle s’essuyait tout le temps les mains sur sa robe sans qu’elles soient mouillées. Il voyait sa beauté mais ne la ressentait plus. Rien ne lui donnait le chemin à prendre pour la retrouver. Parfois, il avait envie de toucher ses cheveux, son visage, pour savoir. Mais jamais il n’aurait osé. Il voulait redécouvrir la femme à qui il avait écrit en braille sur des morceaux de papier à Buchenwald.

Les geste d’autrefois, il les avait retrouvés derrière le bar. Les gestes se souvenaient de lui, mais sans lui. De l’intimité, il ne lui restait plus rien. Il ne parvenait plus à ressentir la moindre joie. Mais une profonde paix intérieure l’envahissait.

Extrait P 381

Il fallait qu’elle trouve un moyen de lui faire faire des cauchemars dans ce lit, jusqu’à son dernier souffle. Et c’est là qu’elle avait décidé de l’éliminer de la surface de la Terre. Pas physiquement. Non, pas d’un seul coup, il fallait qu’il souffre. Mourir tout de suite aurait été trop facile, il fallait le torturer jusqu’à ce qu’il en crève. Il fallait trouver un moyen pour qu’il périsse à petit feu, une agonie qui s’éterniserait. Lui trouver un enfer. Un enfer qui lui soit personnel. L’enfermer vivant derrière des murs invisibles, les murs de la honte, de la culpabilité.

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