top of page

Petite - Sarah Gysler

  • Photo du rédacteur: deslivresetmoi72
    deslivresetmoi72
  • 6 août 2019
  • 5 min de lecture

Dernière mise à jour : 5 janv. 2020


Ma fille se passionne pour les récits de voyages, de gens partis seuls à l’aventure, à pied ou en van. C’est pour elle que j’ai sélectionné ce roman à la bibliothèque. Devant son enthousiasme, j’ai voulu moi aussi le découvrir. J’ai adoré, dès les premières pages.

C’est un récit initiatique autobiographique. Sarah est une adolescente écorchée vive, hypersensible : parents divorcés, échec scolaire, rébellion et colère contre les absurdités de la société de consommation, refus de suivre une voie classique, amitiés et relations amoureuses compliquées. Sarah a toujours l’impression de ne pas être à sa place, elle se sent comme un poisson hors de l’eau. La vie ne l’épargne pas, elle enchaîne les galères, petits boulots qu’elle trouve absurdes et abêtissants, soucis de santé plus ou moins graves, ruptures amoureuses et familiales. Le voyage qu’elle entreprendra seule est une vraie fuite en avant. Son récit raconte comment cette expérience l’a sauvée, l’a faite grandir, l’a réconciliée avec elle-même. Le texte est criant de sincérité, le style direct, sans fioriture ni langue de bois ! Un message finalement plein d’espoir : si son récit n’épargne pas les travers de notre société et sa déshumanisation croissante, Sarah Gysler raconte aussi les belles rencontres faites pendant ses voyages, faites de générosité, de partage, de confiance en l’autre.


Extraits


Souvent, j’essaye de fermer les yeux, de me préserver. Mais, très vite, la réalité me rattrape. Elle est partout, la garce, et elle court vite.


C’est en prenant conscience de mon métissage que ma vie s’est scindée en deux. J’étais confortablement assise, et Bim ! Crac ! je me suis retrouvée le cul par terre. J’ai appris deux versions de chaque chose, et qu’il ne fallait surtout pas les mélanger. De la schizophrénie en kit : une culture occidentale, une autre orientale. Deux éducations, deux dieux, deux continents. Le total peut sembler avantageux, malheureusement la vie ne s’additionne pas. Chez moi, il fut plutôt question de division. Difficile de trouver une unité là-dedans.


Comment à quatorze ans peut-on être à ce point en rupture avec sa famille ? Peut-être que la réponse est dans la question : j’avais quatorze ans. Je m’étais transformée en mutante acnéique, je ne faisais plus confiance à personne et ressentais une profonde colère. J’en voulais aux adultes d’être si lâches, aux adolescents d’être impitoyables, à l’enfance de ne pas avoir voulu me garder plus longtemps. Et bien sûr, je m’en voulais à moi d’être si bizarre, de ne pas savoir m’adapter. Est-ce cela l’adolescence ?



Pourtant, il y avait de l’idée au départ. C’est chouette de savoir lire, écrire, compter. Encore aujourd’hui, il m’arrive de le faire. C’est une grande chance que d’être instruit. Je me demande donc où ça a foiré. À quel moment ce lieu, supposé produire de la culture, s’est-il transformé en abattoir de l’âme, en faucheuse de spontanéité ? Probablement depuis que l’on voit l’enfant en futur employé, au lieu de le considérer comme un être à guider.



Je n’avais aucune idée de ce dont il me parlait, mais je savais que c’était grave. Je l’avais compris au ton de sa voix : le ciel était tombé. J’ai demandé s’il était mort, et lui m’a répondu : « Pas encore. » Existe-t‑il pire réponse ?



Aujourd’hui, je sais que si la vérité blesse, ce sont les silences qui tuent les couples.



Il répétait toujours ces mots qui rendaient l’existence si simple : « Et puis au pire, on meurt. » Jamais phrase ne m’a donné plus d’entrain...



On ne s’est jamais comprises, elle et moi, et sans doute que cela n’arrivera jamais. Mais elle a fait de son mieux, j’en suis sûre. Aujourd’hui, je sais qu’il est possible d’aimer sans savoir se le dire, d’aimer maladroitement, de travers.



Les chocolatines ressemblaient beaucoup à des pains au chocolat.



Il y a quand même un caprice de millionnaire que je me suis autorisé : faire tournoyer un globe, fermer les yeux et le stopper de mon index pour choisir une destination. Destin et destination possèdent la même racine : l’un sera mon chemin vers l’autre. N’empêche que le pari était risqué, j’aurais pu tomber sur Tchernobyl ou – pire – sur la Côte d’Azur. Mais non. Mon doigt a pointé la Laponie.



Depuis que je suis petite, j’entends parler de la crise financière : le chômage, la récession, la dette publique. Depuis dix ans, les médias nous alertent sur la crise écologique : l’effet de serre, les catastrophes naturelles, l’extinction de masse, le sixième continent. C’est vrai qu’on est plutôt mal barrés. Mais ne seraient-ce pas les symptômes d’une crise plus large ? Une crise humaine et sociale. Peut-être que changer le monde commence par saluer son voisin ? Arrêter de se foutre de tout et comprendre que la nature et l’homme ne sont pas dissociables. Cesser enfin de se trouver des excuses. En Occident, en Europe, un individu blanc muni d’un passeport et d’une santé plus ou moins correcte a le choix de sa vie. Si elle est pourrie, ce n’est peut-être pas uniquement à cause des autres.



C’est comme si sa « condition » l’avait coupé d’une partie du monde. Au final, nous étions les deux faces d’une même pièce, lui et moi, en proie à la même précarité. Et il nous a fallu traverser l’Europe entière pour trouver un peu d’harmonie. En rencontrant Fabien, j’ai compris que ce qui valait pour moi ne valait pas forcément pour tous. Qu’il n’y avait pas besoin de vivre le chaos pour suer sous le poids d’une croix. Que les blessures ne sont pas comparables, mais que, heureusement, elles se soignent. J’ai surtout compris que ce n’était pas lui, l’ennemi. Malgré nos différences sociales et nos partis pris, on pouvait se tolérer, et même s’apprécier, s’entraider.



Être une femme en voyage est presque un avantage. J’ai eu droit à des traitements de faveur : une porte d’entrée qui s’ouvre plus facilement, une voiture qui s’arrête pour me sauver de la pluie, des conseils précis et adéquats. Pourtant, l’avis général prédisait l’inverse, partir seule signifiait se jeter dans la gueule du loup. Finalement, le plus gros obstacle a été de me libérer du regard des autres, celui qui me présume faible.



Il m’a fallu apprendre à assumer le statut social de vagabond. Mon ego en a pris un coup. Heureusement, ce qui ne nous tue pas nous rend moins cons. Le fait d’avoir besoin d’aide m’a forcée à aller vers les autres. Moi qui habituellement vacille entre la timidité et la sauvagerie, j’ai dû aborder des inconnus, leur accorder ma confiance, prendre soin de la leur. Au début, cela me paraissait insurmontable. Puis j’ai apprivoisé ces sentiments, j’en ai fait ma seconde nature : « Bonjour Madame, est-ce que je peux venir chez vous ? » Le plus dingue, c’est qu’on me répondait « oui ». La majorité des gens aiment rencontrer, donner, partager, et ceux-là sont souvent les plus épanouis. On oublie derrière nos écrans que l’humain est avant tout un animal social. Les vagabonds ont pour mission de nous le rappeler. J’ai gagné de ces échanges une indéniable leçon de vie : la gratitude et la générosité rendent heureux.

Commentaires


bottom of page