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Les terres promises - Jean-Michel Guenassia

  • Photo du rédacteur: deslivresetmoi72
    deslivresetmoi72
  • 27 août 2021
  • 7 min de lecture

600 pages de bonheur ! Quelle joie de retrouver les personnages présents dans Le club des incorrigibles optimistes, même si l’auteur s’est recentré autour de quelques-uns en laissant les autres à la marge. Le tout est plus tourné vers Michel et Franck, les deux frères et leur vie d’adulte. On suit également Igor, l’ex-médecin russe et frère de Sacha. Par contre, le roman est si dense et foisonnant qu’il me paraît difficile, voire impossible de le résumer en quelques lignes ! LC’est 25 ans de vies croisées qui sont racontés, avec des destins surprenants, des histoires de familles et de liens qui se resserrent, se distendent, ou se cassent le tout toujours remis dans le contexte politique et social des périodes évoquées.

Alors, un seul conseil, si vous avez aimé Le club des incorrigibles optimistes, ne passez pas à côté de la suite, Les terres promises !

Extrait P 16

Je suis autant sous le choc de sa mort que sidéré de n’avoir rien vu venir. Je m’en veux de ne pas avoir été présent, j’aurais pu le dissuader de mettre fin à ses jours. Sacha était un homme usé, les derniers temps, il avait la peau sur les os et ressemblait à un vagabond. Longtemps, il s’était accroché à l’espoir que son frère allait lui tendre la main mais Igor est resté intraitable, incapable de lui pardonner d’avoir été un communiste virulent en URSS, d’avoir truqué des milliers de photos et fait disparaître ainsi des milliers de personnes de la surface de la terre. Quand je pense que j’ai vécu auprès d’eux pendant des années en ignorant qu’ils( Igor et Sacha) étaient frères. Au Club, tout le monde savait et personne ne m’en rien dit, ils ne parlaient jamais du passé. Trop dur à porter. Une seule chose les unissait vraiment, c’était d’être des survivants, ils avaient réussi à sauver leur peau, échappant in extremis à la terreur stalinienne. Finalement, Sacha représentait un épouvantail bien pratique. Et moi, je n’ai rien vu, rien compris. Leurs batailles m’étaient étrangères. D’un autre temps.

Extrait P 21

Pendant le reste de sa vie, il a porté le poids de ses fautes, personne ne lui a pardonné ou tendu la main, les membres du Club l’ont rejeté, trop contents de trouver poire qu’eux. Finalement, j’ai été le seul à être son ami, mais j’ignorais ses forfaits. Aurais-je eu la même attitude à son égard si j’avais connu la vérité ? J’aurais probablement réagi comme les autres, je me serais détourné de lui avec mépris. Pourtant, j’hésite à le condamner sans réserve, qu’aurait été ma vie si j’étais né en 1910 à Saint-Pétersbourg et qi j’avais vu se mettre en marche la plus grande révolution de l’histoire de l’humanité, une espérance inouïe de justice sociale ? J’y aurais cru certainement come des millions de Russes. Comme eux, j’aurais fermé les yeux aux premières exactions, à la répression, à l’élimination des ennemis du peuple, c’était un combat pour la plus juste des causes, et malgré moi je me serais trouvé entraîné dans la spirale de la folie, je serais devenu un complice et un bourreau.




Extrait P 22

Je n’arrive pas à comprendre pourquoi les crimes innombrables du communisme paraissent moins graves que ceux du nazisme, sous prétexte qu’ils ont été commis au nom d’un idéal merveilleux qui devait changer le destin de l’humanité.



ExtraitP 60

Il ne faut jamais prêter ses livres. Jamais. Sous aucun prétexte. Surtout ceux auxquels on tient, parce qu’on ne les reverra jamais, le taux de retour étant inversement proportionnel à la qualité du roman. La plupart du temps, les amis finissent par croire qu’ils les ont lus, oublient qu’ils ne leur appartiennent pas, les offrent à un de leurs amis. On doit donner uniquement les mauvais romans, ceux qui vous tombent des mains, d’abord cela débarrasse votre bibliothèque, ensuite cela permet de faire le tri parmi ses amis en éliminant ceux qui ont mauvais goût.

Extrait P 104

Je m’ennuie. Mortellement. On m’avait prévenu qu’en faculté, il fallait se débrouiller seul, mais ce n’est pas d’être livré à moi-même qui me dérange, ce sont les cours qui me rasent. Personne ne m’avait dit que l’ennui faisait partie intégrante du cursus. Il se dégage de l’amphithéâtre une léthargie accablante. Assis sur l’estrade, un bonhomme gris lit son cours magistral dans un micro d’une voix monocorde sans lever la tête ni s’interrompre, comment peut-on parler de choses aussi passionnantes en étant aussi assommant ? Comment peut-on rendre ennuyeux ce qui est si beau ? C’est Saint-µSimon qu’on assassine. Ce n’est pas seulement le phrasé qui est monotone, c’est ce qu’il raconte qui est fastidieux et insipide. Pour moi, lire, c’est l’incarnation de la vie, comme manger ou respirer, tout simplement indispensable à l’existence, or j’ai l’impression d’assister chaque jour à un cours de momification littéraire administré par un fossoyeur.


Extrait P 145

Il pensa, encore une fois, à Franck dont il n’avait aucune nouvelle, se demandant s’il était en bonne santé, s’il avait réussi à faire quelque chose de bien de sa vie, et comme il était d’un tempérament optimiste, il se dit que ça devait certainement aller de façon satisfaisant pour son fils. Surtout qu’il lui avait donné son porte-bonheur. C’est au cours de cette soirée, en écoutant cette pièce policière, que Paul conclut qu’il fallait toujours donner un coup de pouce à la chance, sinon on pouvait attendre cent cinquante ans qu’elle se manifeste, et que lui vint l’idée saugrenue de fabriquer un trèfle à quatre feuilles. C’était idiot comme idée bien sûr. Un faux trèfle à quatre feuilles, ça ne marche pas, tout le monde le sait. Pourtant, Paul se dit qu’il ne perdrait pas grand-chose à essayer, ce qui prouve s’il en était besoin qu’il était un véritable optimiste.

Dans le jardin, il trouva facilement deux trèfles à trois feuilles, qu’il fit sécher dans un livre. Il arracha délicatement un des pétales et le colla tout aussi délicatement à l’autre trèfle à trois feuilles, le transformant miraculeusement en trèfle à quatre feuilles. Paul était habile de ses mains, le raccord était invisible à l’œil nu. Il inséra son nouveau grigri dans une pochette en plastique translucide et contempla son œuvre avec fierté. C’était un vrai trèfle à quatre feuilles, un de ceux qui portent bonheur.


Extrait P 186

Une bière et une autre. Un armagnac. Finissons la bouteille. Personne n’avait envie d’aller se coucher, Franck raconta son histoire avec Djamila. Presque toute son histoire, négligeant un détail mortifère que personne n’avait à connaître. Briard était épaté qu’il soit revenu pour retrouver cette femme. Franck acquit, auprès de ceux qui allaient devenir ses amis, la réputation d’un homme à la loyauté et à l’intégrité sans faille, assumant ses responsabilités, respectant la parole donnée, mettant ses convictions et ses principes moraux au-dessus de son intérêt personnel. Cette image de probité, d’intransigeance même, lui convenait parfaitement. Pas une seconde Franck ne pensa à Cécile qu’il avait plantée de la plus belle des façons, il finit par croire à cette légende et fit tout pour confirmer cette renommée d’honnête homme.


Extrait P 187

Ils parlèrent toute la nuit de cet espoir insensé qui leur était donné de vivre, ce n’était pas à une vie de famille qu’ils aspiraient, mais à une vie politique, ils étaient là pour changer l’Afrique, pour en finir avec le colonialisme et son état d’esprit pourri, ils s’affirmaient comme une nouvelle génération d’hommes et de femmes qui ne rêvaient pas d’acquérir des biens matériels, qui n’aspiraient pas à devenir riches, ils voulaient, au contraire, en finir avec la cupidité, l’égoïsme, la maladie, l’illettrisme, ils ne négocieraient pas leurs salaires, il n’y avait pas d’argent, ils avaient décidé, simplement, de faire partie de ceux qui allaient changer le monde.

Extrait P 192

Les vainqueurs ne sont jamais généreux, ils ont tellement souffert avant de l’emporter, tellement eu peur de perdre, ils doivent faire payer les vaincus et venger leurs morts dans le sang. Œil pour œil. Il n’y a pas de pardon, il n’y a que des haines accumulées qui se transforment en pulsions que personne ne contrôle, l’animalité fait partie de l’humanité, c’est horrible, c’est condamnable, amis c’est dans notre nature, le monde n’avance que par la violence. Il n’y a pas de révolution paisible.


Extrait P 262

Leur instinct les poussait à cacher à l’autre ces détails problématiques pour leur avenir commun, ils ne se mentaient pas au sens strict, convaincus que le mensonge par omission n’est pas considéré comme un péché, il suffisait de s’exprimer avec assez de tact et de délicatesse pour sauver les apparences, ils dissimulaient donc certaines réalités qui n’auraient pas gagné à être dévoilées, à moins de se résoudre à un suicide amoureux, craignant qu’à l’énoncé de ce qu’ils gardaient pour eux, l’autre se sauve en courant. Et comme ils pensaient chacun être le seul à tromper l’autre, cette imposture les amenait à se montrer plus attentionnés, tant et si bien qu’involontairement ils formaient un couple épatant. A croire que c’est l’ignorance qui fonde le bonheur.


Extrait P 325

Pourquoi je n’arrive pas à me défaire de ce type ? Pourquoi ? … J’ai l’impression d’être une mouche empoisonnée dans un verre. J’ai réussi à faire mon deuil de Pierre, il vit à côté de moi, je pense à lui souvent, mais aujourd’hui, c’est plus un manque qu’une douleur, pourquoi est-ce que je n’arrive pas à faire mon deuil de Franck ? A le laisser sur le côté de la route, à avancer sans lui… Je n’arrive plus à nouer la moindre relation, il m’a rendue humainement stérile. A cause de lui, je n’ai plus confiance en personne. Jamais. Même en des gens que je sais sincères. Je me dis : derrière ce sourire, il y a une traîtrise. Forcément. J’ai perdu tous mes amis, je ne vois plus personne et je vis enchaînée à un homme que je hais.


Extrait P 479

- Leur attitude ne relève ni de la logique ni de la raison, mais d’une force qui les dépasse eux-mêmes, ils imaginent un monde que votre système est incapable de leur offrir, et rien ni personne, aucune répression, ne pourra les empêcher de vouloir tenter leur chance. Ailleurs ne sera peut-être pas mieux mais ne pourra pas être pire. Aucune épreuve ne peut les effrayer, ni la menace de l’inconnu, ni les embûches innombrables, ni la prison, ni la mort, ni l’hostilité des peuples vers lesquels leurs pas les conduiront, pas forcément disposés à leur accorder une place. Ils sont prêts à abandonner le peu qu’ils possèdent pour que leurs enfants vivent en Terre Promise. C’est de l’ordre de la croyance, du rêve, vous ne pourrez jamais empêcher un homme de penser qu’ailleurs sa vie sera meilleure, et d’être prêt à tout risquer pour y accéder. Quoi qu’il lui en coûte. Cela s’appelle l’espoir.


Extrait P 566

Il n’y aura pas de monde meilleur sur cette terre. Ce n’est qu’un mirage qu’agitent les politiciens de la mystification, les charlatans du bonheur, parce que leur prétendue justice sociale, leur chimérique égalité, personne ne les a jamais vues et ne les verra jamais. J’ai longtemps espéré avoir un enfant, mais ce rêve, lui aussi, m’a été refusé. A trois reprises cette aspiration m’a échappée. J’ai toujours fait les mauvais choix, j’ai tout gâché et je suis le seul et unique responsable de ma situation et de ma solitude. Avec les années, j’ai su comment apprivoiser la douleur. Pour ne pas couler. Pour avancer. Aujourd’hui, j’ai compris que c’est vers moi-même que je dois aller. Mes certitudes sont fragiles, je dois chercher en moi la vérité.



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