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Sidérations - Richard Powers

  • Photo du rédacteur: deslivresetmoi72
    deslivresetmoi72
  • 5 août 2023
  • 7 min de lecture

C’est un livre que je n’aurais jamais dû lire si une amie ne me l’avait mis dans les mains ! je n’en avais pas du tout entendu parler, ma pile de livres en attente atteint une hauteur record et, a priori, ce n’est pas forcément un livre qui m’aurait attiré si je l’avais croisé en librairie… Mais, comme cette amie est une grande lectrice avec qui je partage pas mal de coups de cœur, je l’ai lu dès qu’elle me l’a passé. Mon bilan est mitigé, mais je suis contente de l’avoir découvert : j’ai adoré les thèmes du lien père-fils, de l’enfant « particulier » atteint de troubles de la socialisation et de difficultés qui évoquent un syndrome d’Asperger pour ceux qui connaissent un peu le sujet…C’est en partie pour ça que M. m’a recommandé ce livre ! La résilience est aussi au cœur du roman puisque le père et le fils affrontent chacun à leur façon le deuil de la maman décédée et la douloureuse absence. J’ai moins aimé les digressions sur les vies imaginaires sur des planètes éloignées…


L’originalité du roman réside dans les méthodes testées pour essayer d’apaiser les colères de Robin et pour réguler ses émotions : grâce à des techniques d’imagerie cérébrales, il suit un programme expérimental qui lui permet d’accéder aux émotions de sa mère qui avait elle-même participer à une étude scientifique pour laquelle l’activité de son cerveau avait été enregistrée alors qu’elle se remémorait des moments de bonheur et d’extase. Cet aspect-là du roman est fascinant et étonnant, il amène à se poser des questions sur la future utilisation de ce genre de thérapies ou sur la place que pourra prendre l’IA dans nos vies et quel contrôle on pourra avoir ou non sur ces possibles manipulations de nos cerveaux et de nos émotions.


Dans ce roman, Théo, astrophysicien élève seul son fils Robin, après le décès d’Alyssa, sa femme. Elle était engagée dans la protection de l’environnement et des animaux, cause que Robin s’approprie à son tour, avec toute la passion et l’intransigeance dont il est capable. Robin est un enfant passionné mais souffrant de troubles psycho-sociaux qui rendent sa scolarisation compliquée. Devant la pression de l’école pour le traiter médicalement, Théo fait le choix de l’école à la maison et d’une thérapie « cognitive » expérimentale consistant à « l’imprégner » des émotions de sa mère. Les résultats sont bluffants…mais leur divulgation et la pression des médias et réseaux sociaux va s’en mêler ! Autant de thèmes actuels qui se font écho dans ce roman. Les personnages sont attachants, l’ensemble est intéressant et assez original, abordant sous un angle nouveau de nombreuses préoccupations contemporaines, le tout ponctué de réflexions scientifiques assez pointues !


Extrait P15

Quand l’école exclut Robin pour deux jours et mit sur l’affaire ses propres médecins, je me fis l’effet d’être un anachronisme, un dinosaure. A quoi bon chercher des explications ? Les vêtements synthétiques lui donnaient d’horribles plaques d’eczéma. Ses camarades le harcelaient parce qu’il ne comprenait pas leurs ragots malveillants. Sa mère était morte broyée quand il avait sept ans. Son chien bien-aimé était mort d’égarement quelques mois plus tard. Fallait-il aux médecins d’autres motifs de troubles du comportement ?

Face à l’échec des traitements à soulager mon fils, je développai une théorie farfelue : la vie est une chose qu’il faut cesser de vouloir corriger. Mon fils était un univers de poche dont je n’atteindrais jamais le fond. Chacun de nous est une expérience en soi, et nous ne savons même pas ce qu’elle est censée tester.


Extrait P52

Je ne pouvais concevoir que Robin s’endurcisse assez pour survivre à cette planète et à son système de Ponzi. Et peut-être que je n’en avais pas envie. Je l’aimais extraterrestre. J’aimais avoir un fils si ingénu que ça crispait ses condisciples trop snobs. Ça me plaisait d’être le père d’un gamin dont l’animal favori, indétrônable depuis trois ans, était le nudibranche. Le nudibranche est trop sous-estimé.

Angoisses nocturnes d’un astrobiologiste. Je flairais le souffle des arbres, j’entendais la rivière où pour la première fois Alyssa et moi avions nagé ensemble, qui continuait de polir ses galets malgré la nuit. Un bruit s’échappa du sac de couchage à côté de moi. Robin implorait dans son sommeil. « Arrêtez ! Je vous en supplie ! Arrêtez ! »


Extrait P102

Dans l’amphi, j’éprouvai le plaisir de me sentir compétent, et le réconfort chaleureux que seul produit le partage des idées. Cela m’étonne toujours que des collègues se plaignent d’avoir à enseigner. L’enseignement, c’est comme la photosynthèse : on produit de la nourriture à partir d’air et de lumière. Ça infléchit un peu les perspectives de vie. Je place les bonnes séances de cours au même niveau que paresser au soleil, écouter du bluegrass ou nager dans un torrent de montagne.


Extrait P173

On éclata de rire. Puis il me tapota l’épaule, comme pour me calmer avant de m’envoyer au lit. Un geste surnaturellement adulte, venu d’un lieu qui n’existait pas une semaine plus tôt. « Alors qu’est-ce que tu crois ? » Je jouai l’amusé et le désinvolte. « La souris. Elle est en train de changer ? »

Son regard se saisit de l’énigme. Il se remémora, et la solution se mit à flamboyer dans ses yeux.

- C’est toujours la même souris, Papa. Sauf que maintenant j’ai de l’aide.

- Explique-moi comment ça marche, Robbie.

- Tu vois comment c’est, quand tu parles à quelqu’un d’idiot et que ça te rend idiot aussi ?

- Oh oui, je connais ça. Je connais très bien.

- Par contre, quand tu joues à un jeu contre quelqu’un de futé, tu améliores ta tactique, pas vrai ?


J’essayai de me rappeler s’il parlait déjà comme ça un mois plus tôt.

- Eh bien, c’est pareil. C’est comme d’entrer sur le terrain de jeu. Mais avec trois autres gars vraiment futés, marrants et forts dans ton équipe.

- Est-ce que… est-ce qu’ils sont des noms ?

- Qui ça ?

- Ces trois gars ?

Il gloussa comme un enfant beaucoup plus jeune.

- C’est pas vraiment des gars. C’est juste…mes alliés.

- Mais … ils sont trois ?

Il haussa les épaules, de nouveau sur la défensive, de nouveau semblable à mon fils.

- Trois… Ou quatre… On s’en fout. C’est pas la question. Simplement, genre, ils m’aident à faire avancer la barque. C’est mon équipage.

Je lui dis qu’il était ma souris d’entre les souris. Je lui dis que sa mère l’aimait. Je lui dis qu’il devait toujours se sentir libre de me dire tout ce qu’il pouvait découvrir d’intéressant dans cette virée en barque.

Peut-être qu’en quittant la pièce je le serrai trop fort dans mes bras. Il se dégagea et me secoua par les épaules.

- Papa ! Faut pas en faire tout un plat. C’est juste…. Il tendit deux doigts de chaque main et les entrecroisa. Hashtag savoir-être, tu vois ?


Extrait P 183

Il réclama Inga Alder comme naguère il quémandait des vidéos de sa mère. On regarda la jeune fille manifester en brandissant des banderoles. On la suivit sur les réseaux sociaux. On visionna des documentaires où elle donnait au simple bon sens des accents de révélations impérieuses. On la vit prendre d’assaut la petite ville des collines toscanes où se réunissait le G7. On la regarda expliquer à l’Assemblée générale des Nations-Unies quel souvenir l’Histoire garderait de leurs gouvernements, s’il y avait encore une Histoire.

Robin tomba violemment amoureux, comme seul un enfant de neuf ans peut tomber amoureux d’une femme plus âgée. Mais son amour était d’une espèce rare : une pure gratitude exempte de tout besoin, de tout désir. D’un coup, Inga Alder ouvrit son esprit stimulé par le feedback à une vérité que moi-même je n’avais jamais vraiment saisie : le monde est une expérience de validation, avec pour seule preuve la conviction.


Extrait P 206

« Et vous me dites que vous pourriez brancher Robin sur le vieux scan d’Aly ? »

Cuvier évalua ce miracle, les yeux baissés vers le trottoir. « Votre fils pourrait apprendre à se mettre dans une état émotionnel généré autrefois par sa mère. Cela le motiverait peut-être. Et ça pourrait répondre à sa question. »

Les couleurs de la roue de Plutchik tourbillonnaient autour de moi. Des lames d’intérêt orange faisaient place à des éclats de peur verte. Le passé devenait aussi poreux et ambigu que le futur. On l’inventait au fur et à mesure, l’histoire de la vie ici-bas, aussi sûrement que le soir j’inventais ces histoires de vie extraterrestre que mon fils n’avait pas encore l’âge de renier. […] J’étais passé à côté d’une évidence, après trente ans de lecture et deux mille livres de science-fiction : de tous les lieux de l’univers, le plus étrange était ici.



Extrait P277

Deux jours plus tard, Dee Ramey me téléphona. « Vous ne comprenez pas mon fils, lui dis-je. Il est… peu commun. Je ne peux pas le laisser transformer en bête de cirque.

- Ce ne sera pas une bête de cirque. Ce sera un sujet d’intérêt légitime, traité avec respect. Vous pourrez être présent sur le tournage. On évitera tout ce qui pourrait vous mettre mal à l’aise.

- Je suis désolé. Mais c’est un enfant particulier. Il a besoin d’être protégé.

- Je comprends. Mais il faut que vous sachiez que nous allons faire ce film, que vous vouliez ou non y participer. On sera libre d’utiliser tout le matériel déjà disponible, de la manière qui nous paraîtra appropriée. En revanche, si vous participez, vous aurez votre mot à dire. »

Le smartphone est un miracle, et il a fait de nous des dieux. Mais sur un point tout simple, il est très primitif : on ne peut pas raccrocher avec fracas.


Extrait P336

Le même son revint, et Robbie me saisit le bras. Un premier oiseau, puis un deuxième, puis le trio déroulèrent un accord glaçant. Ils devinrent si proches qu’on voyait les éclaboussures de rouge sur le bulbe de leur tête.

- C’est des dinosaures, papa.

Les oiseaux passèrent au-dessus de nous. Robbie, immobile, les regarda s’éloigner à tire-d’aile jusqu’à n’être plus rien. Il semblait effrayé, minuscule, étonné de se retrouver ici, à la bordure des bois, de l’eau et du ciel. Enfin ses doigts relâchèrent leur emprise sur mon poignet.

Comment on pourrait reconnaître des extraterrestres ? On connaît même pas les oiseaux.


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