Marche ou crève - Stephen King
- deslivresetmoi72
- 14 juin 2020
- 5 min de lecture

Je n’ai jamais lu de livre de Stephen King, auteur pourtant très renommé. Suite à une chronique entendue à la radio, faite par Yann Queffélec il me semble, j’ai eu envie de découvrir « Marche ou crève ». J’avais des idées préconçues sur le style de Stephen King : beaucoup de suspense, effroi, tension extrême.
Ce roman ne fait pas partie des plus connus, mais la tension est également très présente : tout au long du livre, on suit la Longue Marche organisée par un ancien combattant chaque année début mai. Cette Longue marche rassemble cent « candidats » qui semblent tous être là pour expier plus ou moins une faute ou se racheter une conduite. Ils ont tous environ 16-17 ans et doivent marcher sans arrêt, jusqu’à ce qu’il n’en reste qu’un. Dès qu’un candidat descend en dessous du rythme de 6.5 km/h, il reçoit un avertissement, au bout de trois avertissements dans l’heure, il est tué par balle. Marcher une heure au bon rythme annule le dernier avertissement.
Pourquoi ces jeunes sont-ils volontaires pour participer à cette épreuve ? Pour se prouver une certaine invincibilité ? Pour la beauté de l’exploit sportif ? Pour le prix à gagner, la réalisation de tous ses rêves ! ?
Le génie de King réside dans le fait de tenir le lecteur uniquement par le récit de ces quelques jours de course : il décrit les marcheurs, leur rythme, leurs alliances ou trahisons au fil des kilomètres, leur mental et leur moral. C’est très fermé comme récit, mais l’exploit est que ça ne devient jamais ennuyeux ! 300 pages de « course » et d’adolescents tués. Ce qui est terrible, c’est qu’au fil du texte, ces morts se banalisent et paraissent de plus en plus acceptables. Cela interroge vraiment sur les pires instincts de la nature humaine et incite à réfléchir aux limites acceptables de ces « jeux » d’élimination ( comme ceux, dans une moindre mesure, de certaines émissions télévisées). Qui sont ces spectateurs massés au bord des routes, jours et nuits pour voir des jeunes se faire tuer ? Que viennent-ils chercher ?
Pour moi, cette lecture est non seulement la découverte du génie d’écrivain de Stephen King, mais aussi un récit qui me restera en mémoire grâce à son originalité, aux questions qu’il soulève et à sa profondeur. J’ai aussi trouvé des passages, très beau, poétiques comme par exemple « Nous raclerons nos souliers sur les étoiles et nous nous suspendrons à la lune la tête en bas. » qui m’a évoqué Rimbaud.
Extrait n°1
Sa mère aussi était grande, mais trop maigre. Ses seins étaient presque inexistants, deux petits renflements. Ses yeux papillotaient, incertains, vaguement inquiets. Elle avait une figure de malade. Ses cheveux gris fer s’étaient emmêlés sous la complexité des pinces qui auraient dû les maintenir en place. Sa robe lui allait mal, pendait un peu, comme si elle avait récemment beaucoup maigri.
Extrait n°2
C’était le remords, le remords sous l’apparence de l’anxiété. Ray Garraty n’avait que seize ans mais il savait ce qu’était le remords. Elle regrettait en ce moment d’avoir été trop négligente, trop fatiguée, ou peut-être trop préoccupée par d’autres chagrins pour mettre fin dès le début à la folie de son fils pour l’arrêter avant que la lourde machinerie de l’État avec ses gardiens en kaki et ses ordinateurs, prenne la relève, pour l’enfermer de plus en plus chaque jour dans son insensible réalité, jusqu’à la veille où le couvercle était retombé avec un claquement définitif.
Extrait n°3
Il se sentait toujours sur la défensive, sans savoir pourquoi. Peut-être parce que tant de ces garçons allaient mourir là, tous peut-être. Probablement tous. Dans toute l’histoire des Longues Marches, six seulement s’étaient terminées au-delà de la frontière d’État du New Hampshire et seulement une était arrivée jusqu’au Massachusetts. Les experts disaient que c’était comme si Hank Aaron réussissait sept cent trente tours complets au base-ball, ou si… n’importe quel record qui ne serait jamais battu. Il allait peut-être mourir ici, lui aussi.
Extrait n°4
Continue de danser comme ça avec moi Garraty, et je ne me fatiguerai jamais. Nous raclerons nos souliers sur les étoiles et nous nous suspendrons à la lune la tête en bas.
Extrait n° 5
Vers 15 h 45, le ciel s’éclaircit et un arc-en-ciel apparut à l’ouest, où le soleil brillait sous des nuages ourlés d’or. Les rayons en diagonale de la fin du jour coloraient les champs retournés qu’ils longeaient, faisant paraître plus nets et plus noirs les sillons qui contournaient les collines. Le bruit du half-track était étouffé, presque apaisant.
Extrait n°6
Un long chemin à parcourir. Il avait encore trop de questions et pas assez de réponses. Toute la Marche lui faisait l’effet d’un gigantesque point d’interrogation. Il se dit que tout ça devait avoir une signification profonde. Sûrement. Sûrement que tout ça devait apporter une réponse à toutes les questions ; il suffisait de garder le pied sur l’accélérateur. Mais si seulement il pouvait…
Extrait n°7
Sa voix était cassée, pleine de toiles d’araignée, comme si elle provenait d’une cave poussiéreuse. Pendant un moment, ni l’un ni l’autre ne parla. Personne ne parlait. Baker avait toujours sa démarche nonchalante – il n’avait pas reçu un seul avertissement –, les mains dans les poches, ballottant doucement la tête au rythme de ses pas, de ses pieds plats. Olson en était revenu à Je vous salue Marie, pleine de grâce … Sa figure était une tache blanche dans la nuit. Harkness mangeait…
Extrait n° 8
Pearson marchait comme un homme au dernier stade de l’ivresse consciente. Sa tête ballottait, formant des plis sur son cou. Ses paupières montaient et descendaient comme des stores déglingués.
Extrait n°9
Quelle profondeur a-t-il atteinte, à l’intérieur de lui-même ? Des brasses ? Des kilomètres ? Des années-lumière ? Quelle profondeur et quelle obscurité ? Et la réponse lui vint : Trop profond pour voir dehors. Il se cache là dans le fond dans les ténèbres et c’est trop profond pour voir dehors.
— Olson ? murmura-t-il. Olson ? Olson ne répondit pas. Rien ne bougeait que ses pieds.
Extrait n° 10
Les détonations claquèrent et il ne sursauta même pas. Le garçon au gilet de soie verte avait pris son ticket, la figure tournée vers le soleil. La mort n’était pas si mauvaise, peut-être. Tout le monde, même le commandant, devait l’affronter un jour ou l’autre.
Extrait n°11
Garraty vit alors que la fatigue commençait à le marquer, quand même. — Tu parles comme si tu n’avais rien à perdre, dit-il. — Eh oui ! Aucun de nous n’a rien à perdre. Comme ça, c’est plus facile de donner. Garraty fut déprimé. Il y avait trop de vérité là-dedans.
Extrait n°12
Et maintenant, il voulait à toute force gagner. Bizarre. Il ne se souvenait pas d’avoir voulu gagner ; c’était la première fois. Pas même au départ, quand il était tout frais (au temps des dinosaures), il n’avait consciemment souhaité gagner. Il n’y avait eu que la gageure. Mais les fusils ne produisaient pas de petits drapeaux rouges avec PAN écrit dessus. Ce n’était pas du baseball ni du Pas de Géant ; c’était absolument réel. Mais ne l’avait-il pas toujours su ? Depuis qu’il savait qu’il voulait gagner, ses pieds lui faisaient deux fois plus mal et il avait des élancements aigus dans la poitrine à chaque respiration. La sensation de fièvre s’aggravait…
Extrait n°13
La pompe et le vacarme du passage de la frontière s’estompèrent lentement derrière eux. La pluie tombait toujours, interminable, monotone. Le vent hurlait et déchirait avec la jeune insouciance cruelle du printemps. Il emportait les chapeaux et les casquettes de la foule, pour les faire tournoyer brièvement comme des soucoupes volantes dans le ciel blanchi. Un peu plus tôt, juste après l’aveu de Stebbins, Garraty avait ressenti un curieux allègement de tout son être.
Ses pieds semblaient s’être rappelé ce qu’ils avaient été. Les douleurs lancinantes dans son dos et son cou avaient cessé. C’était comme lorsque l’on escalade les derniers mètres d’une grande paroi à pic et que l’on émerge au sommet, hors des nuages mouvants et de la brume dans le soleil frais et l’air vif… sans plus autre chose à faire que de redescendre… et cela à la vitesse de l’éclair.
Comentários