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Sauvagines - Gabrielle Filteau-Chiba

  • Photo du rédacteur: deslivresetmoi72
    deslivresetmoi72
  • 29 janv. 2023
  • 5 min de lecture

Ce livre, je l’avais repéré il y a un moment, je l’avais ouvert au hasard dans ma librairie, commencé à lire, et avais eu du mal à m’arrêter ! Il était donc dans ma liste de livres à lire depuis un moment et, là, j’avais envie d’évasions, d’un livre loin de mon quotidien, at, dans ce cas, quoi de mieux que la vie dans la nature sauvage du Grand nord canadien ? Et ce roman a largement tenu ses promesses !


Dès les premières pages, aux côtés de Raphaëlle, garde nature dans la forêt du Kamouraska, à l’est du Québec, je me suis plongée dans cette nature sauvage, en compagnie des coyotes, ours, urubus, élans… Raphaëlle est une jeune femme, petite fille d’une grand-mère indienne : viscéralement attachée à la protection de la nature, des animaux, en lutte contre les braconniers, ses idéaux vont l’entraîner dans une entreprise risquée pour mettre fin aux prises illégales d’un braconnier qui peut aussi, à l’occasion, agresser des jeunes femmes vulnérables. Avec l’aide de Lionel, vieil ami qui tient lieu de figure paternelle, et d’Anouk, une jeune femme ermite, elle s’engage dans un combat sans pitié pour venger tous ces animaux piégés et ces jeunes femmes menacées.


Ecologie, grands espaces, protection des animaux, modernité, féminisme, loyauté, engagement…tout cela réuni dans un livre pour un très bon moment de lecture !


Extrait n°1

Comment te faire comprendre, mon orpheline, que nous serons l’une pour l’autre des bouées, qu’accrochées l’une à l’autre nous pourrons mieux affronter les armoires à glace qui ne chassent que pour le plaisir de dominer, de détruire ? Commencer par te flatter avec toute la tendresse que j’ai et enfouir mon nez dans ta fourrure sentant la paille humide qui t’a vue naître. Il me sera peut-être difficile de maîtriser la fougue sauvage qui coule dans tes veines. Mais même si tu restes rustre, tu me protégeras, j’espère, des fêlés qui braconnent et qui ont envoyé trop de mes collègues manger les pissenlits par la racine.


Extrait n°2

D’elle, mes yeux bruns peut-être. D’elle, ma soif insatiable de tout apprendre sur les Premières Nations, comme si, en cumulant dans mon esprit les mots traduits, les romans de brousse et les poèmes de taïga, je pouvais me rapprocher de mes racines et renouer avec elle, mon aïeule mi’gmaq au nom chrétien inventé pour ses noces.

Quitter parenté et société pour habiter une roulotte stationnée creux dans la forêt publique, ça peut paraître bizarre, mais c’est la clé de mon équilibre mental : vivre le plus près possible des animaux que je me démène à protéger. Vivre le plus loin possible de ma famille qui n’a jamais été curieuse de savoir qui était notre arrière-grand-mère aux yeux bruns perçants comme ceux d’un coyote.



Extrait n°3

Tu sais que tu souffres de solitude quand tu souhaites bonne nuit à un chien qui dort déjà et que tu souris à ta poêle en fonte.



Extrait n°4

L’histoire ne dit pas si les braconniers qui s’en sont pris à ces hommes ont tous été retrouvés. Reste que dans le domaine, c’est plutôt l’impunité qui règne. Un peu comme les pirates en mer, les politiciens dans les paradis fiscaux et les pushers de poudre sur les chantiers. Mon rôle est entre autres de protéger la forêt boréale des friands de fourrure qui trappent sans foi ni loi, non pas comme un ermite piégeant par légitime subsistance dans sa lointaine forêt, non pas comme les Premiers Peuples par transmission rituelle de savoirs millénaires, mais par appât du gain, au détriment de tout l’équilibre des écosystèmes. Même en dehors des heures de travail, c’est mon cheval de bataille, veiller sur la forêt.



Extrait n°5

Rappelle-toi, Anouk, notre famille a tout perdu pendant la Deuxième Guerre. Tout le matériel peut disparaître. N’oublie pas, même le piano a été largué par la fenêtre, meine kleine Maus. Mais ce n’est pas grave, ma petite souris, parce qu’il te restera l’essentiel : les langues, les idées et les mots que tu auras mémorisés. Apprends tout ce que tu peux. Fais-en ta maladie. Ce que tu t’enfonces dans le crâne, ça ne peut t’être dérobé. »


Extrait n°6

Les déchets que je ramasserai en dévoileront d’autres, d’une autre époque. Preuve que la décomposition du plastique prend des siècles, que bien des chasseurs ne font pas le lien entre la qualité de l’habitat et la survie d’une espèce. Quelle ironie, ils polluent l’espace vital de la bête lumineuse qu’ils rêvent de griller en sauce ! Ils se déguisent de textiles couleur forêt tout en profanant les lieux et les cadavres. Et ils se disent des gars de bois. À force de sensibilisation, nous y arriverons peut-être, croit l’optimiste en moi. Mais en mon for intérieur, j’ai plutôt le mauvais pressentiment qu’on attendra d’avoir tout détruit avant de se revirer de bord.


Extrait n°7

Donne-moi des moyens, et t’auras des résultats, mon patronat. Je retracerai les installations clandestines des braconniers qui s’engraissent dans l’impunité. Ce sera fini, le temps des chats et des chiens médaillés à rapporter à des familles démolies.

Trop souvent, les crimes commis à l’endroit des animaux sont passés sous silence. Une collègue m’a même dit que j’aurais dû envoyer mon curriculum vitæ dans une clinique vétérinaire si je voulais vraiment prendre soin des animaux. Change ton fusil d’agente de protection de la faune d’épaule, Raphaëlle, tu n’es qu’un pion impuissant en pleine chasse gardée. Je croyais à tort que mon rôle serait de « maintenir l’équilibre fragile entre l’humain, la faune et ses habitats : protéger, éduquer, prévenir ». La devise du Ministère, on dirait la rhétorique sophiste du Meilleur des mondes, sauce 1984.



Extrait n°8

Oui, toi, le lynx du Biodôme, tu ne peux pas t’imaginer que le Québec ait donné le feu vert au génocide de ton espèce, sans même avoir pris la peine de faire un inventaire faunique. Il y en a assez, qu’ils disent en haut dans les bureaux, sur leurs chaises à roulettes poussées par les lobbies. Mais si ce n’est pas vous, les experts, les hauts placés, les forces du Ministère, si ce n’est pas vous, qui est-ce qui se bat pour elles, les bêtes braconnées, les bêtes agonisantes, les bêtes à fourrure petites et grandes ? La violence institutionnalisée, je l’ai vue, de mes yeux vue. Vous, vous fermez les yeux, élites gouvernementales, comme sur les femmes autochtones assassinées et disparues.


Extrait n°9

Je lève les yeux sur mon hôte, vieux bonhomme inspirant. Il m’aime beaucoup, je le sens. C’est réciproque. Son appui dans mon geste me conforte dans sa nécessité. Il me donne confiance, dans le soin qu’il prend de moi, dans son souci de faire le bien sur Terre et d’aider son prochain, que l’humain n’est pas définitivement pourri. Qu’il peut se composter. Qu’après la pourriture, il y aura nécessairement la vie qui reprendra le dessus. Et comme une coupe sélective, certains spécimens, lorsqu’ils sont éliminés, permettent aux autres de survivre.


Extrait n°10

Oui, je transgresse la ligne de pensée nationale et je désobéis au Code criminel, mais j’ai bien plus peur du braconnage des derniers grands mammifères que d’une vie en cage. Parfois, l’histoire le démontre, la désobéissance et la rébellion ont permis le progrès.

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