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Là où chantent les écrevisses - Delia Owens

  • Photo du rédacteur: deslivresetmoi72
    deslivresetmoi72
  • 22 mars
  • 11 min de lecture

Ce roman avait été mis en avant dans ma librairie et m’avais interpelée, mais un collègue m’avait dit avoir été déçu, donc je l’avais écarté. Il y a peu, une amie m’a apporté le livre en me certifiant qu’elle était sûre que j’aimerais. Un peu dubitative, j’ai attendu avant de le commencer...et dès les premières pages, j’ai adoré, tout ! L’histoire, le style, la singularité de l’histoire, l’évolution des personnages. Ce roman m’a littéralement conquise ! Et je vais aussi inciter mon entourage à le découvrir sans tarder.

Kya grandit dans une famille marquée par la violence du père, les difficultés financières et à l’écart de la société, dans une cabane au cœur des marais, près de Barckley Cole, en Caroline du Nord. Elle est la dernière de la fratrie et très vite, les aînés quittent la maison pour fuir ce climat de violence. Mais un beau jour, Jodie, le seul frère avec lequel elle a un lien tendre et sa mère adorée partent eux aussi, la laissant à la merci du père. Très vite, elle comprend qu’elle n’est pas la bienvenue dans la ville. Elle est rejetée de l’école où les services sociaux veulent l’envoyer, elle est méprisée par les habitants de la ville qui ne l’appellent que « La fille des marais » et lui attribuent tous les défauts de la terre, elle apprend à ne compter que sur elle et trouve un mode de vie en harmonie avec la vie grouillante du marais : elle collectionne les plumes, connaît les oiseaux, les plantes, les coquillages, les plantes mieux que tous les experts biologistes. Seuls Mabel et Jumping, couple noir de la ville, lui montrent de l’attention et réussissent à gagner sa confiance : Jumping lui achète sa pêche et Mabel lui fournit vêtements, chaussures à partir des collectes faites par la paroisse.

Au cœur du marais, un jeu s’installe entre un jeune garçon Tate, et Kya : il lui offre régulièrement des plumes rares, qu’elle garde précieusement. Peu à peu, ils s’approchent, se parlent et tate va devenir son premier ami de son âge, celui qui va lui apprendre à lire, et reconnaître ses qualités de naturaliste. Tate ets son premier amour, celui à qui elle accorde sa confiance…mais comme tous les autres avant lui, un beau jour, il part pour poursuivre ses études à l’université et l’abandonne en dépit de ses promesses. C’est une trahison pour Kya qui se promet alors de ne plus jamais s’attacher, de ne compter que sur elle, persuadée qu’une malédiction l’entoure et fait fuir tous ceux qu’elle aime. Mais Chase va bouleverser ses résolutions..et alors l’histoire prend un autre tour, passionnant ! Mais je ne dévoilerai rien de plus pour laisser aux lecteurs le plaisir de la découverte !

N’hésitez pas, allez visiter ce bel endroit, là où chantent les écrevisses !

 

Extrait P17

Tout comme ils produisaient leur propre whisky de contrebande, les habitants des marais manufacturaient leurs propres lois – rien à voir avec celles que l’on grave dans la pierre ou consigne dans des documents officiels : des lois plus profondes, incrustées dans leurs gènes. Anciennes et naturelles, comme celles qui régissent le monde des faucons et des colombes. Quand il est acculé, désespéré ou isolé, l’homme se replie sur son instinct de survie. Exécutives et justes. Pareilles à des atouts aux jeux de cartes, ces lois se transmettent plus fréquemment d’une génération à la suivante que d’autres.

 

Extrait P 26

Au cours des jours suivants, Kya tira la leçon des erreurs des autres, et aussi de l’observation des petits poissons, pour essayer de supporter la vie avec lui. Il fallait s’écarter de son chemin, ne pas le laisser la voir, bondir des flaques de lumière aux zones d’ombre. Elle se levait et quittait la maison avant son lever, vivait dans les bois et les marécages, puis rentrait sur la pointe des pieds pour regagner son lit dans la véranda aussi près des marais qu’elle le pouvait.

 

Extrait P 31

Pa et elle dansaient ce pas de deux, menant chacun sa vie dans leur cabane sans même se croiser parfois plusieurs jours durant. Ils ne se parlaient presque jamais. Elle faisait le ménage pour deux, comme une brave petite femme d’intérieur. Elle était loin d’être assez bonne cuisinière pour lui préparer ses repas – de toute façon, il n’était pratiquement jamais là – mais, le plus souvent, elle faisait son lit et la vaisselle, débarrassait la table et balayait. Non pas parce qu’on le lui avait demandé, mais parce que c’était la seule façon de rendre la cabane présentable pour le retour de Ma.

 

Extrait P 65

Scupper continua : « Pense surtout pas que la poésie, c’est rien qu’un truc de filles. Il y a des poèmes d’amour à l’eau de rose, c’est sûr, mais y en a aussi des drôles, beaucoup qui parlent de la nature, et même de la guerre. L’idée au fond c’est qu’ils te font toujours ressentir quelque chose. » Son père lui avait dit de nombreuses fois que la définition d’un homme, un vrai, c’était qu’il savait pleurer sans honte, qu’il pouvait lire de la poésie avec son cœur, que l’opéra touchait son âme, et qu’il savait faire ce qu’il fallait pour défendre une femme.

 

Extrait P 84

Assise à l’avant, Kya observait les doigts du brouillard qui plongeaient pour atteindre leur bateau. Au début, des fragments de nuages déchiquetés avaient défilé au-dessus de leurs têtes, puis la brume les avait enveloppés de sa grisaille, et on n’entendit plus que le cliquètement du moteur. Quelques minutes plus tard, de petites taches d’une couleur inattendue se formèrent tandis que la silhouette détrempée de la pompe à essence de la marina apparaissait lentement, comme si c’était elle, et non pas eux, qui se déplaçait.

 

Extrait P 87

Pa continuait à disparaître de temps à autre, il lui arrivait de ne pas rentrer pendant plusieurs jours, mais pas aussi fréquemment qu’avant. Et quand il revenait, il ne s’effondrait pas dans les vapeurs de l’alcool, mais partageait un repas et lui parlait un peu. Un soir, ils jouèrent au rami. Il s’esclaffa quand elle gagna, et elle rit en se cachant la bouche derrière les mains, comme n’importe quelle autre petite fille. Chaque fois que Kya descendait de la véranda, elle regardait en direction du chemin, en pensant que même si la glycine pâlissait avec la fin du printemps et que sa mère était partie l’été dernier, elle allait peut-être l’apercevoir en train de le remonter. Avec, aux pieds, les mêmes chaussures à talons en faux alligator qui s’enfonçaient dans le sable.


Extrait P 123

Sur la souche étaient posés un carton de lait rouge et blanc et, juste à côté, une nouvelle plume. Apparemment, le garçon avait placé la barre plus haut. Elle s’approcha et saisit d’abord la plume.Douce et argentée, elle provenait de la crête d’un héron de nuit, un des plus beaux échassiers des marais. Ensuite, elle plongea les yeux dans le carton. Roulés serrés, il y avait là de petits paquets de graines : radis, carottes, haricots verts, et tout au fond, emballée dans du papier marron, une bougie pour le moteur de son bateau. Elle sourit et dansa en rond autour de la souche.

 

Extrait P 124

voilà qu’on lui offrait une bougie de rechange, à conserver pour le moment où elle en aurait besoin. Son cœur bondit de joie. Le même sentiment qu’on éprouve devant un réservoir d’essence bien rempli ou un ciel de toutes les couleurs. Elle s’immobilisa, tentant de comprendre ce qui arrivait, de trouver un sens à tout cela. Elle avait déjà vu des oiseaux mâles offrir des cadeaux aux femelles pour les séduire. Mais elle était bien jeune pour faire son nid.

 

Extrait P 132

Avec soin, elle écrivait et répétait inlassablement chaque mot. Tate disait que les mots longs n’étaient jamais que des mots courts attachés ensemble, si bien qu’elle ne les craignait pas et passait directement de « toc » à « pléistocène ». Elle n’avait jamais rien fait d’aussi amusant qu’apprendre à lire. Elle ne parvenait cependant pas à comprendre pourquoi Tate s’était mis en tête d’instruire une misérable petite Blanche comme elle, pourquoi il était venu le premier jour pour lui offrir des plumes magnifiques. Mais elle ne lui posait pas la question, de peur qu’il se mette à y réfléchir et décide de ne plus se montrer.Désormais, Kya pouvait enfin étiqueter tous ses précieux spécimens. Elle prenait en main chaque plume, insecte, coquillage ou fleur, regardait comment écrire son nom dans les livres de Ma, et le recopiait consciencieusement à côté de son dessin sur du papier marron.

 

Extrait P 136

De temps à autre, quand il n’avait pas bu, Jake rêvait à nouveau de finir ses études, de leur donner à tous une vie meilleure, mais l’ombre de la guerre revenait le hanter. Autrefois sûr de lui et arrogant, beau et svelte, il ne pouvait plus supporter l’homme qu’il était devenu et il se mit à taquiner sérieusement la bouteille. Jake n’avait jamais rien trouvé plus facile que de se mêler à la canaille du marais qui passait sa vie à se battre, à boire et à lancer des imprécations.

 

Extrait P 142

Dans un poème, les mots font plus que dire des choses. Ils éveillent des émotions. Des fois même, ils te font rire.– Ma récitait souvent des poèmes avant, mais je ne m’en rappelle aucun.– Écoute un peu. Il est d’Edward Lear. » Il sortit de sa poche une enveloppe pliée et se mit à lire :

Puis Papa-Longues-Jambes

Et Monsieur Ailes-Tombantes

Coururent vers la mer

À grands cris gais et clairs ;

Ils trouvèrent un bateau

Voiles roses et tout beau ;

Et voguèrent loin loin

Vers le ciel de demain.

Tout sourire, elle commenta : « On dirait le rythme des vagues quand elles viennent se briser sur la plage. »De ce jour, elle se mit à composer des poèmes, les inventant alors qu’elle sillonnait le marais dans sa barque ou ramassait des coquillages – des vers simples qui chantaient tout seuls et lui traversaient la tête. « Il était une maman geai, qui réussit à s’envoler, moi aussi je m’envolerais, si seulement je le pouvais. » Elle en riait aux éclats, et ils remplissaient pendant quelques minutes solitaires le grand vide de sa longue journée.

 


Extrait P 149


Mais ce n’était pas la raison principale pour laquelle il avait laissé des plumes à l’intention de Kya dans la forêt, ni celle pour laquelle il venait la voir. Ce que Tate n’avoua pas, c’étaient des sentiments qui semblaient unir l’amour très tendre qu’il éprouvait pour sa sœur disparue et une passion enflammée pour une fille. Il ne parvenait pas à démêler les choses lui-même, mais il n’avait jamais été frappé de plein fouet par une vague aussi puissante. Une force d’émotion aussi douloureuse qu’agréable.

 

Extrait P 169

Le lendemain, elle patienta encore toute la journée. La chaleur monta d’heure en heure jusqu’à midi, une véritable fournaise passé le milieu de journée, qui continua de se réverbérer après le coucher du soleil. Plus tard, la lune lança quelques rayons d’espoir sur l’eau, mais ils disparurent eux aussi. Nouveau lever de soleil, nouveau midi chauffé à blanc. Un autre coucher de soleil. Tout espoir au point mort. Elle détourna tristement le regard, et même si elle guettait encore le ronronnement du moteur, elle n’attendait plus vraiment.La lagune sentait à la fois la vie et la mort, un mélange organique de promesses et de décomposition. Les grenouilles coassaient. Avec mélancolie, elle regarda les lucioles griffer le ciel de la nuit.

 

Extrait P 173

Elle ne remarquait plus à quelle heure la lune se levait ou quand un grand duc fondait en pleine journée sur un geai bleu. De son lit, elle entendait les bruits du marais, les ailes noires des merles qui s’élançaient dans le ciel, mais elle n’allait pas à la fenêtre. Elle avait mal d’entendre les cris des oiseaux de mer qui l’appelaient de la plage. Mais pour la première fois de sa vie, elle ne les rejoignit pas. Elle espérait que la tristesse qu’elle éprouvait à ne pas leur répondre effacerait la blessure de son cœur. Mais rien n’y faisait.Morose, elle se demandait ce qu’elle avait fait pour que tout le monde l’abandonne. Sa propre mère. Ses sœurs. Toute sa famille. Jodie. Et aujourd’hui Tate.

 

Extrait P 180

La vie lui avait appris à aplatir ses sentiments pour qu’ils prennent une forme plus raisonnable.


Extrait P 201

Chase demeura un peu à distance, regardant Kya disparaître dans les tourbillons des oiseaux. Il n’avait pas prévu de ressentir quelque chose pour cette étrange sauvageonne aux pieds nus, mais à la voir tournoyer sur le sable, des oiseaux au bout des doigts, il fut fasciné par son indépendance autant que par sa beauté. Il n’avait jamais connu personne qui lui ressemblait ; sa curiosité et son désir s’éveillèrent ensemble. Quand elle revint vers lui, il lui demanda s’il pouvait lui rendre visite le lendemain, promit qu’il ne lui prendrait même pas la main, qu’il voulait juste être à ses côtés. Elle se contenta de hocher la tête. Le premier espoir qui la traversait depuis la désertion de Tate.

 

Extrait P 250

Si quelqu’un devait jamais comprendre sa solitude, c’était bien la lune.Retournant vers le cycle immuable de la vie des têtards et le ballet des lucioles, Kya s’enfonça plus profondément encore dans un monde sauvage où les mots n’avaient pas cours. La nature semblait le seul galet qui ne se déroberait plus sous ses pas quand elle traverserait un ruisseau.

 

Extrait P 258

Elle marcha vers lui, prit sa main, et posa le livre dans sa paume. D’abord, il ne comprit pas, mais elle lui montra son nom et lui dit :« Tout va bien pour moi maintenant, Jumping. Merci à vous et merci à Mabel de tout ce que vous avez fait tous les deux pour moi. »Il la dévisagea longuement. Dans un autre lieu, à une autre époque, un vieil homme noir et une jeune femme blanche se seraient peut-être embrassés. Mais pas là, pas à l’époque. Elle posa la main sur celle de Jumping, puis tourna les talons, et s’éloigna. C’était la première fois qu’elle le voyait ne pas trouver ses mots. Elle continua de lui acheter de l’essence et des provisions mais n’accepta plus jamais aucun vêtement d’occasion.Et chaque fois qu’elle montait sur ce ponton, elle voyait son livre exposé à la minuscule fenêtre pour que tous puissent le voir. Comme un père aurait été fier de l’exhiber.

 

Extrait P 270

Elle sourit pour la première fois. Les yeux de Jodie étaient restés les mêmes. Les visages changent avec les épreuves de la vie, mais les yeux demeurent une fenêtre ouverte sur le passé, et elle y reconnaissait son frère.

 

Extrait P 334

Vivre seule, c’était une chose, connaître une peur constante, une autre.Elle s’imagina marcher dans l’eau bouillonnante, et s’avancer vers cet endroit paisible au-delà des vagues, des mèches de ses cheveux accrochées comme des aquarelles noires à l’océan d’un bleu pâle, ses longs doigts et ses bras traînant à la surface à peine éclairée. Tout rêve de fuite – même vers la mort – monte toujours vers la lumière. Le gros lot continuerait à briller, hors de portée, jusqu’à ce qu’elle s’enfonce dans la mer et se couche dans l’abysse de silence. Enfin hors de danger.Mais l’instant de la mort n’est pas encore fixé.

 

Extrait P 339

Puis elle perçut un bruit sur le carrelage du couloir, juste devant ses barreaux. Elle tourna vivement la tête. Sunday Justice se tenait assis là, fixant les yeux noirs de Kya de ses prunelles vertes.Son cœur se mit à battre plus fort. Enfermée seule entre ces quatre murs depuis toutes ces semaines, et voilà que ce chat pouvait comme par magie passer entre les barreaux. Être avec elle. Sunday Justice détourna le regard pour s’intéresser à la conversation des détenus à l’autre bout du couloir. Kya craignait par-dessus tout qu’il la laisse et s’en aille vers eux. Mais il se retourna, cligna des paupières avec un air d’ennui profond, et se glissa entre les barreaux. Pour la rejoindre.Kya respira un grand coup. Puis elle murmura : « Je t’en prie, reste ! »Prenant tout son temps, il fit le tour de la cellule en reniflant pour inspecter le ciment hu mide des murs, les tuyaux apparents et le lavabo, manifestement décidé à l’ignorer. Une petite fissure dans la paroi retint particulièrement son attention. Elle lut les pensées de l’animal dans les mouvements de sa queue. Il finit son tour de reconnaissance et s’arrêta devant le petit lit. Puis, comme si de rien n’était, il lui sauta sur les genoux et se mit à tourner sur lui-même, ses grosses pattes blanches trouvant sans doute confortables les coussins de ses cuisses. Kya resta immobile, les bras légèrement soulevés, pour ne pas gêner ses manœuvres. Finalement, il s’installa comme s’il avait dormi là depuis toujours. Il la regarda. Elle lui caressa doucement la tête, puis lui gratta le cou. Un ronronnement monta de sa gorge comme une vague puissante. Elle ferma les yeux de plaisir en se voyant si facilement acceptée. Un changement important dans une vie entière passée à attendre.

 

Extrait P 402

Mais après que Jacob eut refermé sa cellule dans le claquement métallique des barreaux, avant de disparaître dans le couloir et de verrouiller la lourde porte avec un bruit sourd, un silence glacé s’installa. Attendre le verdict de son propre procès pour homicide plongeait dans une solitude toute différente. La question de savoir si elle allait vivre ou mourir ne faisait pas surface dans son esprit, elle restait enfouie sous la peur plus grande encore des années à passer isolée loin de son marais. Ni oiseaux de mer ni océan dans un lieu sans étoiles.

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