Nord Sentinelle- Jérôme Ferrari
- deslivresetmoi72
- 4 janv.
- 4 min de lecture

C’est un livre offert en cadeau par des amis pour Noël. La quatrième de couverture est alléchante, le roman est court, se lit rapidement : Jérôme Ferrari y entremêle néanmoins plusieurs thèmes forts : la vie d’une famille corse, Les Romani, une diatribe contre le tourisme de masse, une introspection sur ses liens avec la famille, les amis d’enfance, la Corse, et le fil conducteur du récit, l’assassinat d’un jeune homme, touriste, par un des descendants des Romani pour un mobile insignifiant.
Le style est travaillé, avec des phrases longues dans lesquelles on se perd parfois, et des formules percutantes, des changements de rythme, des passages assez poétiques et d’autres acerbes. J’ai trouvé, quelque soit le thème, que les propos étaient assez caricaturaux, sans nuances et souvent superficiels. Le roman est court, mais j’ai parfois eu l’impression qu’il écrivait pour « remplir » et ne pas arriver trop vite au bout de son propos… Je pense que cette première lecture de 2025 ne sera pas la meilleure de l’année !
Extrait P 13
[…] le premier qui pose le pied sur le rivage, fût-il animé des intentions les plus pacifiques et les plus louables, fût-il un saint, fût-il le sauveur du monde en personne, il faudrait le tuer, lui et tous ceux qui l’accompagnent, sans distinction d’âge ou de sexe – les vieillards, les femmes, les hypothétiques enfants, toute la horde angélique des chérubins. En suivant cette simple règle, l’humanité se serait évité, au prix d’un crime minuscule, une atroce et interminable litanie de massacres, d’épidémies, d’asservissements et de mutilations ainsi que quelques autres abjections mineures au rang desquelles il faut compter la chanson coloniale, les missions évangéliques et, bien évidemment, la pratique intensive du tourisme.
Extrait P26
Voir ses propres grands-parents maternels se comporter comme des laquais en présence de son père ne pouvait certes pas l’aider à réformer son jugement mais l’eût-il réformé au point de désirer suivre notre exemple sur les sentiers du travail et du mérite que cela n’aurait pas changé grand-chose ; dès l’école primaire, Alexandre rencontra des difficultés inquiétantes que Catalina, dans l’aveuglement de son amour de mère, attribuait à un excès de sensibilité, un caractère rêveur, voire à une forme peu orthodoxe de génie alors que leur cause réelle n’était que trop claire pour peu qu’on examinât objectivement la situation : le gosse était complètement con.
Extrait P 45
Le lendemain, Philippe me demande si tout s’est bien passé. Non, lui dis-je ; tout s’est passé comme prévu, certes, mais tout ne s’est pas bien passé. A-t-il au moins une idée de la nature exacte des stages de motivation organisés dans sa bergerie ?
Il hausse les épaules.
Qu’est-ce que tu veux que ça me foute ?
Il y a quelque chose chez Philippe, en plus d’un véritable talent pour exprimer son point de vue avec concision, que je ne peux m’empêcher d’admirer et qui relève de la force véritable : son indifférence à l’ensemble du genre humain, au-delà du cercle de ses intimes ; bien sûr, indifférence si totale, si absolue qu’elle le rend pratiquement invulnérable.
Extrait P55
Alexandre n’était pas plus sadique que pervers. Il avait simplement joué le rôle du caïd qu’il s’était attribué dans le film navrant écrit, produit et réalisé par ses soins. A ceci près, bien sûr, que ce n’était pas un film, comme il sembla en prendre conscience en allant, accompagné de son père, présenter ses excuses à la victime.
Extrait P 89
Bientôt ils rentreront à Paris. Shirin sait dès ce moment, avec une totale certitude, qu’elle quittera Alban le jour même de leur retour ; elle sait encore qu’elle ne le laissera pas la toucher d’ici là. Elle ne se donnera pas la peine de lui expliquer ce qu’il ne peut de toute façon pas comprendre. Elle ne souhaite pas se montrer cruelle envers lui, elle veut juste s’éloigner, ne plus le voir, ni lui ni ses amis […] tous les trios certains de leur bon droit, incapables de soupçonner la bassesse de leur minable projet de vengeance tant ils se sont convaincus de la pureté de leurs mobiles alors qu’ils n’ont manifestement été animés que par la suffisance et la radinerie, surtout le radinerie, d’ailleurs, Shirin s’en rend bien compte, le besoin pathologique de récupérer sous une forme ou une autre, à tout prix, le cher argent perdu, cet argent dont pourtant pas un d’entre eux ne manque ni n’a jamais manqué, et elle regarde Alban comme s’il avait toujours été un étranger qu’elle oubliera bientôt…
Extrait P107
Dans sa longue et épuisante fréquentation du crime, Séverine Boghossian n’a jamais cessé d’être sidérée face à la disproportion presque systématique entre les actes dont elle était le témoin et les raisons qui les avaient fait advenir, comme si la chute virevoltante d’une feuille d’automne creusait dans le sol un cratère, une disproportion si incommensurable que Séverine Boghossian a toujours eu le sentiment, en découvrant un mobile, non d’avoir obtenu une explication propre à satisfaire aux exigences de la raison mais, bien au contraire, d’être à nouveau plongée tout entière au cœur d’une énigme qui revenait la submerger et la faisait suffoquer et qu’elle ne résoudrait jamais.
Extrait P136
Ils ne valent pas mieux les uns que les autres, les pauvres avec leur envie, les riches avec leur mépris, communiant dans la même insigne vulgarité, la même bassesse, et nous ne valons pas mieux qu’eux, nous nous sommes tant habitués à jouer à leur intention la comédie de l’authenticité et de la différence que nous ne serions bientôt plus rien s’ils détournaient le regard comme je ne suis moi-même plus rien, sur ce port où se superposent toutes les saisons, tout seul, les poings serrés, bouillant de rage impuissante.
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