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Une farouche liberté - Gisèle Halimi


Ce livre tient et tiendra une place particulière dans ma bibliothèque personnelle. Je voulais le lire depuis longtemps mais n’en avais pas eu l’occasion. Alors, je me suis offert le livre pour Noël, de moi à moi : on n’est jamais mieux servi que par soi-même ! Je le place au même plan que la bio de Simone Veil ou que les écrits de Simone de Beauvoir, femmes citées d’ailleurs dans cette biographie de Gisèle Halimi. Quel parcours que celui de cette femme ! Quelle vie ! Quel engagement ! Quelle intelligence et quelle volonté ! D’ailleurs, en refermant le livre, quand je considère le nombre de repères mis au fil de ma lecture pour retrouver les passages qui m’ont marquée…je me rends compte de la densité du texte et de sa résonance pour moi.

Dans ce livre, on découvre en détails le détail de l’avocate Gisèle Halimi, ses convictions, les obstacles (être femme d’origine tunisienne et juive) qu’elle a dû franchir pour exercer sa profession selon ses convictions, ses combats pour condamner la torture utilisée à des fins politiques pendant les luttes pour l’indépendance en Algérie et Tunisie, pour pénaliser le viol, pour le droit à l’avortement, son engagement féministe. A travers sa vie, on balaye aussi toute l’évolution des mentalités de la société des années 60 aux années 90, les liens entre justice et politique. C’est passionnant ! Un livre que tous les étudiants qui aspirent à devenir avocats devraient lire !

C’est un des rares livres dont je me dis en le refermant que je le relirai !


Quelques-uns des nombreux extraits repérés au fil du texte :

Extrait P 12 (introduction d’A. Cojean)

Car telle était son ambition : changer le monde en plaidant. Rien de moins ! Le droit était son instrument, l’insoumission sa marque de fabrique et les mots, maniés avec éloquence, ses principaux alliés. Elle défendait, elle accusait et elle cognait. Les lois jugées injustes et archaïques, les tribunaux militaires accusés de prendre le droit en otage, la hiérarchie judiciaire masculine et machiste, les tabous toujours funestes aux femmes. Rebelle, passionnée, infatigable. Et libre. Farouchement libre.


Extrait P 14 (introduction d’A. Cojean)

On sait désormais avec quels filtres l’Histoire fut écrite et combien les hommes furent oublieux de l’apport de femmes magnifiques qui ont contribué à faire avance l’humanité. Le déni a cessé. Alors comptons nos héroïnes, ces femmes inspirantes qui s’inscrivent dans le vacarme du monde pour mieux le transformer.

Gisèle Halimi est de celles-là. Le titre est loin d’être usurpé. Il évoque un parcours, des combats, une vision. Il implique du courage et un sens de l’intérêt collectif dont bénéficie toute la société. Oui, elle a boosté la cause des femmes. Elle a porté très haut les valeurs du féminisme. Et sa quête d’absolue liberté est comme une injonction.



Extrait P20

Les filles de la maison, donc, devaient se mettre au service des hommes de la maison. Dès 7 ou 8 ans, on m’a obligé à lessiver le sol, faire la vaisselle, laver et ranger le linge de mes frères, les servir à table. Je trouvais cela stupéfiant. Pourquoi ? Au nom de quoi ? Avant même la révolte, je ressentais une immense perplexité. Pourquoi cette différence ? Elle n’avait aucun fondement ni aucun sens. « C’est parce que tu es une fille, s’entêtait ma mère, et parce qu’ils sont des garçons ! » La rébellion a été viscérale. Pas question d’accepter cette injustice criante. « Plutôt mourir ! » Il y eut des gifles, des menaces, des punitions. L’affrontement fut violent. Je me roulais par terre. Ma mère se disait que je devais être dingue pour refuser ainsi ma condition de fille. Je la revois mettre un doigt sur sa tempe, désemparée, affirmant à mon père « Ta fille ne tourne pas rond ». Alors j’ai choisi l’arme ultime : la grève de la faim. C’est un moyen terrible, vous savez. Mes parents se sont affolés, et ont cédé au bout de quelques jours. Je ne servirais plus mes frères : « Ni à table, ni dans la chambre, ni jamais ! » ai-je exigé. Ce fut au fond ma première victoire féministe.

Mais l’injustice était partout. Et notamment dans la différence d’attente de nos parents envers l’enseignement selon qu’il s’agissait de leurs filles ou de leurs fils.

Moi, j’aimais l’école. Je l’aimais avec passion. C’est là que je me sentais le mieux. Et j’étais bonne élève. Mais quand je rentrais à la maison, cartable à la main, en lançant : « Je suis première ! » , ma mère, glaciale, me disait : « Lave tes mains, mets la table. » Parfaitement indifférente. Mon frère aîné, en revanche, faisait l’objet de toutes les attentions, lui qui partageait son temps entre colles, mensonges, zéros pointés et renvois.


Extrait p 25

Car nous étions dans un monde coupé en deux, cela m’apparaissait clairement. D’un côté, ceux qui opprimaient et en tiraient profit, et de l’autre, les humiliés, les offensés, bref, les victimes. J’ai très tôt choisi mon camp : celui des victimes. Mais attention ! Des victimes qui relèvent la tête, s’opposent, combattent.

« C’est pas juste ! « disais-je constamment à la maison. Ma mère se récriait : « Insolente ! » Et mon père s’énervait : « Tu n’as que ce mot-là à la bouche ! » C’était pourtant vrai : c’était pas juste ! La vie n’était pas juste. Elle ne l’est toujours pas.


Extrait P 29

Je l’ai perdue de vue, mais elle (Mlle Nicot, prof de français) a été un phare. Elle a immédiatement perçu ma certitude que l’école serait ma libération. Elle m’a encouragée à lire. Elle m’écoutait, me considérait, me faisait comprendre que j’avais des capacités qu’il ne fallait pas perdre. Exactement l’inverse de mes parents. Je me demande parfois ce que je serais devenue sans elle. Mais j’aurais forcément fait quelque chose, car j’avais en moi, comment vous dire, une force mauvaise, une force sauvage. J’étais déterminée à aller mon chemin, que ça plaise ou non. Et mon chemin passait d’abord par cet appétit démesuré de connaissances. Et par les livres pour lesquels j’avais une passion.



Extrait P 33

Je n’avais pas encore les mots, aucune vision précise, mais mon avenir, je le voulais mien, indifférent aux forces qui parquaient les femmes dans le deuxième sexe. Je refusais le modèle féminin qu’on me proposait. J’étudierais, je travaillerais, j’agirais comme un homme. De cela, j’étais absolument certaine.


Extrait P 35

La philo aurait même pu devenir prioritaire si je n’avais pas eu la rage de me mettre au service des plus faibles et des plus isolés. Je me sentais liée par cet engagement intime et la phrase de l’abbé Lacordaire me percutait : « Entre le faible et le fort, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit. » Avocate était vraiment ma vocation.


Extrait P 45

Il est un langage que tiennent les hommes et que les femmes ne devraient jamais laisser passer. Les mots ne sont pas innocents. Ils traduisent une idéologie, une mentalité, un état d’esprit. Laisser passer un mot, c’est le tolérer. Et de la tolérance à la complicité, il n’y a qu’un pas.


Extrait P 54

Ce qui se passait pendant la guerre d’Algérie était fou. Je ne pouvais pas refuser de m’y engager. D’abord, il y était question d’un peuple qui réclamait sa liberté. Et il n’y a pas de sujet auquel je sois plus sensible. C’était mon idéal, rien ne pouvait donc m’arrêter. J’étais née comme ça. Ce n’est pas de l’héroïsme, c’est de la cohérence. Ma liberté n’a de sens que si elle sert à libérer les autres.


Extrait P73

Et puis nous avons continué la bataille contre une justice fondamentalement misogyne. Une bataille féministe. Au nom de toutes les femmes, les humiliées, les offensées. Une bataille pour nous toutes, moi comprise. Car quand je plaidais, je sentais de toutes mes tripes que je plaidais aussi pour moi. Il existe une cause des femmes.

Extrait P 85

Vous le voyez : mes réticences initiales devant les contraintes de mon serment d’avocat étaient bien justifiées. Il existait des lois ineptes. Mon rôle était d’en faire le procès.


Extrait P 114

On m’a paralysée, privée de temps de parole en séance publique, refusé la responsabilité de rapports. Je travaillais pourtant. J’adorais mon boulot de député sur le terrain en Isère. C’est à Paris que je me sentais asphyxiée, moquée les rares fois où je pouvais monter à la tribune – ma robe, ma voix, mon allure, tout était prétexte à railleries – et je me désolais de ne pouvoir jouer le rôle dont j’avais rêvé. Mais je m’acharnais.

Durant mon mandat, j’ai rédigé et déposé une dizaine de proposition de loi pour accroître les droits des femmes et améliorer leur vie. J’avais déjà, par ma proposition de remboursement de l’IVG, amené le groupe socialiste puis le gouvernement à faire voter cette loi. Mais j’ai aussi suggéré d’interdire les enquêtes de moralité sur la victime d’un viol, et toute incitation au sexisme dans les publications pour la jeunesse. J’ai proposé le droit, pour la femme, de transmettre son nom, la création d’un fond de garantie pour les pensions alimentaires, le congé parental alterné et rémunéré, toutes choses auxquelles nous avions réfléchi au sein de Choisir. Aucune de ces propositions ne fut inscrite à l’ordre du jour ni donc discutée.


Extrait P 127

Et puis, il y a le moment de la plaidoirie. A chaque fois l’aventure. Un de mes professeurs de Droit, Henry Solus, qui mimait devant ses étudiants l’art de plaider, préconisait l’improvisation. « Préparez des notes, mais arrivez à la barre sans un papier. Présentez-vous nu comme un ver ! « De fait, je n’ai jamais écrit ni répété mes plaidoiries. Je prépare de petites fiches sur lesquelles je note une phrase, une date, un lieu, un détail clé dont je dois me souvenir. Quelques éléments décousus que personne d’autre que moi ne saurait déchiffrer. Et je me lance, décidée à ferrer mes interlocuteurs avant de les emporter dans une démonstration implacable. Pas de plan : grand 1, grand 2, grand 3. Un plongeon dans l’inconnu, forte de mon travail, de mes connaissances, de mes convictions. De ma culture aussi ; c’est ce qui fait, je crois, la beauté et la force de certaines plaidoiries capables d’entraîner l’auditoire bien au-delà des faits jugés.


Extrait P 144

Balzac était plus cynique : « La femme est une esclave qu’il faut savoir mettre sur un trône. » On ne saurait mieux exprimer le piège tendu aux femmes. Le trône est une prison, elles le découvrent très vite mais s’y résignent, cherchant désespérément à y trouver quelque avantage pour éviter la blessure, sauver l’honneur, sauver leur peau, quitte à entretenir et reproduire le système. Complices, donc. Et c’est terrible. Le sort des femmes n’échappe pas à la règle qui perpétue les grandes oppressions de l’Histoire : sans le consentement de l’opprimé – individu, peuple, ou moitié de l’humanité-, ces oppressions ne pourraient durer.


Extrait P 146

D’abord, soyez indépendantes économiquement. C’est une règle de base. La clé de votre indépendance, le socle de votre libération, le moyen de sortir de la vassalité naturelle où la société a longtemps enfermé les femmes.

[…]

Ensuite, soyez égoïstes ! Je choisis ce mot à dessein. Il vous surprend ? Tant pis. Les femmes ont trop souvent le sentiment que leur bien-être doit passer après celui des autres, les parents, les enfants, les compagnons, le cercle professionnel et familial. Elles craignent de s’imposer, d’exiger, de révéler leurs envies ou ambitions, de ses mettre clairement en avant. Ce n’est pas qu’elles soient naturellement modestes. C’est juste que l'Histoire leur a dicté cette attitude de réserve, voire de retrait : une femme ne doit pas faire de bruit, ne pas détranger, ne pas se faire remarquer, ne pas avoir l’esprit de compétition, ne pas chercher la gloire. Ça, c’est réservé aux hommes. Mais rebellez-vous ! Pensez enfin à vous. A ce qui vous plaît. A ce qui vous permettra de vous épanouir, d’être totalement vous-mêmes et d’exister pleinement. Envoyez balader les conventions, les traditions et le qu’en dira-t-on. Fichez-vous des railleries et autres jalousies. Vous êtes importantes. Devenez prioritaires.


Extrait P 150

Eh bien j’affirme que la maternité ne doit pas être l’unique horizon. Et que l’instinct maternel est un immense bobard à jeter aux poubelles de l’Histoire. Je n’y ai jamais cru. La vie n’a fait que confirmer mes intuitions. Alors j’insiste : soyez libres ! La maternité n’est ni un devoir ni l’unique moyen d’accomplissement d’une femme. Elle mérite réflexion, considération, sans aucune autocensure : pourquoi faire un enfant ? Sauver le monde ? Se reproduire ? Laisser une trace ? Ce doit être une décision prise en liberté, et en responsabilité, hors pressions bibliques ou conditionnement social. Un engagement réfléchi et lucide.

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