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Mademoiselle Papillon - Alia Cardyn

  • Photo du rédacteur: deslivresetmoi72
    deslivresetmoi72
  • 17 mars 2021
  • 4 min de lecture


C’est un très joli roman qui m’a beaucoup plu. Une belle découverte, grâce à ma mère qui m’a prêté ce livre qui lui a été offert à Noël. C’est en fait une double histoire, et on comprend le lien entre les deux récits à la fin. Les chapitres alternent donc entre la vie de Melle Papillon et celle de Gabrielle.

Melle Papillon est une infirmière envoyée par la Croix-Rouge dans la Somme, en 1920, pour travailler dans un dispensaire. La misère extrême qu’elle y découvre et le manque de moyens pour secourir les enfants menacés par la tuberculose, elle s’engage dans un projet titanesque : créer un Préventorium pour permettre à ces enfants de manger à leur faim, d’être éduqués, soignés et leur éviter la maladie. Pour ce projet, elle se bat, s’acharne, convainc autour d’elle et finit par réussir à installer les enfants dans une ancienne abbaye désertée, l’abbaye de Valloires. On découvre l’engagement exceptionnel de cette femme, ses convictions, de la conception de son projet jusqu’à sa réalisation et son développement et son rôle durant la seconde guerre mondiale. Pour ses actions, Mademoiselle Papillon sera reconnue Juste parmi les nations et faite chevalier puis officier de la Légion d’Honneur. J’ai découvert cette femme formidable dont le destin force l’admiration…et alors que j’ai vécu toute mon enfance tout près, je n’ai jamais visité Valloires, ce que je me suis promis de faire en lisant ce roman !


Gabrielle est une jeune infirmière en néonatologie intensive : elle s’occupe de très grands prématurés et traverse une crise professionnelle, elle se pose beaucoup de questions sur son rôle, son engagement. Proche du burn-out, elle a besoin de redonner du sens à son métier. Lorsque sa mère, écrivaine, lui donne à lire son manuscrit sur Melle Papillon, elle y cherche des réponses et y trouve un modèle. Son regard sur son métier va évoluer.


Les deux récits sont forts, bouleversants et s’enrichissent mutuellement. A découvrir !


Extrait P 35

Novembre a recouvert notre région d’un manteau humide.

Depuis la fenêtre du dispensaire, je les observe jouer dehors, dans le froid et la pluie. Ces enfants s’amusent d’un bout de bois, de quelques cailloux, ils ont les loisirs de ceux qui n’ont rien, et d’un rien ils bâtissent un monde chargé de promesses. Non tenues. La plupart ont dépassé le mètre vingt mais il y aussi des bambins. Avec leur courbe de croissance freinée par le manque de nourriture, il est difficile d’évaluer leur âge. Peu importe, ils seront toujours trop petits pour être là. Leur maigreur leur donne l’allure chétive d’un plus jeune tout en durcissant leurs traits, mélange étrange que dessine la faim sur ces visages d’enfants. Cet ensemble formé par leur teint terne, leurs joues creuses, leurs cheveux sales et leurs sourires, m’interpelle. Cette combinaison insolite me captive, ne me lâche jamais, telle une urgence que j’aurais laissée de côté.

J’ai été envoyée par la Croix-Rouge pour aider et leur présence sous mes fenêtres est un rappel constant de l’ampleur de ma tâche. Ou de mon échec, selon la façon dont on voit les choses.

Je m’occupe d’un bandage alors qu’ils sont là à épuiser leurs corps. J’ausculte, je soigne, j’assiste notre unique médecin, agacée par mon manque d’efficacité. A quoi servons-nous si nous laissons traîner les petits dans la rue, premières proies pour la maladie qui sévit ? cela revient à soigner certains tout en contemplant d’autres devenir nos futurs patients.

Sauf qu’un bandage ne pourra rien contre la tuberculose.


Extrait P 90

De toute façon, si on consacre sa vie aux autres pour des mercis, cela ne dure pas longtemps. On donne parce que cela a un sens profond pour soi. Parce que c’est ce qui nous nourrit, nous élève, nous anime.


Extrait P 90

Le conflit des hommes nous a laissé une chance à nous les femmes. Pour la première fois, nous pouvons porter seules nos ambitions. En nous privant des hommes, la guerre nous a pourvues d’un droit d’initiative, d’une détermination nouvelle, d’une liberté inespérée. Au début, on ne savait pas trop pas quoi en faire. Il a fallu apprendre, et vite.

Ces attributs masculins nous appartiennent désormais. Même si la région se peuple à nouveau du sexe fort, je veux conserver ces atouts. Je veux que Valloires soit portée par des femmes, qu’elle soit notre cadeau, produit de ce temps de liberté qui nous a été accordé.


Extrait P 133

Etrangement, j’ai l’impression que l’impuissance de ma mère ne s’est pas limitée à mon passage en néonatalogie, que cette expérience réveillait en elle une émotion sourde, un souvenir plus précoce. La douleur semblait profonde. Une partie de l’histoire me manquait. Le silence de ma mère dissimulait une souffrance. J’en étais convaincue car les enfances heureuses se partagent. J’avais envie qu’un lien existe entre mon impuissance, celle de ma mère et l’histoire de Mlle Papillon. Même un lien subtil. Une façon d’être unie à cette femme.


Extrait P 139

Depuis quelques jours, je lis avec avidité son histoire. Je veux comprendre ce qui nous sépare, moi dans ma grande fatigue et Mlle Papillon dans sa détermination. Je scrute chacune de ses pensées, j’analyse ses décisions, j’observe la façon dont elle accueille ses doutes sans leur donner une place trop importante. Elle persévère avec aisance là où je m’écroule. Elle peut toucher la peau de ses petits, être témoin de leur douleur sans s’alourdir. Chaque jour, elle poursuit sa quête sans faiblir.

Est-ce une question de caractère ? Elle serait faite d’une étoffe qui résiste alors que la mienne m’abîme au contact de la souffrance ? Je refuse cette réponse. Elle me condamnerait à renoncer, à m’éloigner de mes bébés. Je ne veux pas non plus d’une conclusion gratuite qui reposerait sur l’époque et l’individualisme de notre société. Il est si facile de se débiner en invoquant ces excuses. Cela signifierait aussi que plus personne aujourd’hui ne peut être infirmière.

Je veux son secret. Je veux être portée par cette même énergie. Je veux être plus proche de mes petits patients et de leur famille. Je veux savoir quoi faire lorsqu’il n’y a plus rien à faire. Je veux savoir quoi dire lorsque aucun choix ne paraît valable. Je veux savoir quoi dire lorsque aucun choix ne paraît valable. Je veux tout cela mais mes tentatives passées se sont soldées par un échec. J’ai plié sous la pression. Et de défection en défection, une distance s’est installée, formant, telle la coque transparente des couveuses, deux mondes distincts, le mien et celui des autres.

Même si maintenant j’ose m’approcher, ce souffle nouveau est aussi ténu que l’espoir qu’il contient. Il ressemble à la flamme d’une bougie qui vacille sous les soupirs.


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