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S'adapter - Clara Dupont-Monod


Roman récemment primé ( Fémina / Goncourt des lycéens) dont j’ai beaucoup entendu parlé : Le Goncourt des Lycéens ET le Fémina sont des prix dans lesquels je me retrouve très souvent. J’ai donc abordé ce roman avec beaucoup d’attentes.

Dès les premières pages, j’ai été transportée par l’écriture précise et ciselée, expressive de Clara Dupont-Monod. J’ai été surprise par le choix du narrateur : les pierres de la cour de la maison familiale ! Une façon originale d’avoir un point de vue extérieur. J’ai également été étonnée que les enfants, au cœur du roman, ne soient pas nommés : on ne connaît pas leur prénom, ils ne sont désignés que par leur rang dans la fratrie.

Il s’agit donc d’une fratrie dans laquelle le troisième enfant est porteur d’un lourd handicap. Tour à tour, chaque enfant de la fratrie analyse ses sentiments et réactions vis-à-vis de ce frère extra-ordinaire au sens propre du mot : hyper-protection, rejet, indifférence, colère… Il y a l’aîné, tout en protection, qui instaure une relation quasi-fusionnelle avec son frère au point de perdre goût à la vie lorsque celui-ci quitte la maison pour vivre dans une institution spécialisée. Il y a la cadette, révoltée, en colère contre ce frère qui la prive d’insouciance et de son frère aîné…et il y a le dernier-né, arrivé après le décès de l’enfant handicapé, qui permet à toute la famille de trouver une forme d’apaisement.


Au final, après cette lecture, je suis perplexe, presque déçue de ne pas avoir réussi à aimer ce roman…J’ai apprécié l’écriture et le style de Clara Dupont-Monod, mais j’ai l’impression d’être passé à côté du récit, d’être resté à distance…peut-être à cause de cette distance imposée par le choix de ne pas nommer les enfants…ou par le choix de ne traiter leurs points de vue que séparément et de ne pas avoir vraiment de récit familial, mais trois parties très distinctes opposant des points de vue très différents.


Extrait P11

On parlait doux pour ne pas brusquer l’enfant si sage dans son transat. Il sentait bon la fleur d’oranger. Il semblait attentif et tranquille. Il avait les joues rondes et pâles, des cheveux bruns, de grands yeux noirs. Un bébé de la région, qui lui appartenait. Les montagnes ressemblaient à des matrones veillant sur le transat, les pieds dans les rivières et le corps nappé de vent. L’enfant était accepté, semblable aux autres. Ici les bébés avaient les yeux noirs, les vieux étaient minces et secs. Tout était dans l’ordre.


Extrait P15

Personne ne comprit réellement qu’à cet instant-là, une fracture se dessinait. Bientôt, les parents parleraient de leurs derniers instants d’insouciance, or l’insouciance, perverse notion, ne se savoure qu’une fois éteinte, lorsqu’elle est devenue souvenir.


Extrait P18

Les deux autres enfants, eux, ne comprirent pas tout, sauf qu’une force dévastatrice, qu’ils ne nommèrent pas encore chagrin, les avait propulsés dans un monde coupé du monde. Un lieu où leur jeune sensibilité s’écorcherait sans que personne les aide. La belle innocence, c’était fini. Ils seraient seuls face aux débris de leur cocon. Mais à cette heure, les enfants avaient encore ce pragmatisme qui sauve la vie. Drame ou non, il s’agissait aussi de savoir à quelle heure on goûtait.


Extrait P25

Il aimait par-dessus tout l’impassible bonté, la primaire candeur de l’enfant. Le pardon était dans sa nature puisqu’il n’émettait aucun jugement. Son âme ignorait, de façon absolue, la cruauté. Son bonheur se réduisait à des choses simples, la propreté, la satiété, le moelleux de son pyjama violet ou une caresse. L’aîné comprenait qu’il tenait là l’expérience de la pureté. Il en était bouleversé. Aux côtés de l’enfant, il ne cherchait plus à brusquer la vie dans la crainte qu’elle ne lui échappe. La vie, elle était là, à portée de souffle, ni craintive ni combattante, juste là.


Extrait P63

Depuis, l’aîné a grandi sans se lier. Se lier, c’est trop dangereux, pense-t-il. Les gens qu’on aime peuvent disparaître si facilement. C’est un adulte qui a associé la possibilité du bonheur à celle de sa perte. Vents mauvais ou cadeaux, il ne laisse plus à la vie le bénéfice du doute. Il a perdu la paix. Il a rejoint ces êtres qui portent au cœur un instant arrêté, suspendu pour toujours. En lui, quelque chose est devenu pierre, ce qui ne signifie pas insensible, mais plutôt endurant, immobile, implacablement identique au gré des jours.

Il porte en lui un état d’alerte. Lorsqu’il sort de réunion ou d’une séance de cinéma et qu’il rallume son portable, il a souvent une bouffée de soulagement. Il n’a pas reçu de message affolé. Pas d’arrachement ni de catastrophe.


Extrait P94

Beaucoup plus tard, devenue adulte, la cadette s’entendrait dire à une amie : « Si un enfant va mal, il faut toujours avoir un œil sur les autres. » Avant d’ajouter, pour elle-même : « Car les bien portants ne font pas de bruit, s’adaptent aux contours cisaillants de la vie qui s’offre, épousent la forme des peines sans rien réclamer. Ils seront les gardiens du phare détestant les vagues mais tant pis, refuser serait déplacé. Un sentiment de devoir les guide. Ils se tiendront là, vigies dans la nuit noire, se débrouilleront pour n’avoir ni froid ni peur. Or, n’avoir ni froid ni peur n’est pas normal. Il faut venir vers eux. »


Extrait P 137

L’Histoire, c’était un voyage en continent inconnu et qui, pourtant, résonnait si bien avec son présent à lui. Il se sentait maillon d’une chaîne, prenait place dans une immense farandole qui, avant lui, avait dessiné le monde. Il adorait cette idée, d’être situé entre des milliers de vies vécues et d’autres à venir. Car alors il n’était plus le dernier.


Extrait P140

Parce qu’il se méfiait des autres, il fut assez malin pour se fondre parmi eux et éviter ainsi l’opprobre. Il opina quand il le fallait, amusa la cour de récré, ne dit pas qu’il récitait mentalement les trajets des croisades dans la file d’attente de la cantine, mania ce qu’il fallait d’insolence pour contrebalancer ses bonnes notes. Sa seule limite était l’injustice. Son tempérament généreux ne le supportait pas. Lorsqu’un jour, la classe s’acharna à nouveau sur le garçon, il se raidit, prévint qu’il n’irait pas plus loin, qu’on ne malmenait pas un esseulé. Sa voix blanche, glaciale, calma les ardeurs. Il gagna même une aura de chef dont il ne sut que faire. Il n’avoua à personne qu’il avait entrevu, l’espace d’une seconde, le mal qu’aurait fait la meute à son frère différent.


Extrait P 158

Le dernier avançait escorté. La montagne l’émerveillait toujours plus, et lorsqu’il sentait ; touchait, humait, il le faisait en pensant à l’enfant. Souvent il fermait les yeux pour se concentrer sur les sons. « Petit sorcier, pendait-il, jamais je n’aurais pensé à fermer les yeux pour mieux voir. » C’était un invisible compagnon. Il s’était installé au creux de sa vie, c’était comme ça, il existait des absences en forme de pays, et le dernier avait besoin de revenir à l’enfant.

Avec les autres, il eut de plus en plus de mal à masquer son décalage.

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