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Underground railroad - Colson Whitehead


J’ai découvert Colson Whitehead avec son roman Nickel Boy : à l’occasion d’échanges sur cette lecture avec un collègue, il m’a conseillé Underground Railroad. On retrouve effectivement des thèmes similaires entre les deux romans, même s’ils se déroulent à des époques bien différentes : la place des noirs dans la société américaine et leur oppression par les blancs y tient la place centrale.

Dans Underground Railroad, l’héroïne est une jeune fille de 16 ans, Cora, qui s’enfuit de la plantation de coton dans laquelle elle est esclave : après sa fuite, son maître lance un avis de recherche assorti d’une bonne récompense pour sa capture. Sa fuite est donc très risquée et son périple va lui faire traverser plusieurs états pour échapper aux chasseurs d’esclaves qui sont à ses trousses. Pour survivre, elle devra affronter tous les dangers, avoir recours à la violence, se cacher, prendre tous les risques. Elle perdra, au cours de son périple, certains de ses compagnons d’infortune.


J’ai apprécié de roman, mais moins que Nickel boys : je l’ai trouvé moins « écrit »…peut-être cela tient-il à la traduction. Je pense que c’est un livre plus militant que le précédent, où le message politique prime sur l’histoire. Il y a quelques longueurs….Par contre, c’est un livre marquant, qui soulève beaucoup de questions sur la société américaine et ses fondements, sur le racisme érigé en système esclavagiste, sur l’acceptation de ce système par quasiment toute la société de l’époque. Au-delà, c’est aussi une réflexion que ce qui fait l’humanité, ce qu’est la liberté, sur les atrocités qu’est capable de tolérer ou d’encourager une société… Si les événements du roman se situent au début du 19ème siècle, avant la guerre de Sécession, certaines de ces questions restent terriblement actuelles et ressurgissent avec force dans les mouvements tels que « Black live matters ».


Extrait P 12

L’air délétère de la cale, le cauchemar de la claustration et les hurlements de ses compagnons de chaînes contribuèrent à la faire basculer dans la folie. Compte tenu de son âge tendre, ses ravisseurs ne lui infligèrent pas immédiatement leurs désirs, mais après six semaines de traversée, quelques matelots aguerris l’arrachèrent à la cale. Deux fois elle tenta de se tuer pendant ce voyage vers l’Amérique, d’abord en se privant de nourriture, puis en essayant de se noyer. Et par deux fois les marins contrecarrèrent ses plans, habitués qu’ils étaient aux manigances et aux penchant du cheptel. Ajarry (grand-mère de Cora) n’atteignit même pas le plat-bord lorsqu’elle voulut se jeter à al mer. Sa posture geignarde, son air pitoyable, semblables à ceux de milliers d’esclaves avant elle, trahirent ses intentions. Enchaînés de la tête aux pieds, de la tête aux pieds, dans une misère exponentielle.

Extrait P 52

Celui-ci se prosterna en gémissant devant l’homme blanc. « Pardon, maître ! Pardon, maître ! « La canne s’abattit sur son épaule et son crâne, encore et encore. Le garçon hurlait, recroquevillé au sol, sous la pluie de coups. Le bras de Terrance s’élevait et s’abaissait. James avait l’air épuisé.

Une seule et unique goutte. Un sentiment puissant s’empara de Cora. Elle n’en avait pas connu l’emprise depuis des années, depuis le jour où elle avait abattu la hachette sur la niche de Blake dans une gerbe d’échardes. Elle avait vu des hommes pendus à des arbres, abandonnés aux buses et aux corbeaux. Des femmes entaillées jusqu’à l’os par le fouet à lanières. Des corps vivants ou morts, mis à rôtir sur des bûchers. Des pieds tranchés pour empêcher la fuite, des mains coupées pour mettre fin au vol. Elle avait vu des garçons et des filles plus jeunes que cet enfant se faire rouer de coups, et elle n’avait rien fait. Ce soir-là de nouveau, ce sentiment envahit son cœur. Il prit possession d’elle, et avant que sa part d’esclave ne rattrape sa part humaine elle se penchait sur le jeune garçon pour lui faire rempart de son corps. Elle enserra la canne comme un homme du bayou agripperait un serpent, et vit l’ornement du pommeau. Le loup d’argent aux crocs d’argent, toutes babines retroussées. Et puis la canne lui échappa. S’abattit sur son crâne. S’abattit encore, et cette fois, les crocs d’argent lui griffèrent les yeux et son sang éclaboussa la poussière.


Extrait P77

En Virginie, on pouvait franchir discrètement la frontière du Delaware, remonter la baie de Chesapeake en chaland, et échapper aux patrouilles et aux chasseurs de primes en comptant sur la ruse et sur la main invisible de la Providence. Ou encore sur l’aide du chemin de fer clandestin, ses tronçons secrets, ses itinéraires mystérieux.

La littérature anti-esclavagiste était illégale dans cette région du pays. Les abolitionnistes et sympathisants qui s’aventuraient en Géorgie et en Floride étaient chassés, fustigés et molestés par la foule, recouverts de goudron et de plumes. Les méthodistes et leurs inanités n’avaient pas leur place dans le giron du roi Coton. Les planteurs ne toléraient pas la contagion.


Extrait P 111

New-York était une vraie fabrique de sentiments anti-esclavagistes. Les tribunaux devaient accorder une décharge autorisant Ridgeway à ramener ses proies dans le Sud. Les avocats abolitionnistes dressaient des barricades de paperasse, échafaudaient chaque semaine un nouveau stratagème. New-York était un état libre, arguaient-ils, et toute personne de couleur devenait magiquement libre dès l’instant où elle en franchissait la frontière. Ils exploitaient les compréhensibles disparités entre les avis de recherche et l’individu qui comparaissait devant la cour : y avait-il une preuve que ce Benjamin Jones soit le Benjamin Jones en question ? La plupart des planteurs ne savaient pas distinguer un esclave d’un autre esclave, même après les avoir eus dans leur lit. Pas étonnant qu’ils égarent leur bien. Cela devenait un jeu, d’extirper des nègres de prison avant que les avocats n’abattent leur nouvelle carte. L’idiotie bien-pensante confrontée au pouvoir sonnant et trébuchant. Contre pourboire, le greffier municipal lui signalait les fugitifs fraîchement incarcérés et signait promptement leur décharge. Ils seraient de retour au fin fond du New Jersey avant même que les abolitionnistes aient le temps de sortir du lit.




Extrait P 131

Caesar et Cora remontèrent la route poussiéreuse et parvinrent en ville, incrédules. Une calèche déboucha d’un angle de rue et ils faillirent plonger sous les arbres. Le cocher était un jeune noir qui leur tira sa casquette d’un air canaille. Nonchalamment, l’air de rien. Tant d’assurance pour son âge ! Lorsqu’il fut hors de vue, ils rirent de leur réaction ridicule. Cora se redressa, releva le menton. Ils devaient apprendre à marcher comme des hommes libres.


Extrait P 160

Les Blancs étaient venus sur cette terre pour prendre un nouveau départ et échapper à la tyrannie de leurs maîtres, tout comme les Noirs libres avaient fui les leurs. Mais ces idéaux qu’ils revendiquaient pour eux-mêmes, ils les refusaient aux autres. Cora avait entendu maintes fois Michael réciter la Déclaration d’indépendance à la plantation Randall, sa voix flottant dans le village comme un spectre furieux. Elle n’en comprenait pas les mots, la plupart en tout cas, mais « naissent libres et égaux en droits » ne lui avait pas échappé. Les Blancs qui avaient écrit ça ne devaient pas tout comprendre non plus, si « tous les hommes » ne voulait pas vraiment dire tous les hommes.

Extrait p 195

Comment avaient-ils pu croire que deux misérables esclaves étaient dignes de la générosité de la Caroline du Sud ? Qu’une nouvelle vie existait si près, juste derrière les limites de la Géorgie ? Ça restait le Sud, et le diable avait de longs doigts agiles. Et puis, après tout ce que le monde leur avait enseigné, comment ne pas reconnaitre des chaînes quand on les leur fixait aux poignets et aux chevilles… Celles de la Caroline du Sud étaient de facture nouvelle – avec des clés et des cadenas typiques de la région- mais elles n’en remplissaient pas moins leur fonction de chaînes. Ils n’étaient pas allés assez loin.


Extrait P 215

« Nous avons tous fait des sacrifices pour cette nouvelle Caroline du Nord et ses droits, dit Jamison. Pour cette nation distincte que nous avons forgée, libre de toute interférence nordiste et de toute contamination par une race inférieure. La horde noire a été refoulée, nous avons corrigé l’erreur commise jadis lors de la naissance de cette nation. Certaine, comme nos frères de l’état voisin, ont embrassé l’idée absurde d’un progrès du nègre. Autant apprendre l’arithmétique à une mule. »


Extrait P 242

Quel est ce monde, pensa-t-elle, qui fait d’une prison vivante votre seul refuge. Etait-elle libérée de ses liens ou prise dans leur toile ? Comment décrire le statut d’une fugitive ? La liberté était une chose changeante selon le point de vue, de même qu’une forêt vue de près est un maillage touffu, un labyrinthe d’arbres, alors que du dehors, depuis la clairière vide, on en voit les limites. Être libre n’était pas une question de chaînes, ni d’espace disponible. Sur la plantation, elle n’était pas libre, mais elle y évoluait sans restriction, elle goûtait l’air frais et suivait la course des étoiles d’été. C’était un endroit vaste dans son étroitesse. Ici, elle était libérée de son maître, mais elle tournait en rond dans un terrier si minuscule qu’elle ne pouvait même pas s’y tenir debout.


Extrait P 371

« Et s’ils décident qu’on doit partir ? » cora fut surprise de sa difficulté à mobiliser les mots.

« Pourquoi ils ? Vous êtes l’une d’entre nous ; » Valentine prit le fauteuil préféré de Molly. De près, on voyait sur son visage que le fardeau de tant d’âmes avait fait des ravages. Cet homme était la lassitude incarnée. « On ‘a peut-être pas le choix, reprit-il. Ce qu’on a bâti ici.. Il y a trop de Blancs qui nous le refusent. Même s’ils ne soupçonnent pas notre alliance avec le chemin de fer clandestin. Regardez autour de vous. S’ils peuvent tuer un esclave parce qu’il apprend à lire, que vont-ils donc penser d’une bibliothèque ? Nous sommes dans une pièce qui déborde d’idées. Trop d’idées pour un homme de couleur. Ou une femme. »

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