Tous les silences ne font pas le même bruit - Baptiste Beaulieu
- deslivresetmoi72
- 8 avr.
- 17 min de lecture

J’ai déjà lu plusieurs romans ou témoignages de Baptiste Beaulieu, en lien avec sa profession de médecin et ses récits m’ont souvent touchée. J’ai alors aussi suivi ses publications sur Instagram, et découvert ses livres pour la jeunesse, achetés pour ma classe et très souvent empruntés par mes élèves. Dans tous ses écrits, ce sont sa sensibilité et sa sincérité qui ressortent, ainsi qu’une grande empathie pour les failles des autres, et un regard très lucide et sans complaisance sur la société renvoyant chacun à sa place et à sa responsabilité, interrogeant toujours sur ce qui fait notre humanité, sa beauté et ses travers.
Ce livre est différent, témoignage direct et réflexions d’un homme homosexuel dans notre monde hétéronormé : il raconte les préjugés, un mode de pensée majoritaire qui exclut sans même en être conscient. Il interroge le lecteur, la lectrice sur son positionnement, quitte à les bousculer un peu ( beaucoup parfois !) et à les pousser dans leurs retranchements, montrant que même (surtout ?) ceux et celles qui se pensent dénués d’a priori sont aussi remplis d’idées préconçues et de clichés qu’ils ont intégrés tant ils sont profondément ancrés dans les inconscients. Il démontre les enjeux politiques sous-jacents et pointe tout ce qui reste à faire évoluer pour que l’orientation sexuelle de chacun ne soit plus un sujet clivant, mais une composante aussi banale que la taille ou la couleur des yeux. Pour cela, le titre de chaque chapitre est une question souvent renvoyée aux homosexuels, mais tournée cette fois vers les hétérosexuels … démontrant ainsi l’absurdité même de la question initiale. Par exemple, il écrit : Pourquoi éprouvez-vous le besoin d’afficher votre hétérosexualité partout, dans la rue par exemple, en vous tenant par la main ? ou Comment pouvez-vous vous dire hétérosexuel si vous n’avez jamais essayé de vous forcer à coucher avec une personne du même sexe que vous ? ou Pensez-vous qu’avec un bon thérapeute vous pourriez arrêter d’être hétérosexuel ?
J’ai trouvé cette lecture vraiment très intéressante, mais ce n’est pas une lecture « facile » : le texte interroge, bouscule… On sent, chez l’auteur, une révolte, une colère, du ressentiment et comme il utilise le « tu » pour s’adresser à lui-même, en tant que lecteur, on se sent interpelé, et parfois, ce style très direct est un peu brutal. En tout cas, je l’ai ressenti comme tel…Je pense néanmoins que c’est un texte fondamental pour quiconque veut comprendre à quoi sont confrontés les couples gays ou lesbiens, à l’heure où les agressions envers eux semblent augmenter, à l’heure où semble poindre dans certains pans de la société, dans certains courants politiques ou religieux, un repli vers des idées très rétrogrades sur le couple, le genre, la famille….Il reste encore beaucoup à faire, et ça passe aussi, toujours et encore, par l’éducation
Extrait Page 12
Ta seule première histoire ?C’est ne pas avoir droit aux mêmes amourettes innocentes que les hétéros, mentir à tout le monde, et avoir envie de mourir, car l’homophobie est un ressort comique qui fait rire vos familles.
Extrait Page 14
Quand tu as 4 ans, tes parents adoptent une enfant, ta future sœur, Ana, un an de plus que toi. Elle est née au Cap-Vert. Ana est noire. Elle aussi, très tôt, plus tôt que toi même, elle doit faire l’expérience de la différence. Tu te souviens d’elle, rentrant le soir de l’école en larmes, car des élèves de sa classe l’avaient traitée de « sale négresse ». Il te faudra des années pour comprendre la connivence inconsciente, puis la complicité tacite, qui s’établira entre elle et toi quand il s’agira d’aborder certains sujets de société lors des repas de famille.
Extrait Page 15
Vous étiez deux à faire l’expérience de la minorité, deux à chercher des modèles, des traces de vous-mêmes dans les récits des autres : c’était pathétique et bouleversant à la fois. Solitaires à la maison. Solitaires à l’école. Solitaires devant la télévision. Solitaires dans les romans, et leurs mondes imaginaires pourtant si nécessaires à l’acquisition d’une identité individuelle.Il n’y a pas trente-six solutions à cette problématique : soit l’absence de représentation est intentionnelle, et c’est immonde, soit elle n’est pas intentionnelle, mais inconsciente, et c’est encore bien pire.Dans tous les cas, il te faudra grandir sans te voir ni te reconnaître nulle part.
Extrait Page 19
Être gay, c’est vivre dans un monde à côté du monde, un monde inconfortable, étrange, où le secret dans lequel l’hétéronormativité* te jette agit comme une cloison de séparation. Ton expérience du monde est toujours solitaire, du moins au début.Grandir LGBT+, c’est grandir dissident d’un « régime politique totalisant », et qui prétend pourtant ne pas exister.
Extrait Page 20
Quand toute ta famille rit devant La Cage aux folles, tu ris avec eux, mais, au fond de toi, tu sais combien cette situation est étrange. Oui, tu le sais. Tu connais la vérité. Et tu n’es pas avec eux, et eux ne sont plus avec toi. Et tu t’éloignes un peu plus d’eux, à chaque nouveau rire.
Extrait Page 24
Tu es quelqu’un qui aime quelqu’un, l’homosexualité ne définit pas ton existence. Elle est une chose politique que tes yeux voient 99 % du temps comme un non-événement qui naviguerait en périphérie de ton quotidien. Ton homosexualité n’existe pas pour toi. Elle n’est rien pour toi. De la même façon que l’hétérosexualité n’est rien pour les hétérosexuels. On pourrait en rester là, idéalement. Mais non, puisque cette chose qui n’est rien devient tout, dès lors que d’autres te la rappellent même quand tu n’as rien demandé, comme on obligerait le myope à chausser des lunettes. Plus exactement : l’homosexualité n’existe pas dans ta vie en dehors des moments, nombreux, quotidiens, où l’homophobie, en se manifestant, te ramène à ta condition de dissident de l’ordre sexuel.
Extrait Page 26
Tu as la violence en horreur, mais la violence t’accompagne depuis que tu es né enfant homosexuel dans une société hétéronormative, alors ils peuvent bien supporter quelques phrases.
Extrait Page 31
… disons plutôt qu’est-ce « qui passe » dans cette société* pour qu’un enfant confonde les multiples agressions pédocriminelles dont il fut la proie avec l’homosexualité ? Et pour que cet enfant préfère démentir / abandonner son meilleur ami, cacher sa propre souffrance, et renoncer à la justice qu’il mérite en tant que victime, et ce afin qu’on ne le soupçonne pas d’« être » homosexuel ?Qu’est-ce « qui passe » ? De quoi est-elle irriguée, cette société ? Qu’est-ce qui filtre, à travers les films, les pubs, les blagues, l’humour, les livres, les mots entendus à la maison, puis répétés dans les cours d’école, et qui coule en goutte-à-goutte fangeux dans la tête des enfants ?
Extrait Page 33
Il faut donc, avec urgence et nécessité, que tu l’écrives ici puisque personne n’a jamais été foutu de te le dire, et puisqu’on t’a même seriné l’inverse. Tu te l’écris donc, à toi et à celui qui le lira et chez qui, malheureusement, ces mots pourraient faire écho :Tu n’es pas « devenu » homosexuel car il t’a agressé et violé, mais il t’a agressé et violé car il sentait que tu étais en questionnement, donc fragilisé. Et dans la société où nous vivons, ton agresseur serait en mesure de retourner ces questionnements contre toi pour te faire taire, et user de cette fragilité comme d’un levier commode, sur lequel agir pour s’assurer de ton silence terrifié.
Extrait Page 44
Mais comment font-ils, les autres, les comme toi, pour y arriver, pour le dire, et celles et ceux qui n’y arrivent pas, pour ne pas crier ? Et même une fois que la chose est dite, comment font-ils pour gérer la honte et pour s’aimer ? Certains ont l’air d’y parvenir facilement. Sans effort. Tu les admires. D’autres, dont tu te sens plus proche, se font du mal. Ils se blessent, se mutilent, se jettent dans la drogue, ou, pour celles et ceux qui peuvent, transcendent leur mal-être en le sublimant, qui par la peinture, qui par la sculpture, le théâtre, la mode, ou l’écriture, à l’image, par exemple, d’un certain… Hans Christian Andersen.
Extrait Page 47
Savoir l’homosexualité de Jules Verne, celle de Gustave Flaubert, de Hans Christian Andersen, celle de Colette, Tracy Chapman, Akhenaton, Richard Cœur de Lion, Édouard II, Schubert, Chopin, Brahms, Lully, etc., aurait permis à l’enfant que tu étais de ne plus se sentir isolé.Une manière de lui dire : nous sommes ta boulangère, ce personnage qui a fait l’histoire, ton prof de SVT, l’auteur du livre qu’on te fait lire à l’école, le monsieur qui déchire ton ticket au cinéma… On nous appelait muxhes il y a deux mille cinq cents ans en Pré-Colombie, shudo dans le Japon du XVe siècle, katuma en Angola. La poésie perse de l’empereur Mahmoud de Ghazni a exalté nos amours, la poétesse grecque Sappho en a chanté les louanges dans des vers inoubliables*…Effacer l’orientation sexuelle minoritaire des grands noms de l’histoire, c’est amoindrir ce lien étrange qui existe entre l’auteur d’une œuvre d’art parfois mort il y a des siècles et l’être humain bien vivant qui la contemple. C’est tronquer ce sentiment de proximité inexplicable qu’on peut entretenir avec l’artiste qui nous a ému. Prévenir toute « amitié imaginaire ». Cette amitié qui jaillit sans qu’on sache pourquoi et nous place sous l’égide d’un artiste, qu’on adoptera inconsciemment en figure tutélaire.
Extrait Page 54
25 % des adolescents français ayant tenté de se suicider en 2011 étaient homosexuels10. Un adolescent se découvrant homosexuel ou trans a huit fois plus de risques de passer à l’acte qu’un autre adolescent. C’est la deuxième cause de mortalité à cet âge-là, la deuxième qui brise des familles. Près d’une tentative sur deux est liée à la non-acceptation d’une orientation sexuelle ou d’une identité de genre. En France, un adolescent se suicide toutes les quarante-huit heures à cause de son orientation sexuelle.Ne pas nommer la construction politique et partisane de l’homophobie, de la transphobie ou de la lesbophobie, c’est s’interdire d’en démasquer les conséquences discriminatoires : dépressions, suicides, conduites à risque… Comment peut-on vivre dans une société où l’on comptabilise jusqu’à huit fois plus de suicides chez les jeunes LGBT* et ne pas se demander ce qui, dans ce système, rend cette réalité possible ?Qu’est-ce que la majorité a donc à leur proposer de si effroyable pour que de tels extrêmes leur apparaissent préférables ?
Combien de fois as-tu eu envie de mourir pour tuer non pas ce que tu étais réellement, mais l’image négative, comme une ombre cousue, que la société tente de coller à tous les queers ?
Extrait Page 56
Peut-être, d’ailleurs, qu’une part de toi se fout de la notoriété tandis qu’une autre l’a secrètement cherchée, non pour ses lauriers, mais pour pouvoir, névrotiquement, t’affranchir de cette marque rouge sur ton front et la transformer en récit. Tu as utilisé tes talents pour creuser ton trou dans ce milieu culturel où ton homosexualité n’est plus vue du tout comme un problème. Un non-sujet. Tu ne te fais cependant aucune illusion : ce milieu est aussi homophobe qu’un autre. Simplement, l’homosexualité y est socialement acceptée, non par « ouverture d’esprit » mais, selon moi, par pur snobisme : l’homophobie, c’est un truc de pauvres qui manquent de culture. Ils t’accepteront en apparence pour accentuer ce limes entre eux et les autres. C’est tout.
Extrait Page 73
Tes études de médecine n’auront été qu’une suite de vexations et de couleuvres avalées. Tu devras ingurgiter des tonnes et des tonnes de connaissances, et ce gavage ne peut se faire sans emprunter des préjugés parfois nauséabonds.
Tu te souviens : juin 2012. Préparation au concours de l’internat. À la lecture du mot « homosexuel » dans l’énoncé, tu te dois d’être prêt à dégainer des mots-clés tels que : syphilis / gonocoque / gonorrhée / VIH / sida / sérologies.Pour la fac de médecine, l’homosexuel est un partouzard sidéen. Alors oui, tu dois apprendre (mal) à soigner les minorités en ingurgitant une montagne de connaissances, avec ces stéréotypes qui ne nuancent rien, qui synthétisent tout et adoptent des lignes droites aux sérieuses allures de raccourcis.
La vérité, c’est que la médecine t’est apprise au forceps. N’en déplaise à ses représentants, à l’époque le milieu médical est en majorité constitué de vieux Blancs persuadés de n’être ni sexistes, ni homophobes, ni réactionnaires. J’en veux pour preuve ce sondage19 montrant qu’une majorité d’entre nous votent à droite, c’est-à-dire pour des politiques qui (au mieux) se désintéressent des minorités. Et quand bien même te reprocherait-on d’exagérer, quand bien même, oui, t’opposerait-on que « le milieu médical est à l’image du reste de la société, ni meilleur ni pire », qu’il te faudrait rappeler encore une fois que les préjugés des soignants n’ont pas les mêmes conséquences.On risque moins sa vie en achetant son pain à un homophobe qu’en lui confiant sa santé.
Extrait Page 83
S’il y a bien un sujet médical qu’on aborde malheureusement trop peu dans les médias, c’est celui d’interroger l’idée selon laquelle, dès qu’un soignant enfile une blouse, il cesse d’être ce qu’il est et de penser ce qu’il pense, qu’en somme, il se sépare ipso facto de ses biais et stéréotypes sur les personnes qui ne sont pas comme lui. Comment peut-on penser qu’un stéthoscope serait un totem qui nous immuniserait contre les préjugés qui traversent nos sociétés ? Hé, les confrères ! N’y a-t-il pas d’homophobie dans le milieu médical ? Pas de sexisme ? Pas de transphobie ? Pas de mépris de classe ? Pas de mépris envers les patients psychiatriques ? Envers les toxicos ? Les travailleurs du sexe ?
Non ? Vous êtes sûrs ?Bon.S’il existe des doutes sur la question, c’est que ce livre est important et que les jeunes médecins doivent le lire avant d’avoir des vies humaines entre les mains…
Extrait Page 86
La confraternité n’est pas la complicité. Quand on est médecin, on jouit d’une position sociale supérieure. Quand quelqu’un jouissant de cette position se permet des propos ouvertement homophobes ou sexistes, il libère la parole de toutes et tous. Il leur offre un « permis de discriminer ».Tu crois au devoir d’exemplarité comme à la liberté d’expression. Mais celle-ci est comme un permis de conduire. Si on conduit bourré en insultant les passants, la police et en grillant les feux, il ne faut pas s’étonner de se faire peigner le museau.
Extrait Page 88
Tu ne sais jamais que tu es gay. Ni quand tu manges, ni quand tu dors, ni quand tu baises. Tu es, très très prosaïquement, un être humain qui vit sa vie. Les seuls moments qui te rappellent à ton homosexualité sont les moments d’homophobie. À croire que ce sont eux, les homophobes, qui fabriquent l’homosexuel que tu ne te sens jamais être en dehors de ces instants-là. […]
Puis l’ordre hétéronormatif s’habituera à vivre dans un monde où toutes et tous jouissent des mêmes droits et des mêmes privilèges. Et quand un de leurs fils, une de leurs filles, ou un de leurs petits frères, leur meilleure copine, leur annoncera son homosexualité, et cela arrivera un jour, ils se réjouiront que des casse-burnes comme nous se soient battus pour qu’il / elle ait le même droit au respect que n’importe qui.
Extrait Page 95
Les femmes sont fertiles seulement trois jours par mois, les hommes sont fertiles à chaque rapport sexuel, 365 jours par an, mais ce n’est jamais eux qui pleurent dans ton cabinet à l’annonce d’une grossesse non désirée. Jamais eux. Non. Tu ne leur tends jamais ta petite boîte de mouchoirs. Jamais, jamais, jamais.
Extrait Page 97
En cela, l’homme affichant ostensiblement son homosexualité, parce qu’il se refuse à jouer le rôle de dominant dévolu pour lui au sein du couple hétérosexuel, est un trouble-fête qu’il conviendra de faire rentrer dans le rang ou d’humilier pour sa traîtrise à l’égard du « sexe fort ».
Extrait Page 103
Tu ne pourrais pas donner de meilleure démonstration que les réactions d’hommes hétérosexuels à la tribune que tu publies un jour sur un réseau social.En l’écrivant, tu ne savais pas trop comment aborder ce sujet sans verser dans l’essentialisation, en faisant d’expériences personnelles une règle immuable, et tu avais bien conscience que ton statut d’homme gay te plaçait dans une situation délicate.Tu expliques comment, après dix ans de médecine générale, des milliers de consultations, après avoir été au contact de milliers de familles, tu en es venu à penser que, fondamentalement, les hommes n’aiment pas les femmes.Plus exactement, tu en es venu à la conclusion que beaucoup d’hommes n’aiment pas leur femme. Ils aiment la validation sociale que procure le fait d’avoir une femme, ils aiment le sexe gratuit qu’une vie à deux procure. Ils aiment avoir quelqu’un à la maison qui gère les lessives, le linge, la vaisselle, qui fait les courses, la cuisine, baigne les petits, s’occupe des devoirs et des activités parascolaires.Et surtout ils s’illusionnent en pensant que tout cela s’appelle l’amour avec un grand A parce que ça les arrange bien au quotidien. Tu les reçois au cabinet, toi, leurs femmes. Et tu vois leur épuisement. Et tu ne vois pas comment leurs époux peuvent l’ignorer puisque tu les vois aussi, ces hommes, et tu les entends te dire : « Attendez, j’appelle leur mère, c’est elle qui sait pour les vaccins des petits », ou des trucs comme : « Le nom de mon anti-hypertenseur ? Celui que je prends tous les jours depuis dix ans ? Attendez, j’appelle ma femme ! »OÙ EST L’AMOUR LÀ-DEDANS ?Où est l’amour quand ils voient la personne qu’ils sont censés aimer s’épuiser quotidiennement ? Qu’ils le voient et qu’ils ne disent rien ? Qu’ils ne font rien pour que ça change ? Qu’ils trouvent ça normal.
Extrait Page 104
Quand tu écris ces mots, tu sais déjà que des frangines vont les lire et se sentir obligées d’être l’avocate de leur mari qui est super, parce qu’il fait la vaisselle aussi, et c’est cool pour vous, les frangines, mais du coup ce n’est pas d’eux dont tu parles.Toi, ce que tu veux savoir, c’est pourquoi, si les hommes aiment vraiment leur femme, ils la quittent quand elle tombe malade, c’est-à-dire quand ils ne peuvent plus avoir le sexe gratuit. Le ménage gratuit. Les lessives gratuites.Il existe des études. Tu ne sors pas ça d’une étude from your ass. C’est documenté : à l’annonce d’un cancer, une femme aurait six fois plus de risque d’être quittée qu’un homme40. Et c’est le même chiffre avec d’autres maladies (par exemple sclérose en plaques).
Extrait Page 116
Parce que, Baptiste, dans la société dans laquelle on vit, pour la plupart des gens, aucune honte n’est ou ne sera supérieure à la mienne. »Quand tu fais lire le manuscrit de ce récit à un ami hétérosexuel, il te dira ne pas aimer l’adresse à la deuxième personne, ce tutoiement permanent :« J’ai l’impression de me faire engueuler. »Tu seras déçu, de prime abord, qu’il ne soit pas au rendez-vous de cet effet de style, ayant envisagé ce tutoiement comme un exercice d’empathie. Pourquoi ce sentiment d’être réprimandé alors que tu ne fais que parler de ton histoire ? Si réquisitoire il y a, il s’adresse au système hétéronormé, pas à la personne hétérosexuelle ? Est-ce vraiment le sentiment de se faire engueuler qui le gêne ? Ou plutôt que, en l’obligeant à embrasser ton intimité, il se rend compte combien cette vie d’homosexuel dans un monde hétérosexuel est inconfortable ? Oppressante ?« J’ai l’impression de me faire engueuler. »Non. Il a juste peur d’être traité comme les homosexuels sont traités depuis la nuit des temps.
Extrait Page 125
Car ce silence a valeur d’assentiment, l’homophobie tue !Il est important que les personnalités qui le PEUVENT ne mentent pas sur l’identité de la personne qu’elles aiment : en se taisant, elles alimentent l’idée qu’être LGBT+ serait vaguement honteux, et n’aurait pas d’autre vocation que de rester secret.Parce qu’il est temps que la honte change de camp et d’inverser les points de vue : ce n’est pas parce qu’un enfant est homosexuel qu’il est viré de chez lui, c’est parce qu’il a des parents homophobes. Modifions le paradigme, modifions les représentations en disant haut et fort ce qu’il en est du réel. La honte, ce n’est pas d’être LGBT+, c’est d’être contre l’extraordinaire diversité des visages du genre humain, et si personne ne devrait être sommé de choisir un camp, on ne peut pas faire comme si le silence ne profitait pas toujours aux mêmes.
Extrait Page 125
À l’âge de 26 ans, te voilà édité pour la première fois, et tu découvres le monde de l’édition. Ayant toujours rêvé d’écrire, tu aimes, mais tu tiques. Le milieu littéraire est hypocrite : nombreux sont les auteurs et autrices LGBT+ qui le cachent par crainte des on-dit…La honte, toujours.Si toutes celles et tous ceux auxquels tu penses sortaient du placard, quel bond dans les mentalités ce serait ! Des grands noms, des personnes adorées de leur lectorat. Les personnes puissantes doivent dire leur homosexualité. Elles doivent le dire sur les plateaux télé, à la radio, elles doivent le dire dans les colonnes du canard qui chronique leur livre, elles doivent le dire dans les dîners mondains, dans les écoles où elles expliquent le métier d’écrivain, elles doivent le dire dans les conférences qu’elles donnent, dans les salons du livre, elles doivent le dire sous la douche, au petit déjeuner, au chauffeur de taxi, elles doivent dire leur homosexualité partout, partout, partout, car si les personnes puissantes ne le proclament pas, à quoi sert d’être une personne puissante.
Extrait Page 128
N’attends pas qu’on te concède ta liberté d’aimer et d’être. Prends-la. Organise toi-même les conditions de ta liberté.Cela passe par dire haut et fort et sans honte qui tu es et qui tu aimes. Tu existes, et tu ne te bats pas pour la tolérance. On tolère ce qui est tolérable. Il n’y a pas à tolérer ou non des êtres humains. Tu ne te bats pas non plus pour l’amour. Tu sors les griffes et montres les dents pour le respect, le droit à l’indifférence, tes droits civiques, la mort du patriarcat, et pour virer les personnes toxiques LGBTphobes de ta vie.
Extrait Page 129
Tu comprends, l’homophobie, la vraie, celle qui tabasse, celle qui cogne, c’est pour les campagnes, c’est pour les banlieues, c’est pour les ploucs et les extrémistes. Tandis qu’eux, ceux des grandes villes, ceux qui flânent dans les musées et sablent le champagne dans des vernissages, ceux-là ne peuvent pas être homophobes : c’est mauvais pour leur image progressiste. Néanmoins, ne t’y trompe pas : ta « subversion sexuelle » a pour strictes limites l’avantage social qu’ils peuvent en tirer, essentiellement les rassurer sur leur ouverture d’esprit.De toute manière, sois bien certain d’une chose : il y aura toujours un hétérosexuel pour te décevoir quelque part.
Extrait Page 162
Ainsi, ce reportage de France Info, écrit par Valentine Pasquesoone :« Un membre de l’équipe départementale chargée des adoptions, souhaitant rester anonyme, confirme ces refus. En cinq ans, il a présenté “une quinzaine” de dossiers de couples de même sexe pour l’adoption d’un pupille de l’État. Aucun n’a été retenu. [Les membres de l’équipe] n’étudient même pas les dossiers de couples homosexuels. À chaque fois, il faut un papa et une maman. Ils veulent donner “une bonne famille” à l’enfant. »Dans ce même reportage :« L’UNAF, l’Union nationale des associations familiales, était “majoritairement opposée” au mariage pour tous et “majoritairement défavorable à l’accès à l’adoption pour les couples de même sexe” au moment du débat sur la loi Taubira. Elle est toujours impliquée dans le processus d’adoption aujourd’hui, car chaque conseil de famille compte au moins un représentant proposé par l’UDAF, l’union départementale. »Fermez le ban, la messe est dite.« Et l’adoption ? Vous y avez pensé à l’adoption ? Il y a tellement d’enfants malheureux… »En plus d’une méconnaissance crasse des adversités affrontées par les couples de même sexe, ces Machin Bonnes Âmes confessent une ignorance totale de l’état des lieux de l’adoption en France, qui reste un parcours du combattant, y compris pour les couples hétérosexuels. Les derniers chiffres publiés par l’association Enfance et Famille d’adoption faisaient état, en 2021, de 3 965 enfants « adoptables ». Or, on estime en France le nombre de demandes d’agrément pour l’adoption à 10 000 chaque année. Ainsi, année après année, le nombre de couples espérant adopter grandit : ils sont près de 30 000 à attendre…Et il croit qu’on va privilégier les couples de même sexe, Machin ? Machin n’en sait rien, mais il se sentira très « tolérant » et « ouvert d’esprit » en sortant des phrases du genre : « Franchement, un enfant n’a besoin que d’amour. Je préfère deux papas aimants qu’un couple hétérosexuel qui bat son enfant à coups de pelle ! »En gros, oui, ce qu’il dit c’est que, par rapport au fond du panier de l’humanité, vous êtes pas mal. Merci pour le compliment de merde, Machin, sans doute cela part-il d’une bonne intention, mais… comment le dire poliment ? Il existe une malédiction yiddish pour les gens comme lui, les gentils sauveurs, imbéciles heureux qui ignorent les montagnes que vous avez à gravir : tu espères qu’il perdra toutes ses dents, sauf une, comme ça il pourra quand même souffrir d’une rage de dent !Dans tous les cas, au moins, il fermera enfin sa grande gueule.
Extrait Page 164
Indexer la légitimité parentale des couples homos sur l’illégitimité de certains couples hétéros, c’est encore une fois prendre le modèle hétérosexuel pour standard de la parentalité.Ce n’est pas parce qu’il existe des parents indignes et inhumains que les familles homoparentales ont le droit d’exister, mais parce qu’elles sont, tout simplement, à l’image des couples hétéros : dignes et humaines.
Extrait Page 190
D’ailleurs ça n’existe pas « le père » ou « la mère ». Il y a un ou des parents. Des individus. Avec leurs bagages respectifs. Et c’est l’enfant qui fait d’eux des parents extraordinairement singuliers. Peut-être les parents « façonnent-ils » leur enfant, mais c’est l’enfant qui « fait » le parent. On ne peut savoir à l’avance quel type de parent on va être, et, partant de là, s’imaginer qu’on sera « comme ci » ou « comme ça » parce qu’on a un vagin ou un pénis…L’enfant fait se déployer en vous vos particularités, qui ne sont semblables à aucune autre, encore moins, tu en es aujourd’hui convaincu, à un bloc socialement prédéterminé par votre genre et qu’on voudrait nommer « LE père » ou « LA mère ».
Extrait Page 192
Les rôles au sein de la cellule familiale seraient donc interchangeables ? C’est bien ce que démontre l’essayiste Sophie Adriansen dans son ouvrage passionnant Qui s’occupe des enfants ? Non, on n’élève pas ses enfants avec ses organes génitaux, et la disparité des rôles au sein du foyer sert les hommes et dessert les femmes. Les rôles sont interchangeables, mais les hommes hétérosexuels n’ont strictement rien à gagner à ce que cela change. On les comprend.Tu vas être clair : tu es persuadé que les hommes en couple hétérosexuel surjouent une forme d’incompétence aux tâches courantes du foyer, comme leurs pères avant eux, et les pères de leurs pères. Ils développent même des tactiques, conscientes ou inconscientes, souvent calquées sur leur propre schéma parental, pour justifier leur inaptitude. Le but ? Que madame les sollicite le moins possible.
Extrait Page 205
L’homophobie est un mal inutile, nous pouvons être plus heureux, diminuer la souffrance globale du monde, être du côté des libertés plutôt que de celui de la médiocrité, de l’indigence mentale.
Extrait Page 212
… aime tout le monde, quitte à te tromper. Et considère les autres. C’est important : dans un monde qui va trop vite, on considère trop peu. Ne laisse personne en dehors du champ de ton humanité, mais ne te laisse pas marcher dessus non plus. Et puisque tu es une petite fille, apprends vite à savoir viser les testicules de ceux qui t’ennuient, et surtout n’oublie jamais que « NON » est une phrase complète, qui n’a besoin d’aucun développement ni d’aucune justification. Lave-toi bien les dents, obéis à tes mères, rappelle-toi que tout est politique, et ne tue pas les petits animaux. Sois une personne gentille. Je t’embrasse, et je laisse la porte ouverte, Baptiste.
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