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Toute la famille ensemble - Xavier de Moulins


Toute la famille ensemble

Xavier de Moulins – Flammarion – Février 2023

Ce livre m’attendait depuis plusieurs mois, je l’avais acheté lors de la foire aux livres d’occasion qui a lieu chaque année en octobre près de chez moi. J’avais lu et aimé Le petit chat est mort et Mon garçon ce qui m’a incité à acheter ce roman dont je n’avais pas entendu parler.

On retrouve le style réaliste de Xavier de Moulins qui dépeint le quotidien et ses tourments avec simplicité et sensibilité. J’ai plutôt bien aimé ce récit…qui a fortement fait écho en moi à de nombreux moments ! C’est d’ailleurs assez troublant,

ce qui tempère aussi mon avis sur ce livre : trop concernée, ce n’est pas un récit qui m’a permis de me divertir ou de voyager, de m’évader.

Au cœur du récit, la séparation de Jeanne et Max, la difficulté pour chacun d’eux d’accepter cette séparation et l’idée de mettre fin à leur couple et à leur famille. Autour d’eux, les parents de Max, séparés eux-aussi, mais toujours proches et Marc et Constance, le frère et la belle-sœur de Max. Tous ont l’habitude de se retrouver dans la maison familiale pour Pâques, autour de la pétillante Paprika, dont in sent qu’elle sourit, danse et chante pour éviter de sombrer… Tous sont confrontés aux coups durs de la vie et vont devoir les affronter, accepter les bouleversements et les incertitudes face à l’avenir. Max, au moment de sa propre séparation, revit et s’interroge sur celle de ses parents, pour y trouver les réponses à ses propres questionnements. Xavier de Moulins nous raconte ces histoires, non de façon toujours linéaire, mais par touches et, même si les épreuves sont assez dures, il ressort une forme d’optimisme, avec l’idée que dans une famille l’amour peut évoluer, mais ne disparaît jamais et permet de surmonter les épreuves.


Extrait P17

Tout semblait droit en surface, mais à l’intérieur, c’était tout un univers qui s’éteignait. Mon monde multicolore s’était tu, une tristesse avait essoré mon cerveau et mon cœur, ôté tout arôme à ma vie, passé sur mon âme une teinte de cire.

J’avais conduit mes filles jusqu’ici sans trop savoir comment. Et par miracle, elles étaient arrivées à bon port, sans comprendre qu’un fantôme avait pris le volant.

Un père en petits morceaux.


Extrait P 56

Personne n’aurait pu se douter que mon père serait un jour capable d’aimer quelqu’un d’autre. Aimer au point de quitter ma mère après trente-cinq ans de vie commune.

On ne devine jamais ces choses-là. Cette folie et cette foudre.

On est restés cloués là, mon frère et moi. Il ne quittait pas ma mère, il était tombé amoureux d’une autre. L’écho lugubre de cette phrase résonnera toute ma vie.

Dans l’embrasure de la porte, j’ai eu honte de lui.

Mais lui s’esclaffait, évoquant l’amour, la pureté, oubliant la violence.

Rien ne lui a été épargné. Ni les soupçons, ni les commentaires, ni la houle du regard des autres. Il a su tout dépasser, les a priori, le vertige de la différence d’âge, les claquements de porte. Mon père s’est montré inflexible, détaché, déjà loin. Heureux.

Jamais souffrir.

Et mon père a voulu divorcer.

Divorcer pour être clair, mettre son monde en ordre et foncer.

Tant pis pour les emmerdes, seule importait la beauté du geste.

Vivre grand.

On était priés de comprendre : il ne quittait pas ma mère, il était tombé amoureux d’une autre. Il transformait leur amour en une autre paire de manches. C’était la vie, et quand ça arrivait, il était important d’assumer, d’assumer jusqu’au bout.

On ne devine jamais ces choses-là. Jamais. Ma mère ne disait pas le contraire. Le jour de l’annonce de mon père, Paprika a accusé un sourire rassurant, elle a acquiescé et, mieux encore, l’a encouragé en déposant à nos pieds la couronne de sa vie de reine.

Elle a eu ces mots devant nous :

- Je remercie votre père pour tout ce qu’il m’a donné et apporté. Et je lui souhaite d’être heureux. Quand on aime quelqu’un, la moindre des choses est de le laisser partir avec élégance quand il choisit de se retirer. Personne n’appartient à personne, mes enfants. C’est la vie.


Extrait P 138

J’aimerais savoir : comment a-t-il su qu’il devait partir, quitter sa femme après trente-cinq ans ? Comment sait-on ces choses-là ? Quelle est la grammaire du désamour, sa syntaxe et sa morphologie ? Est-ce que ça s’explique au moins ? Pourquoi Céline et pas une autre ? Et quoi ? La jeunesse ?

A-t-il seulement douté ? A-t-il hésité à partir ? A-t-il cru aimer les deux un moment ? A-t-il menti à l’une et à l’autre pour les ménager, se rassurer et gagner du temps ? S’est-il perdu ?

Que s’est-il réellement passé ? Jusqu’à quel point la fiction que l’on imagine adoucit-elle nos choix ? Combien ça coûte à la fin ?


Extrait P 140

Mon père aurait-il quitté ma mère s’il n’y avait pas eu quelqu’un d’autre ? Les hommes ne partent jamais pour rien. Un homme part pour une autre femme ou reste sous la couette à se plaindre de son sort. Une femme n’a besoin d’aucune épaule pour s’en aller. Une femme n’a besoin de personne pour tirer sa révérence. Quand les femmes acceptent l’inconnu, les hommes veulent des garanties.


Extrait P 143

Jeanne a peur. Jeanne refuse de perdre ce qu’elle a construit. Jeanne s’imagine qu’il est possible de tout avoir.

Se réfugier trop longtemps dans l’idée que l’on aime deux personnes en même temps, refuser la douleur de choisir, c’est voter pour l’autodestruction et n’aimer personne.

J’ai fini par comprendre.

Prétendre aimer deux personnes est un attentat.

Un terrible attentat contre soi.


Extrait P 160

J’aurai tout vu, elle m’aura tout fait.

Jeanne est allée lui ouvrir la porte de notre sanctuaire, et j’ai cru que quelqu’un m’enfonçait une baïonnette dans la gorge. Il n’a pas pénétré chez moi, il est resté sur le palier sans parler. Jeanne a rassemblé machinalement ses affaires. On aurait dit un robot, pas la mère de mes enfants, que j’avais toujours protégée jusque-là, y compris de mes propres démons. Cette fois, elle ne me mentait plus.

Je n’ai pas eu le courage de sortir de mon lit, de courir dans le couloir jusqu’à la porte d’entrée pour casser la gueule au grand acteur. Nous n’étions pas dans un mauvais film, ni dans la forêt à l’heure du brame, nous étions dans la vie mauvaise. Je n’ai pas eu l’envie de lui enfoncer quelque chose en plein cœur. J’avais trop mal à cause de la baïonnette.

J’étais trop lâche aussi pour la confrontation.


Extrait P205

Comment fait-il ?

Encore un sujet qui reste en suspens entre nous. Nous n’avons jamais évoqué le départ de Céline six mois après la naissance de Victor. Cette fois, il ne s’est pas donné la peine de nous convoquer, de prendre la parole en public et de nous expliquer les charmes de la vie légère.

Papichat est en train de divorcer de son nouvel amour. Son printemps a fondu, sa terre promise n’a pas tenu ses promesses et sa seconde vie s’est fanée.

Comment mesurer la profondeur de cette entaille ? Que lui dicte son cœur à présent ?

Elle l’a quitté pour un autre. C’est aussi simple que ça. Un jeune a pris la place de mon père. Céline s’est volatilisée au bras d’un homme de son âge.

Au bout d’un certain temps, l’amour, c’est comme l’entreprise, une question de génération.

Il ne l’avouera jamais. Il évitera le chemin des justifications. Il ne nous racontera pas ce licenciement. Nous ne le lui dirons jamais, mais nous avons tous reçu la même lettre : les adieux de Céline, ses explications et ses très vagues excuses.

A-t-elle douté au moment de lever l’ancre ou ne s’est-elle posé aucune question, comme quand elle a laissé mon père s’aventurer dans sa vie et s’y leurrer ?

On a les états d’âme qu’on peut quand on s’imagine naïvement qu’on a encore la vie devant soi.


Extrait P234

J’ai observé le champ désolé, j’ai attendu un signe, et le chevreuil est revenu danser dans le jour déclinant.

Constance a battu le rappel et, à son tour, embrassé ses hôtes. Elle a pris place dans le vaisseau spatial et s’est installée au volant. Elle a ouvert sa fenêtre et m’a fait signe d’approcher.

- Je t’ai trouvé très courageux avec Jeanne. Ce n’est jamais évident quand l’autre s’en va. Il paraît que c’est devenu simple de refaire sa vie. C’est des conneries tout ça. L’amour n’est pas qu’une question de formalités. On ne passe pas d’un sujet à l’autre comme ça. Nous n’arrêtons pas d’aimer en claquant des doigts. Quand c’est fini, ça recommence, dit la chanson. Pourquoi pas ? Pourquoi ne pas prendre le temps ? Les gens confondent trop souvent rupture et séparation. Rompre prend dix secondes, se séparer peut prendre une vie.

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