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Par les routes - Sylvain Prudhomme

  • Photo du rédacteur: deslivresetmoi72
    deslivresetmoi72
  • 6 avr. 2020
  • 5 min de lecture

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Par les routes est un des romans de la dernière rentrée littéraire que j’avais repérés : il m’a été offert à Noël et je viens juste de le lire : pas sûre qu’une période de confinement soit le meilleur moment pour apprécier ce livre, quoique…

Ce roman reprend le triangle classique du couple et de la tierce personne qui va bouleverser l’équilibre établi. Le couple, c’est Marie, traductrice, et l’autostoppeur, indépendant et insaisissable ; ils sont les parents d’Agustin. L’intrus, c’est Sacha, le narrateur, un écrivain qui vient de quitter Paris et de s’installer, par hasard, à V., la ville de l’autostoppeur. Sacha et lui se sont connus et ont voyagé ensemble dans leur jeunesse, une quinzaine d’années avant.

Chacun de ces trois personnages, à un moment ou un autre, va choisir de partir, seul, sans préméditation, pour échapper au quotidien. Ce roman est une réflexion sur ce qui nous attache, ce qui nous retient. L’amour, l’amitié, la famille, l’engagement sont-ils des moteurs ou des entraves à la liberté de chacun ?

Marie, si elle comprend le désir et le besoin de partir de son compagnon, finit par s’en lasser et le trouver égoïste, tout en étant consciente que c’est cet esprit indépendant et aventureux qui l’a séduite au départ. Sacha, lui, a cessé de partir et de voyager et aspire à plus de stabilité, et s’attache à raconter des voyages imaginaires dans son prochain livre. Quant à l’autostoppeur, c’est comme si le retour inattendu de Sacha dans sa vie lui rappelait ses anciens désirs de voyage et de liberté : il part de plus en plus souvent, de plus en plus longtemps, confiant implicitement Marie et Agustin aux bons soins de Sacha, s’éclipsant pour les laisser se découvrir…

Sylvain Prudhomme écrit tout en délicatesse et suggestion : il s’amuse aussi avec les mots et le rythme des phrases souvent courtes, dans un style léger et expressif.


Extrait P 9 (tout début)

Je l’appelle l’autostoppeur car c’est ainsi, affublé de ce surnom qui n’aura jamais existé que pour moi, dans mes adresses intérieures à lui, sans qu’il en sache rien, qu’il n’aura cessé de m’apparaître, tout au long des années où je l’aurai côtoyé, tout au long de celles aussi où, éloignés l’un de l’autre, j’aurai pourtant continué de me le rappeler de loin en loin comme un repère – les marins ont un mot que j’aime pour cela, dans lequel on peut entendre ce qu’il faut d’ambiguïté, même si eux n’y attachent rien d’inquiétant : un amer.

Extrait

J’aime et je redoute à la fois l’idée qu’il existe une ligne d’ombre. Une frontière invisible qu’on passe, vers le milieu de la vie, au-delà de laquelle on ne devient plus : simplement on est. Fini les promesses. Fini les spéculations sur ce qu’on osera ou n’osera pas demain.

Extrait

J’ai pensé à l’autostoppeur. A cette fable qui m’était un jour revenue, juste avant que je lui demande de sortir de ma vie : le pot de fer qui ne veut pas de mal au pot de terre, qui lui veut même sincèrement du bien, et qui pourtant, d’un faux mouvement, le réduit en miettes. Le pot de terre qui un jour, d’avoir trop frayé avec le pot de fer, se brise.

Extrait

A nos âges il n’y a pas grand mystère. On n’attend plus le grand emportement. On y va. On essaie. C’est très simple. A la fois beaucoup plus simple et beaucoup plus compliqué peut-être. On en a vu déjà. La commotion est moindre. L’élan plus difficile à prendre. On est plus lourd. Plus attaché à soi. Plus pétri d’habitudes. Moins facile à bouger. Il y a des avantages à ça. On est plus assuré. On se connaît mieux. On sait mieux ce qu’on aime. Mieux ce qu’aime l’autre aussi. Ce qu’on a perdu en fragilité, en faculté de s’émouvoir, on l’a gagné en attention. On sait combien c’est cela aussi l’amour, et bien le faire. On sait le prix de la douceur. On donne mieux. On reçoit mieux.

Extrait

Nous avons attendu. Regardé l’autostoppeur hésiter. Se demander que répondre.

J’en ai besoin, il a fini par dire. Je crois que c’est ça, tout simplement. J’en ai besoin. Il y en a qui ont besoin de faire du sport. Il y en a qui boivent, qui sortent faire la fête. Moi j’ai besoin de partir. C’est nécessaire à mon équilibre. Si je reste trop longtemps sans partir j’étouffe.

Extrait

De toute façon avec les mots c’est toujours pareil, elle souriait, le sens glisse, dérape par rapport à l’intention qu’on avait, il dérape en italien comme en français, les mots toujours débordent, c’est le jeu, ce qu’il faut simplement c’est choisir entre les glissades, sentir quelle glissade française sera la plus fidèle à la glissade italienne.

Elle comparait les mots à de vieux soldats au service de la langue depuis des siècles. Elle disait qu’ils ne nous arrivaient pas tout neufs, qu’ils avaient servi dans bien des batailles avant les nôtres. Que choisir un mot plutôt qu’un autre c’était faire entrer dans son livre un vétéran avec toute une histoire, toute une mémoire, il ne fallait pas se tromper ou c’était la troupe entière des mots choisis jusque là qui risquait de se trouver dépareillée.

Extrait

Un jour il faudra que tu écrives sur les habitacles de voiture, il me disait en se tournant vers moi devant son fils, comme si la répartition des tâches entre nous devait être éternellement être celle-là, lui vivre, moi écrire, cela inéluctablement, sans que jamais ni l’un ni l’autre échappe à son destin. Un jour il faudra que tu essaies de dire tout ce que ces intérieurs feutrés racontent sitôt qu’on y pénètre. L’habitacle et son occupent comme un monde éphémère, une parenthèse, une île.

Extrait

J’ai vu peu de gans, dans ma vie, pour lesquels autrui n’était jamais un poids, jamais une fatigue, jamais un ennui. Toujours au contraire une chance. Une fête. La possibilité d’un supplément de vie. L’autostoppeur était de ces êtres. C’était comme s’il avait constamment à l’esprit la pensée que chaque être placé sur sa route ne le serait peut-être plus jamais. La conscience que s’il voulait le connaître, c’était maintenant.

Extrait

Je lui ai demandé si je lui manquais, elle m’a répondu non. Elle m’a regardé bien en face et elle m’a dit la vérité : que je lui manquais de moins en moins. Qu’elle était triste, mais pas de ce que je croyais. Pas que je m’éloigne. Pas que je sois absent. Triste de s’y habituer. Triste de sentir qu’elles ne lui font presque plus rien, mes absences.

Extrait

Elle continuait de l’aimer. Son mélange de joie et de tristesse à l’arrivée des cartes me le disait. C’était ce qu’elle avait toujours chéri chez lui sans doute : qu’il aille par les routes. Qu’il lui échappe. Simplement, à présent je l’apercevais parfois songeuse, peinée. Peut-être lasse. Jaugeant la mince frontière entre ce qui était beau et ce qui ne l’était plus. Se demandant si cette liberté qui l’avait longtemps séduite n’avait pas pour effet à long terme de détruire la sienne.

Extrait

Parfois c’est bien de revenir à d’anciennes amours. On les vit une fois pour toutes. On arrête de se raconter que ça aurait pu marcher. On voit qu’en tout cas c’est trop tard.

Extrait

Avant je m’inquiétais qu’il revienne, elle avait repris en se tournant vers moi. Je me demandais ce qui arriverait. J’espérais et je craignais à la fois que ça arrive. Maintenant c’est fini.

 
 
 

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